Alain Njipou : On vient de voir le Président français Emmanuel Macron s’activer sur la situation en Libye, notamment un certain forcing pour ramener la paix au plus vite, en mettant tout en œuvre pour réconcilier les frères ennemis, dans un pays qui a deux gouvernements. Que doit-on en déduire pour toute l’Afrique ?
Shanda Tonme : Sauf meilleur avis, vous n’êtes pas seul à vous poser cette question. Il y a effectivement lieu de s’interroger plus profondément sur la grande kermesse organisée récemment à Paris entre les frères ennemis Libyens. Toutefois, je vous invite à procéder davantage à une lecture à la fois circonstanciée et géopolitique, qu’à une lecture stratégique de fond indiquant une ligne de conduite ou des objectifs globaux et régionaux.
Pouvez-vous mieux expliquer ce que vous dites ?
En somme, il faut situer la démarche de Macron dans un contexte très limité d’une sous-région, ensuite il convient de cerner les motivations de base de façon précise. A ce propos, nous ne sommes pas en présence de quelque chose pensée pour toute l’Afrique ou exprimant un intérêt général pour le continent. La France a peur, et l’Europe toute entière a peur. Cette peur c’est celle qui découle de la menace de l’invasion par l’immigration sauvage. Or les côtes libyennes sont depuis l’assassinat du guide Kadhafi, le principal point de départ en méditerranée vers l’Europe.
Mais alors, pourquoi l’Italie et l’Espagne qui accueillent l’essentiel de ces migrations, ne s’activent pas comme la France ?
Ecoutez, vous avez bien suivi la trajectoire de ce malien qui a grimpé le mur d’un immeuble pour sauver un gamin. Il est passé par l’Italie, mais pour se retrouver en France comme point de destination. Ce sont les avatars de la colonisation française et il faut bien assumer. Il n’y a rien à faire contre cette réalité. C’est la France qui est venu chez nous et non l’inverse, et c’est vers la France que nous lorgnons d’abord, parce que quoi que l’on dise, il y a un certain nombre de paramètres qui constituent des acquis incontournables sur lesquels on capitalise tout de suite, par exemple la langue, la présence des souches identitaires d’accueils sur place.
Vous dites donc que le président français ne s’active pas en réalité pour le bien-être des libyens, mais plutôt pour la protection des français contre l’invasion des immigrés ?
C’est exact, et je vous invite à ne pas rêver. Il n’y a aucune volonté humaniste derrière la démarche, mais bien un savant calcul selon lequel, plus vite on rétabli l’ordre en Libye avec un régime fort, un gouvernement effectif, une armée qui contrôle le territoire, mieux on sera certain de freiner voire de limiter radicalement les flots des migrants qui empruntent des bateaux de fortune clandestins à partir des nombreux zones de la côte qui échappent à tout contrôle étatique. Sans Etat, point d’ordre et sans ordre, tout est permit, et l’Europe va payer à prix fort par des flots de misérables et de fuyards économiques.
Le président Emmanuel Macron
A vous entendre, le problème est devenu une question importante pour la France ?
Mais ce n’est qu’un début, parce qu’au regard de la désintégration lente mais certaine des Etats francophones condamnés par des régimes totalitaires et sans espoirs, nous allons assister à une accentuation des départs y compris à partir des ports qui ne sont plus seulement libyens. Dans ma propre famille, je ne compte plus le nombre de jeunes entre 20 et 35 ans qui sont partis, dont certains très récemment. Promenez-vous dans les quartiers des grandes villes et on vous montre des familles où des enfants sont partis récemment. La situation s’aggrave au lieu de s’arranger.
Pensez-vous donc que Macron devrait s’occuper de mettre de l’ordre partout ?
On ne lui demande pas de mettre de l’ordre, mais in ne lui demande pas de fermer les yeux non plus. Vous savez, la conduite des dirigeants français est directement responsable du renforcement des régies de dictature, particulièrement en Afrique centrale. Or ces régimes en plombant la démocratie et en tuant l’espoir, poussent les jeunes, même les adultes à l’exil. Il ne se passe plus un seul jour sans que je reçoive quelqu’un qui me dit qu’il en a marre et qu’il ne songe plus qu’à quitter le pays, souvent même sans aucune destination dans la tête.
