L’ASSURANCE MALADIE EN PPP : UNE ABSURDITE CAMEROUNAISE

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De tous les mécanismes qui permettent à un Etat ou une collectivité territoriale des travaux en outsourcing, les PPP sont parmi les plus prisés des économies capitalistiques actuelles. Toutefois, s’il est aisé de faire construire une route ou un stade en PPP, confier une vie au destin d’un PPP est une expérience qui relève de la privatisation pure et simple des prestations de santé au sein d’un Etat dont la garantie de services est la responsabilité première.

D’une part je me réjouis que les autorités camerounaises se penchent enfin sur le problème de la couverture maladie, mais je dois avouer que je suis surpris qu’elles aient fait un choix aussi détonnant que le PPP.

J’entends expliquer dans cette tribune l’abscons d’une prestation de maladie par une entreprise privée, en lieu et place d’une organisation adéquate du circuit économique global.

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Je l’ai souvent dit et redit : le parti au pouvoir et les gouvernements issus de ses rangs ne seront jamais la solution pour les maux des camerounais. Ils (parti et gouvernement) ne représenteront jamais le port idoine pour le navire Cameroun dans lequel nous sommes embarqués, à peine nés au sein de ce triangle national qui esquisse le sens de nos existences en même temps que nos essences.

La raison de cette affirmation péremptoire sentencielle est simple : les autorités camerounaises pèchent par leur incapacité structurelle (j’allais dire originelle) à se réinventer, à imaginer, à faire preuve d’authenticité créatrice et ceci, parfois même quand leurs initiatives (rares) sont mues par une bonne volonté sous-jacente. Même lorsque leur libéralité épisodique les incline à des actions publiques mues par le sens de l’intérêt collectif, la maladresse de leurs hésitations suffit à masquer la majesté souterraine de certaines initiatives.

POURQUOI IL EST BON DE S’INSPIRER PROPREMENT DE CE QUI MARCHE AILLEURS

Le problème des entités fermées est qu’elles peinent à s’approprier l’esprit des idées que d’autres ont esquissées et développées.

Depuis les années 1950 aux USA, nous devons au courant ethno méthodologique de Garfinkel la notion d’accountability qui laisse supposer une autoreprésentation et une auto organisation du corps social quelle que fût la contrée où il se déploie. Ainsi, les hommes s’organisent de manière autonome, mais l’on sait aussi qu’un groupe homogène n’est jamais rigoureusement stable puisque des forces oscillent autour d’un noyau qui est garant de la stabilité de l’édifice.

Ces forces sont autant endogènes qu’exogènes et les apports extérieurs enrichissent une culture, à condition qu’ils soient repensés comme des variables d’ajustement du système en constituant des externalités positives.

J’affirme ici que les techniques héritées de l’étranger ne sont pas toutes transposables de façon brute et il faut en comprendre l’esprit, la philosophie sous-jacente pour leur donner un caractère positif au sein d’un système.

Avant d’aller plus en avant dans cette tribune, j’entends expliquer en quoi au LCN, nous avons toujours essayé de rester objectifs, tentant autant que possible d’opposer la lumière de la raison aux arguties obscurantistes de l’opposition systématique et incantatoire : ce n’est pas parce que nous nous considérons comme étant de l’opposition que tous les actes du gouvernement sont à dénoncer. Mais, en ce qui concerne cette chronique, je vais essayer de faire acte de pédagogie afin d’être intelligible par tous.

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LCN A ETE PIONNIER DANS LA LUTTE POUR LA MISE EN PLACE D’UNE ASSURANCE MALADIE AU CAMEROUN

Depuis des années, disais-je, le parti LCN a appelé à la mise sur pied d’une assurance santé pour tous les Camerounais. Nous en avons fait notre cheval de bataille et chiffré tous les financements qui ont été présentés lors de la convention de la plateforme pour une nouvelle république le 22/09/2018 autour du bâtonnier Akere Muna.

