PAUL BIYA A DÉTRUIT L’HÉRITAGE DE AHIDJO EN QUELQUES ANNÉES: 1972 – 1982 : les nationalisations à la Nasser sous inspiration upéciste

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Ayant conforté sa position par voie de réélection en 1970 et son adversaire juré Ouandié réduit au silence en 1971, Ahidjo effectue une manœuvre spectaculaire en sortant d’Air Afrique pour créer la Camair ; il fait là un véritable pied de nez aux français et s’équipe chez le constructeur américain Boeing.

Deux stades omnisports sont construits par la firme italienne Cogefar.
Ahidjo va en Chine (à bord d’un Boeing 737 de la Camair) et revient avec le Palais des Congrès de Yaoundé.
Ahidjo autorise l’importation des voitures japonaises, nouveau pied de nez à la France ; ce n’était pas une décision facile, le Président de la Chambre Paul Monthé meurt peu après l’entrée des premières Toyota au Cameroun.

Ahidjo consolide le dispositif institutionnel de l’Economie nationale. Issue d’une récente réorganisation du gouvernement, le Ministère de l’Economie et du Plan est attribué à Youssoufa Daouda, un jeune ingénieur agronome de 33 ans ; ce ministère a désormais la haute main sur les agréments de projets industriels et surtout, sur les licences d’importation des produits de grande consommation. On assiste à l’essor d’une bourgeoisie compradore nationale.

Et ça bouge à la SNI(le fonds souverain Camerounais créé par Ahidjo et dont Biya’a ne sait qu’en faire) ; en effet cette institution a été remise en selle le 28 août 1973 par la promotion du Directeur de la Programmation au Ministère de l’Economie et du Plan, Amadou Bello, au poste de PDG de la SNI ; suivra l’arrivée comme DGA de Tchetgen Gustave.
Son propre Conseiller économique, Marcel Yondo, Docteur en Sciences économiques, est nommé Directeur national de la Banque centrale, dans le sillage de la réussite de la renégociation des accords de la Zone franc, conclue à Brazzaville en novembre 1972.
Ahidjo continue l’offensive : dès 1973, il a « nationalisé » les grandes entreprises françaises d’électricité, d’eau et télécoms, processus qui voit éclore Sonel, Snec, Intelcam ; il négocie et obtient la majorité des actions des banques coloniales françaises Biao, Bicic, SCB/Crédit Lyonnais et Société générale; nomme des directeurs généraux camerounais … y compris son propre fils à la SCB.

La prise de contrôle des télécoms et des chemins de fer sont deux cas spectaculaires.
Jusqu’en 1972 toutes nos communications téléphoniques internationales transitaient par un commutateur de France Cable Radio ; et il fallait payer 25% de droits de transit.

Le Cameroun décide de créer la Société des Télécommunications du Cameroun (Intelcam) pour prendre le relais. Devenue 100% camerounaise, Intelcam modernise la station terrienne de Zamengoé et réalise l’accès au réseau mondial INTELSAT directement. Un PDG est nommé à la tête d’Intelcam.
La Régie des chemins de fer passe sous contrôle national avec la nomination d’un PDG camerounais, Ntang Gilbert, qui aussitôt achète des locomotives chez le constructeur canadien Bombardier ; ça jase dans les ateliers de la Régie, car les locomotives canadiennes sont performantes et dit-on, moins chères que les concurrentes françaises.

Dans le secteur de l’agro-industrie, Socapalm et Hevecam verront le jour avec l’Etat (la SNI) actionnaire majoritaire ; dans les deux sociétés l’Assistance technique est assurée par Terres Rouges, une mythique compagnie française qui a été pionnière de l’hévéa au Cambodge, aujourd’hui membre du Groupe Bolloré.

Le Gouvernement négocie une prise de participation dans la capital de Safacam ; cette société coloniale a aménagé de vastes étendues de terres entre Edea et kribi pour cultiver l’hévéa et le palmier à huile ; ses pratiques et politiques de main d’oeuvre ont nourri les revendications nationales depuis 1946 (Um Nyobe, Ernest Ouandié ont animé des syndicats à Dizangué).
Cet élan va conduire à la création de Sodecoton en 1974, avec l’Etat camerounais détenteur de 70% des actions ; la CFDT, ancien organisme colonial qui gérait le coton dans toute l’Afrique francophone, verra sa part diminuer à 30%.
L’ONCPB est mis sur pied théoriquement pour égaliser dans le temps les flux des revenus tirés du cacocaco- coton ; en réalité, l’ONCPB et son réseau d’acheteurs nationaux prennent le contrôle de l’exportation des produits de base.
Les camerounais Mbous, T. Bella, Ebobo deviendront de gros exportateurs de cacao. Les planteurs camerounais rachètent les usines de café dans le Mungo.

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L’Economie nationale d’Ahidjo fait école.