Venons en, pensez-vous qu’Emmanuel a une politique ou une vision pour l’Afrique ?
Une fois de plus, toute supputation procède du rêve inutile. Il existe une vision et une ligne politique générale consacrant la substance et les contours de la relation franco-africaine. Cette ligne ne change pas, n’a jamais varié et n’évoluera jamais. Ce sont des choses que l’on traite en langage technique comme un arbre planté quelque part avec impossibilité de bouger. On parle alors, professionnellement, de paramètres fixes ou immuables. C’est d’ailleurs valable dans l’analyse, l’évaluation et la projection des rapports entre les Etats en général.
Mais, Prof, on a quand même entendu un son de cloche plus volontariste au moment de la campagne, et depuis qu’il a pris ses fonctions ?
C’est vous qui le dites. Tant pis pour les naïfs, surtout les grands naïfs. Je vois certains parler d’un jeune président qui sera un président de rupture avec les anciens de la francafrique. Mais oh, tenez, souvenez-vous de Mitterrand, de Hollande, de Sarkozy. A chaque fois, on remet une couche, et à chaque fois, on entretient les mêmes combines, le même langage, les mêmes routes. Il n’existe aucune sortie possible du carcan colonial, ni aucune possibilité réelle de rupture du cordon esclavagiste, en dehors des révolutions, mais encore faut-il adopter la bonne démarche, choisir le bon moment, avoir de bons leaders nationalistes. Macron a mis sur pied un vrai-faux machin-truc appelé « Conseil présidentiel pour l’Afrique ». C’est pour tromper les naïfs et se donner des airs de seigneur sage qui écoute les conseils et les recommandations de ses savants triés sur le volet. Mais il n’y a qu’à fouiller dans le CV et le parcours des membres de cette piètre équipe de saltimbanques de cirques, pour comprendre qu’il ne s’agit que des résidus rajeunis et maladroitement maquillés de la France-Afrique.
A quoi faites-vous allusion ?
A rien ni à aucun pays particulièrement. Je vous indique simplement ce qui dans le jargon didactique de la diplomatie, relève des postulats inaltérables à prendre en considération avant toute tentative de projection ou de programmation des rapports entre Etats et groupes d’Etats. La longue histoire traversée de drames d’infantilisations et de luttes de libérations étouffées des anciennes et dans certains cas toujours colonies françaises, n’offre que très peu de fenêtres de mutations positives volontaristes et institutionnelles. Il y a absolument besoin de constructions de rapports des forces nouveaux pour ébranler l’édifice granitique du couloir maudit franco-africain. Objectivement la France ne serait rien sans l’Afrique, mais l’Afrique serait une boule de cristal et un véritable paradis sans la France.
Quand vous parlez de construire, est-ce à dire qu’il faille développer des oppositions plus efficaces et plus combatives ?
Ce que je dis n’a rien à faire avec l’opposition politique, au contraire, il faut une opposition qui soit un retournement complet de la société, des mœurs politiques et une approche totalement inversée de la perception des rapports internationaux. Je crois que l’exemple du Rwanda à côté parle à suffire sur la démarche à entreprendre et le genre de dirigeant nécessaire pour réussir la mutation, la transformation et la révolution. Sans cela, sans ces atouts, nous aurons du mal à nous défaire de l’étau français
Ne glissez-vous pas ici sur le débat concernant la monnaie, principalement le destin du Francs Cfa que l’on ne cite plus ?
La problématique de faire ou de ne pas faire avec le Francs CFA est plus une partie du problème qui se pose que le cœur du problème, contrairement à ce que j’entends de certains analystes panafricanistes. Une fois que des mutations positives et progressistes seraient intervenues dans la société du fait de l’émergence d’un dirigeant effectivement patriote, et de forces sociales et intellectuelles éminemment conscientes et révolutionnaires, tous les autres attributs de la dignité et de la souveraineté se mettront en place. Cela va de soi.