A l’époque, nous avions eu l’occasion d’expliquer que cette assurance maladie pouvait se faire par financement participatif avec 2 parts complémentaires : une part contributive et une part subventionnée à hauteur de 70%. Ce type de mécanisme est censé garantir la pérennité de l’organisation amenée à perdurer dans le temps grâce à un système de cotisations et une plus-value budgétaire répondant aux recommandations de l’initiative de Bamako de 1985, qui ramènerait la part de budget des Etats à 15% pour les besoins de cette assurance. Rappelons que les ménages camerounais supportent leurs dépenses de santé pour plus de 70 à 80% depuis l’indépendance. Vous retrouverez mes différentes interventions sur les politiques sectorielles dans ces vidéos disponibles sur YouTube ou en suivant ce lien : https://sites.google.com/view/lecamerounnouveaucom/lcn-videos?authuser=0

L’autre volet de cette assurance serait alimenté par un système de prélèvements avec une réforme du système de prévoyance sociale dont les cotisations seraient revalorisées à la faveur d’une quatrième branche (en plus des prestations familiales, des AT et de la branche vieillesse), permettant ainsi à tous les assurés de bénéficier d’une solidarité à la fois intergénérationnelle et citoyenne par ailleurs.

Nous avons toujours pensé qu’à l’instar des autres systèmes de sécurité sociale au monde, ce mécanisme bicaméral aurait l’avantage de permettre une permanence des soins pour tous les assurés, surtout pour les camerounais économiquement les plus défavorisés.

Avec un tel système, tous les contribuables camerounais participeraient à l’effort national pour une santé pour tous, aussi bien les personnes physiques que morales avec une participation sociale solidaire qui pourrait générer annuellement plus de 150 à 200 milliards de FCFA par an. Un tableau illustratif a été présenté à ces différentes occasions pour en démontrer la faisabilité technico-économique.

A la place d’un système subventionné, le gouvernement camerounais a fait le choix d’une privatisation de la couverture santé universelle par l’entremise d’un prestataire coréen. A la faveur d’une annonce en caractères gras qui a fait la Une des nombreux quotidiens camerounais depuis quelques jours, nous avons appris la signature d’un contrat en PPP.

D’abord un décret du premier ministre signé le 26 juin qui annonce la mise sur pied de la couverture santé universelle, suivi de la signature le 27 aout de la signature proprement dite du contrat de PPP.

La société SUCAM SA est un opérateur coréen et c’est celui qui sera chargé de concevoir, réaliser, exploiter pendant 17 ans la CSU avant d’en transférer la gestion à l’Etat du Cameroun, moyennant une enveloppe budgétaire de 1300 milliards de FCFA. Cette société coréenne sera suppléée par des partenaires camerounais dont High Tech Telesoft Cameroon SA, GK Engineering et Développement (société de droit coréen : Pourquoi ?) et de New Tech Management Malta.

Si l’idée de l’assurance maladie est bonne (je rappelle qu’elle a été revendiquée par de nombreux partis politiques depuis plus de quinze ans), son annonce se heurte à l’absurdité de sa mise en place telle qu’annoncée, c’est-à-dire à travers les mécanismes usités dont seuls en ont le secret les camerounais : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une assurance maladie privatisée sous la forme d’un PPP (Partenariat Public Privé). Que l’on ne me parle surtout pas d’une assurance maladie universelle car c’est un prêt avec des taux d’intérêts qui vient d’être paraphé par les autorités camerounaises pour la prise en charge des frais de santé payés par les Camerounais !!! Je m’explique.

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D’abord, je vais commencer par expliquer en quoi l’assurance maladie est une bonne chose, ensuite expliquer ce qu’est un PPP et pour finir, je démontrerai en quoi le choix du gouvernement est celui de la facilité et comporte une part d’irresponsabilité.

L’assurance santé universelle est indispensable pour tout pays pauvre

A la suite du rapport Beveridge (Report on social Insurance and Allied Services) paru en 1942 en Angleterre, du nom de l’économiste libéral William Beveridge, qui permit l’instauration de l’Etat Providence, des systèmes d’assurance maladie furent implémentés en Grande Bretagne dès 1942.

En France, il fallut attendre la 2e guerre mondiale pour qu’au sortir de celle-ci, le général de Gaulle s’offusque de la misère rampante des Français et décide par un dirigisme et un volontarisme d’Etat d’instaurer le système d’assurance maladie universelle tel que nous le connaissons. C’est une ordonnance du Général de Gaulle, datée du 19 octobre 1945 qui instaura la sécurité sociale en France.