Ayant arraché le pouvoir, le nouvel homme fort du Niger veut renégocier le prix de cession de l’uranium à la France. En Côte d’Ivoire, dans la foulée et sur le même schéma, Houphouët-Boigny va créer la Caisse de stabilisation des produits de base et la Compagnie ivoirienne de développement du textile CIDT ; la première prend le contrôle des produits de base et la seconde va structurer le développement dans la zone cotonnière du Nord du pays. Ayant visité le Cameroun en février 1978, FHB est impressionné ; il rentre chez lui pour imprimer un élan d’économie nationale en Côte d’Ivoire, car en ce temps-là les plantations, les boulangeries, les grands magasins et les grosses affaires appartenaient aux étrangers, français et libanais, essentiellement. FHB somme ses ministres et DG de « prendre le crédit » à la Banque nationale de développement agricole BNDA, pour fonder des plantations qui de cacao-café en zone semi forestière, qui de palmier-hévéa sur la frange côtière, au choix, et leur alloue des terres sans distinction de l’origine tribale du promoteur.

L’euphorie s’empare du régime à Yaoundé et ça bouillonne à la SNI. Trois diplômés de la faculté de droit et sciences économiques de Ngoa Ekele Yaoundé sont recrutés le 1er août 1974 pour effectuer un stage d’un an avant d’aller aux Etats-Unis pour faire un MBA : Sanda Oumarou, Ejangue Théodore, Ouandji Bernard.
La décision du Gouvernement est surprenante et courageuse parce que d’habitude c’est en France que l’Administration camerounaise a envoyé ses cadres en formation. C’est que le PDG a décidé d’étoffer ses services avec des cadres imprégnés des affaires internationales hors du contexte de la Zone franc. Et pour cause, depuis l’instauration des taux de change fluctuants le 15 août 1971, les économistes du monde entier parlent beaucoup du dollar, des euro-dollars ; en 1974 le contexte économique mondial est sous l’emprise de la surchauffe ; suite à l’envolée des prix du pétrole, les cours de toutes les matières premières ont flambé.
De nombreux projets sont proposés aux pays du tiers monde : raffineries, sucreries, usines textiles etc. Dans le cas du Cameroun s’ajoute la pâte à papier. Dans un contexte où les offres sont complexes, les gros projets sont envisagés or les pays du tiers-monde ne disposent que de cadres nationaux peu expérimentés.


Comme pour donner la réplique aux français, le Gouvernement camerounais implante juste à trois cent mètres de CIMENCAM une usine d’engrais, la Socame, construite par la firme allemande Klochner.

Le Gouvernement camerounais lance un projet industriel d’envergure la Cellucam, en partenariat avec des autrichiens et des suédois. La stratégie de partenariat de Cellucam parait judicieuse puisque les suédois sont les rois de la pâte à papier en Europe ; les français, américains et les pays arabes sont aussi impliqués ; la banque française Indosuez, la banque arabe BADEA et la Chase Manhattan cofinancent mais le gros du crédit est autrichien.

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Pour la Camship, c’est encore les allemands qui seront partenaires stratégiques, au grand dam des armateurs français qui contrôlaient le port de Douala depuis 1940. Dans la foulée, le Président Ahidjo lance un projet sucrier national du nom de Camsuco, plus grand que la SOSUCAM; dans le capital de Camsuco, le partenaire français plafonne à 6%, l’Etat, la SNI et le secteur privé national détenant ensemble 94%.

En 1977 la SNH sera le Projet qui fait comprendre que la vengeance d’Ahidjo est terrible : il traite sur une base égale les exploitants pétroliers français et anglais, le seul avantage de la France étant sa participation au projet Sonara où les actions françaises plafonnent à 17% de cette société; et surtout, Ahidjo a obtenu de l’Etranger un partage de production inédit en Afrique, adjugeant 50% pour le Cameroun; en comparaison, et selon les données de 2010, nos voisins francophones d’Afrique centrale touchent une quote-part de 17%.
Dans le dossier Pétrole, Ahidjo a bénéficié de l’assistance technique de l’Algérie, pays révolutionnaire qui hébergeait des upécistes.
En 1978 la SNI a atteint son altitude de croisière. Mais nos partenaires français s’irritent durant les négociations quand nous faisons les calculs pour diminuer leur part de revenus.
L’Auditeur Chef de Mission que je suis est taxé de «gêneur» sur les projets Sawa Novotel de Douala et Mizao Novotel de Maroua ; pareillement à la Tannerie de Ngaoundéré. Mais on s’accroche. En juillet 1978, le PDG Amadou Bello est ravi ; il m’a envoyé en mission au siège de Novotel à Evry en France et à l’issue des contrôles y effectués, il a pu faire baisser le budget d’équipement du Sawa Hôtel de 900 millions francs à 412 millions francs.