On entendu des gens crier parce que l’Ambassadeur des Etats Unis avait conseillé au président Paul Biya de penser à passer la main, pour entrer dans l’histoire. Croyez-vous que Macron aurait fait la même chose, ou alors qu’il partage ce point de vue, cette démarche ?
Et si je vous disais que quelque part, l’ambassadeur n’aura été que la voix de la France, que le porteur d’un message devenu ambiant dans les chancelleries occidentales ? Il faut lire entre les lignes, entre les signes, entre les gestes. L’élévation de la voix dans la pratique diplomatique, ou encore la tradition des communiqués, déclarations et autres expressions de positions sur l’évolution d’un pays, fut-il ami ou ennemi, n’est, une fois de plus, que la consécration de l’existence même de la diplomatie, son essence à la fois doux et brutal, protocolaire et farfelu, gentil et méchant, souple et rigoureux. C’est le contexte, le temps, la portée et l’interprétation qui valorise ou dévalorise la démarche.
Voulez-vous soutenir que Macron serait en embuscade ?
En quoi la position de Macron serait-elle contraire ou plus importante ? Je vous l’ai déjà signifié, à savoir que la ligne politique de la France dans sa relation avec ses anciennes colonies demeure infantilisante, conservatrice et protectrice des valeurs et des intérêts trop anciens. Paris n’a presque pas de mots pour parler des pouvoirs de Brazzaville, Yaoundé, Libreville et Ndjamena. Les gros mots sur la démocratie sont destinés à la Syrie ou encore le Venezuela et autres contrées ailleurs. Lorsqu’il s’agit de l’Afrique, les discours sont doux et fuyants, et vous n’entendrez pas de demande de commission d’enquête internationale, ou encore de communauté internationale qui bouge, qui est choquée, qui réclame le respect des droits de l’Homme. C’est très triste n’est-ce pas ?
En clair, Macron n’a pas de politique africaine ?
Mais pourquoi voulez-vous que ce jeune homme invente le soleil, qu’il réécrive l’histoire, qu’il invente de nouveaux paramètres de lecture et de travail géostratégiques et géopolitiques ? Est-ce sa faute si plus 80% des cadres au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire sont de culture francophone et ont été formés à la langue française ? Est-ce sa faute si tout ce beau monde, ne commence à découvrir l’étranger qu’en se rendant en France, souvent avec femmes et enfants ? Est-ce sa faute, s’ils s’accommodent des systèmes et régimes autocratiques et sont incapables de révoltes et de révolutions ? Macron est le président de la France et il s’assure que les intérêts de la France soient préservés, y compris en se taisant sur les malheurs des peuples ailleurs, les nôtres par exemple.
Je dois donc comprendre que même pour les élections qui s’annoncent au Cameroun, la France va se taire, regarder faire, sans émettre un jugement ?
Tiens, elle sera la première à reconnaître le résultat et à féliciter l’heureux vaincoeur, toujours connu d’avance, même si le quai d’Orsay, comme toujours, émettra quelques regrets sur quelques dysfonctionnements sans gravité sur l’issue du scrutin. C’est un langage codé, planifié et rodé qui dans la pratique diplomatique, magnifie « la stabilité », le statut quo, et la poursuite du business des réseaux comme toujours, comme avant. Tant pis pour les parieurs en eaux troubles qui se lancent dans des compétitions sans règles transparentes, et avec la certitude de la défaite, si seulement on ne les arrête pas pour les fesser après.
Pensez-vous que la France peut demander aux Etat Unis de laisser le Cameroun tranquille, en disant par exemple, « quitte là, c’est mon manioc » ?
