Jean- Baptiste Placca: Avec Paul Biya Mais le temps, depuis, semble s’être arrêté. Pour le meilleur et pour le pire.
En Côte d’Ivoire, le coup d’Etat de décembre 1999 n’aurait probablement pas eu lieu, il n’y aurait peut-être jamais eu la rébellion de 2002 et la guerre de 2010 n’aurait pas eu lieu, si Félix Houphouët-Boigny avait organisé sa succession de son vivant, au lieu de mourir au pouvoir.
Magali Lagrange : Tout ce qui a un début doit avoir une fin. Ainsi parlait, à Luanda, José Eduardo Dos Santos, au moment où il abandonnait la présidence du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir. Ne sont-ce pas, là, des avancées spectaculaires, pour un pays qui, il n’y a pas si longtemps encore, passait pour un des cancres du continent, en matière de démocratie et d’alternance ?
Il ne s’agit, pour le moment, que d’une remise en ordre, à l’intérieur d’une formation politique. Sans incidence majeure, sur la démocratie. Mais ce n’est pas une décision banale, en effet. D’autant que c’est sous la pression que l’ancien chef de l’Etat a dû abandonner le leadership du parti au pouvoir. Autant il avait favorablement impressionné, en renonçant volontairement à la magistrature suprême, autant son entêtement à vouloir s’accrocher à la tête du parti paraissait incongrue. Il avait de bonnes raisons de s’y cramponner, puisqu’en l’espace de quelques mois, le successeur qu’il s’est choisi à la tête de l’Etat a démantelé tout le système par lequel sa famille et ses proches contrôlaient les richesses du pays. Dans ces conditions, il ne lui restait plus, pour peser un tant soit peu, que le parti, lieu de décisions, où se faisaient et se défaisaient naguère les carrières. Avec l’abandon de la présidence du MPLA, c’est donc véritablement la fin du règne de près de 40 ans de José Eduardo Dos Santos à la tête de l’Angola. Que tout cela se soit fait sans un coup de feu et sans effusion de sang relève du miracle.
Peut-on dire que cette transmission pacifique du pouvoir en Angola est donc, finalement, une source d’espoir pour le reste de la sous-région ?
L’histoire récente nous a appris à quel point il peut être dérisoire de vouloir copier, pour les plaquer sur son pays, les exploits d’un autre, fut-il un voisin. A chaque nation sa lutte, ses échecs et ses succès, à chaque peuple son histoire. Un peuple est toujours malheureux à vouloir comparer sans cesse son destin à celui d’autres nations. Cela n’empêche pas l’émulation. Mais l’émulation, pour tenter de faire aussi bien, sinon mieux que ceux qui s’en sortent le mieux. Pas pour singer les autres.
Il n’empêche que d’autres continuent de s’incruster…
Ceux-là finiront par être chassés, violemment, s’ils ne meurent de leur belle mort. En Angola, les héritiers de Dos Santos ont, certes, été remis à leur place. Mais ils ne sont pas en prison. José Eduardo Dos Santos lui-même est plutôt bien traité par son successeur, il faut le savoir. Et il y a de fortes chances pour que, dans quelques années, s’il est encore là, il entende certains de ses concitoyens sinon le regretter, en tout cas évoquer avec nostalgie l’époque où il dirigeait ce pays.
L’essentiel est donc de savoir partir à temps, est-ce bien cela ?
Ces derniers temps, à la télévision camerounaise (la CRTV), l’on voit des manifestations « spontanées » de foules dressées dans des robes ou des chemises taillées dans des tissus à l’effigie de Paul Biya, étaler leur colère, décharger leur bile sur la personne de l’ambassadeur des Etats-Unis. Qui a osé suggérer au président Biya de songer à son héritage politique, en préparant sa succession. Quel toupet ! Le diplomate est donc vilipendé, injurié par des militants, pour avoir conseillé à un homme de 85 ans de songer à passer le relais. Paul Biya est au pouvoir depuis 36 ans, après avoir été, pendant sept ans, Premier ministre. Et, auparavant, tour à tour chargé de mission, puis secrétaire général à la présidence de la République. Bref, depuis 1962, Paul Biya est à un très haut niveau de responsabilité dans l’appareil d’Etat, au Cameroun. Cinquante-six ans ! Et si aucun de ceux qu’il a formés et qui l’entourent ne peut lui succéder, alors, oui, le Cameroun a un gros problème !
Et quel est-il donc, ce problème ?
Ce pays est fragile de ses divisions régionalistes, pour ne pas dire ethniques. Et il s’en sortirait certainement mieux, si son président de 85 ans organisait sa succession, alors qu’il est encore en possession de tous ses moyens. Parce que si – qu’à Dieu ne plaise ! – il devait partir en laissant les Camerounais se débrouiller entre eux, alors ce serait pire que la Côte d’Ivoire. Oui, les Ivoiriens, à force de magnifier « l’houphouétisme », oublient de se dire, et de nous dire que si leur pays a connu un coup d’Etat, puis la guerre, c’est parce que « le vieux » n’a pas réglé le problème de sa succession avant de tirer sa révérence. Et si le Sénégal, en dépit de toutes les difficultés, fait encore envie, c’est parce que Senghor a organisé à temps sa succession et n’est pas mort au pouvoir. La démocratie et l’alternance ont fait le reste. Ahmadou Ahidjo en avait fait de même, en cédant le pouvoir à Paul Biya, en 1982. Mais le temps, depuis, semble s’être arrêté. Pour le meilleur et pour le pire.
Source: Magalie Lagrange- RFI