En novembre 1978, le Gouvernement par l’entremise de la SNI réussira à négocier une prise de participation minoritaire (25%) dans le capital de SABC (Brasseries du Cameroun); cette société a essuyé tous les quolibets, étant tour à tour taxée de colonialisme et de stakhanovisme. « Quand j’ai lu la conclusion de votre note d’analyse recommandant l’achat des actions SABC par la SNI, j’ai observé la réaction de soulagement sur le visage du Président Alphonse Denis et j’ai compris que les français voulaient cette entrée des camerounais dans la société ; j’en ai alors profité pour négocier à la baisse le prix d’achat proposé par votre note ; félicitons mutuellement, M. Ouandji car j’ai aussi travaillé » me dit Amadou Bello à son retour du Conseil d’Administration de SABC du 2 novembre 1978 où il avait été invité pour négocier l’entrée du Cameroun dans le capital de la SABC.
Au courant de l’année 1979, commencent les difficultés financières de la SNI, directe conséquence des difficultés financières de certains projets initiés dans la phase euphorique cinq ans plus tôt.
Socame n’est pas économiquement viable car son produit est basé sur l’importation de produits chimiques onéreux.

Camsuco produit du bon sucre mais le vend à 135 F le kilo alors que les études étaient basées sur un prix de 240 F le kilo d’où un énorme déficit de cash-flow; l’usine tourne à moins de la moitié de sa capacité parce que les plantations de canne ne sont pas encore arrivées à maturation ; or les études avaient indiqué deux ans pour donner le plein rendement des champs. L’endettement de la sucrerie est excessif et les recherches de subventions énervent tout le monde. Lors du Conseil d’Administration de Camsuco tenu à Yaoundé le 6 juillet 1979, l’on observe une brève mais intense passe d’armes entre le Délégué français et la SNI, sur la question des indemnités à verser au titre d’assistance technique française.

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C’est là que les problèmes d’Amadou Bello se corsent. En tournée en Afrique du Nord pour chercher une compagnie sucrière en Egypte et au Maroc pour jouer le rôle de partenaire à la Camsuco, car celle-ci bat de l’aile, Amadou Bello est reçu par le Roi Hassan II, qui l’informe « C’est moi que la France a chargé de dire au Président Ahidjo que tu dois être écarté de la SNI ».
Peu après son retour de cette mission, le 7 novembre 1979, Amadou Bello est muté PDG de la Camair. La compagnie nationale choisit la firme américaine Boeing pour fournir le gros porteur B747 qui sera baptisé Mont Cameroun ; affectueusement surnommé « Le Combi » par les camerounais, cet aéronef est aussitôt intégré parmi les symboles de l’identité nationale. 1981 : avec l’avènement du pétrole, le budget de l’Etat et le commerce extérieur affichent des soldes excédentaires.

En dépit des ratés de quelques sociétés d’Etat, les affaires décollent et l’Economie nationale atteint son apogée. En France, un nouveau Chef d’Etat a pris fonctions en mai 1981; son avènement inquiète le sérail à Yaoundé et pour cause, François Mitterrand avait envoyé Me Badinter défendre Ernest Ouandié mais Ahidjo l’avait remis dans l’avion pour Paris.

Des chefs d’Etat du pré-carré français ont été reçus plus d’une fois à l’Elysée mais l’invitation du Président camerounais tarde à venir.

Finalement le Président Mitterrand va recevoir Ahidjo le mercredi 21 octobre 1981 à 16H pour vingt minutes seulement. « Ahidjo est arrivé à Paris le dimanche et s’est installé à l’Hôtel pour attendre le jour de l’audience ; mais toutes les télés et radios françaises diffusaient les dénigrements du régime par Mongo Beti et autres opposants installés en France ; avant même d’être en face de Mitterrand on savait que l’issue de l’entretien serait néfaste » me dit Moussa Yaya en 1993.
1982 : les difficultés de Cellucam à Edea vont ternir l’image du Gouvernement. Sur le plan industriel, de nombreux goulets d’étranglement freinent la montée en puissance et l’usine de pâte à papier tourne à peine au tiers de sa capacité lorsque survient le 3 mars 1982 une explosion qui détruit la station de blanchiment de la pâte ; en zone précédemment rebelle, l’index pointe le Colon comme auteur d’un attentat délibéré, étant mécontent de la présence des « étrangers » dans cet important projet. Ahidjo est vraiment perplexe et touché.

Epilogue
Se sentant lâché par Paris, Amadou Ahidjo multiplie les voyages à l’étranger à la recherche d’appuis ; il pactise même avec Ceausescu de Roumanie.
Cassant le monopole des banques françaises, le Président Ahidjo autorise l’entrée des banques américaines, attirées par les surplus pétroliers qui s’accumulent (un pactole de 600 millions de dollars à New York). Le 5 juillet 1982, le Président Ahidjo est en visite aux Etats-Unis et dans la perspective d’exploiter le gaz camerounais, il signe un protocole avec la firme Air Products, géant mondial et principal concurrent de la société française Air Liquide. Dès lors son sort est scellé.

© Sans Détour : Bernard OUANDJI ,Economiste

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