Vous me faites rire. La France le fera en passant par où, avec quelqu’un de brutal et de rugueux comme TRUMP à la Maison Blanche ? Washington a retrouvé les accents des lendemains immédiats de la guerre de 1939 – 1945 quand les milliards de dollars du plan Marshall étaient déversés en Europe pour la reconstruction. D’ailleurs, Ronald Reagan fit la même chose, en somme : « Taisez-vous en Europe, vous comptez pour combien dans la balance militaire mondiale » ? Quand je parle, vous suivez et c’est tout. Je pense que vous voyez bien ce qui se passe sur le plan commercial avec le diktat des Etats Unis ? Donc, sur l’Afrique, il ne faut pas rêver de voir la France tenter de donner de leçons de patience ou de prudence à TRUMP, parce qu’il se fera rabrouer publiquement. Comme il de tradition, l’ambassade des Etats Unis à Yaoundé, fera un communiqué sur le déroulement des élections, avec des lignes de vérités et de critiques que l’Ambassade ne pourra jamais faire, mas évitera de critiques.
En conclusion, il ne faut rien attendre de Macron ?
Absolument rien, rien et rien du tout. Nous allons avancer vers des crises plus profondes, plus dures et plus meurtrières en Afrique, particulièrement en Afrique centrale où il n’y a clairement aucune visibilité pour des transitions pacifiques. La France croisera les bras, et sauf pourrissement extrême aboutissant à des guerres civiles ou des menaces sûrs, directes et certaines de coups de force militaires, elle continuera à s’accommoder des régimes autocratiques et des dictatures.
Mais Prof Shanda Tonme, ne pensez-vous pas que la lutte contre le terrorisme justifie l’attitude de la France ?
Jamais, on ne saurait forcer une association entre les deux. Comment était donc cette attitude avant l’émergence des groupes terroristes ? Voulez-vous dire que la France se battait pour la démocratie en Afrique avant l’arrivée de Boko Haram, d’Al Qaeda et de l’Etat islamique ? Je ne pense pas. La lutte contre le terrorisme est devenue le prétexte de pérennisation des dictatures et d’orchestration de très graves violations des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est la réalité. Et puis, la France n’a aucunement intérêt à voir se créer des évolutions à hauts débits de démocratisation en Afrique, parce que du coup, c’est sa place, sa présence, son rôle et les termes de référence de l’ensemble de son influence sur la scène diplomatique planétaire qui seront remises en cause. Paris prêche en réalité une démocratie limitée, une forme de libéralisation tropicale qui maintienne sagement le cordon ombilical colonial. N’oubliez jamais qu’il y a toujours un fossé entre le candidat et la président élu qui entre en exercice et affronte la réalité quotidienne des rapports mondiaux.
Tout de même, Macron ne donne-t-il pas des signes d’une différence ?
Soyons suffisamment clairs et précis sur le sujet. Il y a incontestablement une différence de style que même la différence d’âge force. Mais sur le fond, il faut rester concret et objectif à la fois. La politique internationale d’un pays ne tient pas aux têtes, c’est simplement le sentiment de méthode, de présentation et d’opérationnalisation qui compte. Certes, il n’y a presque rien de commun entre un Obama ou un Clinton avec un Bush père et un TRUMP, sauf qu’ils sont tous Américains et élus par leurs compatriotes pour défendre les intérêts de leur pays. Mais sur le terrain, la conduite de la diplomatie dans la région du Proche Orient par exemple, apporte la preuve de la façon dont peuvent s’exprimer de manière totalement différente, les entendements des intérêts des Etats par des gens tous élus pour les défendre. TRUMP a piétiné tous les accords et postulats diplomatiques sur la question de la relation Israélo-palestinienne et bafoué toutes les normes établis à ce sujet, toute chose qu’aucun autre président n’avait osé faire.
Justement, et en voyant Macron agir, on doit s’attendre à quoi ?
Là, vous entrez dans la vision plus large de la diplomatie française globalement. A ce propos, il faut simplement constater une certaine précipitation, une envie de s’affirmer et de s’imposer qui correspond à l’absence d’expérience politique qui lui faisait défaut, et qui revient souvent comme alibi pour relativiser sa maturité. Il a par exemple trop vite et trop fortement embrassé les thèses américaines en politique étrangère, avant de commencer à se raviver devant certains actes fougueux du maître de la Maison Blanche. Sur la Syrie par exemple, il a péché par mimétisme et par soumission au complexe militaro industriel. TRUMP tenait à montrer qu’il est différent d’Obama, et les industriels français tenaient à tester leurs nouveaux systèmes de missiles de croisière. Macron s’est laissé prendre à ce jeu, mais en sachant pertinemment que les histoires d’attaques chimiques n’étaient qu’un mauvais alibi guerrier et provocateur. Qu’importe, puisque des deux côtés de l’Atlantique, des assurances existaient que Moscou ne prendrait pas des mesures radicales pour les affronter en détruisant leurs missiles et en abattant les avions, bien que disposant très largement des moyens suffisants pour le faire.
