Élections 2018 : Message à l’intelligentsia camerounaise
On a souvent tendance à imputer l’échec des transitions politiques à l’opposition d’un pays, au lieu de blâmer, en tout premier lieu, sa classe intellectuelle. Pourtant, l’opposition ne serait que l’ombre d’elle-même si elle n’est pas soutenue et encadrée par une classe intellectuelle qui se considère comme le phare de la société et la gardienne de la morale républicaine. En ce qui concerne le Cameroun, le rôle de son intelligentsia n’a jamais été aussi crucial qu’en cette année électorale où la nation présente tous les signes de déconfiture et où la majorité du peuple pense que, pour éviter la guerre, la solution réside dans une alternance pacifique par les urnes. Cette conception pacifique de la transition met la classe intellectuelle, plus qu’elle ne met les partis de l’opposition, au cœur de l’action, puisque c’est à elle, l’intelligentsia, de sortir des sentiers battus des simples analyses politiques et des considérations partisanes pour élaborer la démarche stratégique et le mode opératoire gagnant.
Le rôle bidimensionnel de l’intelligentsia camerounaise
Le premier rôle qui incombe à la classe intellectuelle camerounaise aujourd’hui est de former les masses à la culture politique et les sensibiliser à la défense de leurs votes. La formation des masses, qui vise la prise de conscience, par le peuple, des enjeux de sa participation massive aux élections, est une tâche moins ardue quand elle est portée par une intelligentsia responsable, le peuple camerounais ayant déjà prouvé qu’il était disposé à suivre cette voie, puisqu’il avait largement porté son choix sur l’opposition en lui donnant une victoire claire et nette à la présidentielle de 1992. Cette victoire était l’expression la plus forte du rejet du régime actuel par le peuple, et nul ne peut dire que ce rejet a changé depuis lors. Les émeutes de 2008 et la guerre civile en cours au nord-ouest et au sud-ouest sont la preuve que le peuple camerounais est resté constant dans sa logique et son désir d’alternance. Le régime Rdpc a donc déjà théoriquement perdu l’élection présidentielle d’octobre 2018, et il ne reste qu’à matérialiser cet échec dans les faits.
La question qui se pose à l’intelligentsia camerounaise est donc la suivante : dès lors que le régime en place a prouvé, depuis 1992, qu’il n’acceptera jamais l’organisation de la succession de Paul Biya par la voie pacifique des urnes, par quel moyen l’intelligentsia et le peuple camerounais peuvent-ils pacifiquement lui montrer la porte?
Pour répondre à cette question, il faut associer au rôle premier de l’intelligentsia décrit plus haut (formation des masses à la conscience politique), un second : l’accompagnement des partis politiques de l’opposition dans les négociations devant aboutir à la Coalition. Pour remplir à bien ce deuxième rôle, l’intelligentsia camerounaise doit se garder de défendre un parti politique d’opposition contre un autre. Elle doit éviter d’afficher ses affinités pour tel ou tel candidat, tel ou tel programme, dans la mesure où tout parti politique d’opposition qui ambitionne clairement de prendre le pouvoir en octobre 2018 est, par essence, proche du peuple, sa victoire éventuelle devant marquer la fin d’un long règne désastreux et combler les attentes de l’écrasante majorité des Camerounais.
Soutenir tous les partis politiques de l’opposition aux législatives
C’est dire qu’au stade actuel de la marche vers l’alternance, tous les partis politiques de l’opposition sont à soutenir et aucun n’est à blâmer. Dès lors, l’intellectuel qui se positionne pour ou contre un parti politique contribue à fragiliser l’opposition et fait le jeu du régime en place. Sa démarche divise plus qu’elle ne rassemble et devient contre-productive. Il ne peut alors assumer son propre rôle de phare de la société, surtout lorsque les partis politiques, qu’il est censé accompagner, n’ont pas encore épuisé tous les recours pour la mise en place de la Coalition des Forces de Transition.
En quoi consiste une démarche intelligente
Les élections à venir étant générales, il est de bon ton que chaque parti politique de l’opposition se positionne pour gagner le maximum de communes (élections municipales) et de députés (élections législatives). Ce positionnement impactera positivement la période postélectorale de transition, dans la mesure où les députés élus dans chaque formation politique participeront aux travaux de la fondation de la Nouvelle République en tant qu’élus du peuple, ce qui évitera à la Coalition des Forces de Transition des coûts financiers liés à l’organisation éventuelle de nouvelles élections législatives.
L’intellectuel ne doit donc se prononcer sur un choix qu’en dernier ressort, c’est-à-dire après les élections municipales et législatives, et donc, à la veille de l’élection présidentielle, ce qui correspond à la période où la Coalition des Forces de Transition, qu’il aura contribué à bâtir, et dont le rôle est de préparer la naissance de la Nouvelle République, aura vu le jour.
Les résultats attendus de cette démarche
Tous les partis politiques ayant eu des députés lors des élections législatives participeront aux travaux lors de la transition pour la construction de la Nouvelle République. C’est dire que la Coalition des Forces de Transition devra envisager, dans sa démarche de l’alternance dans la paix, d’accorder une place au Rdpc qui, dans la réalité, représente l’idéologie d’une partie de la population camerounaise.
Le faire, c’est concevoir que le Rdpc aura indubitablement obtenu des députés aux élections législatives, puisque les partis y seront allés en rangs dispersés, mais aura perdu l’élection présidentielle, puisque la Coalition des Forces de Transition aura présenté un candidat unique, en même temps que le peuple, éduqué depuis lors à la participation citoyenne par son intelligentsia, aura voté massivement pour l’opposition et aura défendu ses voix dans chaque bureau de vote. Le candidat unique de la Coalition présidera alors la transition dans l’attente de l’organisation de la première élection présidentielle libre.
Tel est le message de repositionnement stratégique dont l’intelligentsia camerounaise est appelée à tenir compte.
Maurice NGUEPÉ