Faut-il conclure à l’existence d’une vision typiquement macronienne de la diplomatie française ?
Que ce soit sur l’Europe ou sur la relation avec les Etats Unis, il n’apporte vraiment rien de nouveau. Sarkozy s’était montré encore plus excité, plus atlantiste et plus européen que lui durant la première année de son mandat. La rupture avec Sarkozy se situe dans l’élégance, la finesse et un certain soin dans le genre intellectualiste et moderniste, en même temps qu’il met en exergue l’ensemble de son équipe avec une autorité rangée et assumée. Quant à la rupture avec Hollande, c’est la résolution, la détermination et l’assurance, toute chose qui a grandement fait défaut à son prédécesseur immédiat d’ailleurs considéré comme un président par accident, un parvenu en dépit d’une relative expérience dans le champ politique et partisan. A ce propos, j’espère que vous vous souvenez que Hollande n’a été parachuté à ce niveau, qu’après la rocambolesque affaire Nafissatou Diallo qui a ruiné la carrière internationale et nationale de l’ancien Directeur Général du FMI que tous les sondages donnaient élu presque sans concurrent.
Une comparaison entre Macron et Obama est-elle possible ?
Oui et non. Oui, si l’on considère la jeunesse des deux chefs d’Etat, mais non si l’on se penche sur leur personnalité, leur méthode et leur démarche. Certes, il y a une certaine élégance concrète dans l’approche des sujets, mais qui disparaît dans le champ de l’action. Barack Obama a réussi à être le seul Président des Etats Unis à n’avoir pas véritablement commencé une guerre, ni engagé les Etats Unis dans une aventure susceptible de conduire à la rupture de la paix et la sécurité internationales. Il a tenu parole sur nombre de sujets diplomatiques sensibles et résister valablement et surtout solidement au lobby Juif. On lui reproche l’échec sur la fameuse ligne rouge, mais il avait plutôt trop bien compris que la théorie des armes chimiques n’était qu’une fabrication de la CIA pré-positionnée pour anticiper sur la justification du lancement des hostilités punitives, vexatoires et destructives réminiscences de la guerre froide. Il y avait déjà la même bêtise honteuse pour commencer la guerre en Irak le 19 mars 2003 et abattre le régime de Saddam Hussein. Il y a lieu d’être fier de ce premier président américain Afro-américain, même si par ailleurs, on lui attribue finalement un bilan nettement moins bon que celui de son prédécesseur Georges W Bush sur la relation de coopération avec l’Afrique.
Globalement, Macron face aux Etats Unis, qu’en dites-vous ?
C’est une excellente question. Je dirai tout simplement qu’après l’excitation et une certaine passion pour l’alliance stratégique entre l’Europe et les Etats Unis, le jeune président est en train de revenir sur terre avec les mesures commerciales unilatérales décidées par Washington. De même, on constate le retour à un souci d’équilibre concrétisé par le voyage effectué en Russie où il a assisté au Forum économique de Saint-Pétersbourg. La France jouit sur la scène diplomatique mondiale d’une réputation de stabilisateur dans les jeux et enjeux idéologiques et ne saurait se laisser entraîner dans une litanie grossièrement anti-communiste et trop partisane. Macron doit relever le défi et maintenir ce statut sans lequel, nous allons nous installer dans une autre guerre froide aux conséquences d’une extrême dangerosité. Il lui revient de tirer l’Europe dans ce sens et de contenir, y compris en les corrigeant, les fougues maladroites des pays alliés de l’Europe de l’Est à l’instar de la Pologne, de la Bulgarie ou encore de la Tchéquie. Ces derniers pays sont proprement des troubles fêtes et jouent souvent avec le feu, un feu de provocation et de discours irresponsables dont Washington semble s’accommoder, mais que Moscou ne saurait tolérer indéfiniment.
Quelle chance de réussite réservez-vous à Macron ?
Je ne peux m’exprimer que pour le domaine qui est le mien, en somme la diplomatie. A ce propos, il faut déjà admirer ce que les Français ont fait en se donnant un Chef d’Etat jeune, dynamique, brillant et très volontaire. C’est une leçon retentissante de démocratie et de maturité pour un peuple. C’est aussi une leçon pour l’Afrique, sans aucun doute un message cinglant à la vieille, très vieille et croulante génération de prédateurs qui a pris le continent en otage dans quelques pays. Il ne sert à rien de crier sur les occidentaux ou d’insulter un président des Etats Unis ou son ambassadeur. Nous sommes petits, trop petits par rapport à ces gens. Il y en a qui croient que parce qu’ils voyagent en première classe et disposent de véhiculent de luxe et de téléphone de grande marque, ils peuvent parler à l’Ambassadeur des Etats Unis, en prétextant des broutilles de souveraineté. Soyons sérieux, le jour où ces gens décident de finir avec vous, ils le font sans entraves ni hésitations ni résistances quelconques. Ben Laden avait beau se cacher, ils sont allés le dénicher au Pakistan et ont fini avec lui. Avis aux apprentis sorciers des tropiques qui pavoisent sur les chaînes de télévision quelconque. On ne se moque pas impunément de la première et impressionnante super-hyper-puissance planétaire.
Voulez-vous évoquer la récente brouille entre les Etats-Unis et le Cameroun, quand l’Ambassadeur de ce pays a conseillé au président Paul Biya de savoir se retirer pour entrer dans l’histoire ?
Sans aucun doute, mais je m’exprime de façon générale et ne prends qu’un exemple qui aurait bien pu concerner la Chine, la Russie ou l’Allemagne. Essayez de faire mieux que l’Amérique au lieu d’insulter l’Amérique. A un certain niveau de considération, l’invective et l’injure deviennent la jalousie pure et simple. C’est le propre des fainéants, des paresseux, des complexés et des tricheurs. Nous vivons amplement ce schéma en interne au Cameroun, et partout ailleurs dans les sociétés attardées où sévissent la mauvaise gouvernance, le sectarisme et la haine des mandarins sociaux et politiques illégitimes. Tant mieux pour la France et les Français s’ils peuvent continuer à nous commander, à nous imposer des potentats en lieu et place de dirigeants depuis plusieurs siècles. Personne en France ne souhaite que l’Afrique les commande un jour. D’ailleurs, je ne pense pas que vous souhaitez en tant que parent, que quelqu’un qui a toujours été dernier ou derrière votre fils, prenne sa place. Soyons logique. Macron réussira s’il maintien bien la place dominatrice de la France par rapport à l’Afrique.
Revenons sur l’Afrique. Que vous inspire la réception en grande pompe de Paul Kagamé à l’Elysée
Oh, c’est comme si vous lisez dans ma pensée. Il fallait bien me poser cette question. Je vous demanderai simplement de constater comment on traite un grand qui se prend pour un grand et se comporte comme un grand. Le Rwanda est parvenu aujourd’hui à intimider la France, à changer complètement le sens des rapports des forces, à inspirer et à imposer le respect. Ce petit pays de collines est une véritable merveille de volontés, d’ambitions, de réalisations et de constructions dorénavant. Kagamé a beau être dictateur, il est quelque part le nouveau modèle, une sorte de référence dictatoriale faite de lumières et d’espérances objectives de développement et de renaissance d’une certaine dignité pour l’Afrique et les Africains. L’histoire est parcourue de dictatures qui ont porté des nations des bas-fonds vers les sommets. Voici un autre exemple qui parle.
Croyez-vous que la France soutiendra effectivement la candidature du ministre rwandais des affaires étrangères à la tête de la francophonie contre la canadienne Michaelle Jean ?
Bien sûr que oui, mais ce sera un soutien sans effets. Tout a été arrangé et je crains même de vous révéler que nous sommes à nouveau en présence d’un coup fourré diplomatique. Par tradition et par données factuelles réelles, il n’y a pas de raison qu’un haut dirigeant d’une administration internationale, ne se fasse pas élire pour un deuxième mandat, c’est très rare. Par ailleurs, sur un plan objectivement géopolitique, la rwandaise aligne nettement moins d’atouts que la tenante actuelle du poste, la canadienne. A Paris, Ottawa, Dakar, Abidjan, et ailleurs, partout dans les grandes chancelleries des ténors francophones, on sait, on sait, on ne sait que trop, que la Rwandaise ne passera pas. Macron a capitalisé sur un effet d’annonce pour montrer la volonté de sortie de crise dans la relation avec Kigali et c’est tout. Et comme souvent, chacun des deux partenaires y a trouvé sin compte. N’oubliez surtout pas, que Michaelle Jean, porte le symbole de trop de paramètres fédérateurs, rassembleurs et intégrateurs : Noir ; caribéenne ; Américaine ; Africaine ; Européenne. Qui dit mieux ? Un peu le genre de candidature à la Ouattara qui était Ivoirien, diplômé des universités américaines, mariée à une française juive, ancien Directeur général adjoint du FMI, ancien premier ministre, Musulman, ancien Gouverneur de la BCEAO. On ne se lève pas un matin pour battre ce genre de candidat, et mieux, si comme dans le cas d’espèce, s’ils sont déjà en place et désirent être reconduits.
Reparlons de la Libye et donc de la stratégie Macron pour l’immigration sauvage. Réussira-t-il à pacifier la Libye et à stopper le mouvement ?
C’est une bataille perdue. L’Europe sera irrémédiablement envahie par les misérables d’Afrique et d’ailleurs. La méditerranée est à un pas en réalité, et je ne vois pas ce qui va stopper les départs. Moi-même je suis parti, et ce n’était pas encore comme maintenant, ni en termes de contexte économique et social, ni en termes de qualifications strictement personnelles. La détermination de quelqu’un qui veut partir est sans limites, et avec le désespoir dont on a gratifié nos pays, il n’y a rien à faire. Vous avez vu comme moi le jeune malien qui a escaladé les murs d’un immeuble les mains nues. Dans mon parcours, j’aurais fait encore mieux que cela, eu égard à la détermination qui était la mienne durant ma longue et périlleuse aventure.
Mais professeur Shanda Tonme, voulez-vous dire que vous êtes un kamikaze que vous avez été ou que vous pouvez être un kamikaze.
Ce que je veux vous dire c’est que la misère construit la détermination et la détermination permet de vaincre les plus redoutables obstacles. Les enfants qui partent ont cela dans le sang, la tête, le corps, les bras, les pieds et les yeux. Lisez les quatre livres de mon autobiographie et vous comprendrez ce que je vous dis. L’Europe sera envahie, fait quoi fait quoi. Et ce sera la bonne cause. Ils n’ont qu’à commencer par nous aider à nous débarrasser de nos piètres gouvernants et prédateurs sans foi ni loi. Lorsque l’on blague avec le destin des peuples ailleurs, en se croyant tranquille et sécurisé dans ses belles cités modernes et ses merveilles technologiques, on finit par voir arriver tous les misérables du monde. C’est comme si quelqu’un refuse de curer les caniveaux en s’estimant à l’abri, et un jour il est envahi par les détritus des dits caniveaux. Nos pays ne sont plus loin de ressembler à des caniveaux. La seule façon pour la France et les autres de se protéger, c’est de prendre des mesures pour nous aider à curer les caniveaux. Mais que ceux qui veulent partir partent. Ceux qui restent se battront et renverseront les régimes de prédation pour refonder une autre Afrique, pour faire renaître l’espoir des cendres des batailles de rue, des guerres civiles et des génocides.
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Entretien mené par Alain Njipou
du quotidien « Le Messager »
Douala, le 1er Juin 2018