Ce système est basé sur des cotisations due par tous les contribuables, d’abord par les employeurs qui paient pour leurs salariés, mais aussi par les employés eux-mêmes qui cotisent pour leur propre santé. Il y a donc à côté du budget fiscal de l’Etat, un budget social de valeur équivalente qui contribue au volet social et constitue une soupape de sécurité palliant aux carences du système libéral du XIXe siècle. En 2018 en France, la sécurité sociale a versé 470 milliards d’euros de prestations sociales diverses et est financée par les cotisations sociales sur les actifs et les entreprises (54.2%) et la CSG (26.2%).

Depuis 2018, à la faveur de l’arrivée de Emmanuel Macron, la Contribution sociale généralisée (CSG) a connu une évolution et s’applique dorénavant à tous les contribuables aussi bien du capital que du travail qui cotisent au titre de la CSG.

A titre d’exemple, la CSG atteint 9.2% sur les revenus d’activités, 9.9% sur les revenus du patrimoine et 8.6% pour les revenus des jeux.

Autant dire que le budget social obéit d’abord à une logique de partage du risque de précarité et de la volonté de permettre à tout Français de pouvoir se soigner ; ce qui fait dire à bon nombre de Français qu’ils ont le meilleur système de sécurité sociale au monde. Il est basé sur la solidarité et l’effort de tous pour le libre accès aux soins. Autant dire que dans un pays pauvre très endetté comme l’est le Cameroun, l’effort premier du gouvernement aurait été de mettre en place un mécanisme pérenne qui permette la gratuité des soins et l’effort de tous. En cas de déficit comme c’est le cas en ce moment et depuis quelques années, les taux sont revus à la hausse et l’assiette est tout autant revue afin d’en permettre l’équilibre.

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Ce mécanisme est basé sur un partage des risques et le Welfare State en est le substrat idéologique.

Pourquoi le PPP n’est pas adapté à des dépenses de santé

Pour commencer, une mise au point d’autorité : les PPP n’ont pas été conçus pour gérer des prestations de santé mais plutôt des ouvrages d’art, des constructions et autres infrastructures qui ne relèvent en rien des besoins physiologiques humains !

Comme l’assurance maladie en Europe, les PPP viennent de la Grande Bretagne et furent plutôt connus en 1992 sous la forme des PFI (Private Finance Initiative) sous le gouvernement de John Major. Le principe du PPP est simple : il s’agit d’un contrat de concession, c’est-à-dire qu’une puissance publique telle qu’un Etat, une collectivité territoriale s’attache les services d’une société privée qui réalise pour son compte des services, des infrastructures qu’elle peut concevoir, réaliser et exploiter pendant de nombreuses années (ils dépendent du type de contrat soit BOT = Building Operate Transfer, BOOT, BOO…). Exemple : pour la construction d’autoroutes, l’Etat Français a recours à des PPP, ou pour la construction de stades, de gymnases, etc…

Au Cameroun, ils sont de plus en plus utilisés depuis quelques années. En contrepartie de cette réalisation, la société concessionnaire se rémunère auprès des usagers, de l’Etat qui s’engage à lui verser une rente annuelle et à lui garantir des profits planchers qui permettent d’augmenter les tarifs.

L’exemple le plus récent en France fut le gel des augmentations de tarifs des péages en 2015 par la ministre Ségolène Royal, mais que les concessions telles que Vinci ont revendiqué grâce à la rigidité des contrats ficelés de main de maître par les ingénieurs d’affaires. Au final, ce sont les usagers qui paient plus de 500 millions d’euros gelés aux sociétés concessionnaires grâce des rattrapages étalés en 2019 et en 2023. J’ai traité de la nécessaire articulation entre ces politiques publiques ambitieuses et des logiques privées dans mon ouvrage best-seller paru chez Eyrolles dont le lien suit :  https://www.eyrolles.com/Accueil/Auteur/henri-georges-minyem-76612/

Comment comprendre donc que les autorités camerounaises aient fait le choix d’un partenariat public privé avec des sociétés privées dont le coréen SUCAM SA?

A première vue, l’on peut imaginer que le manque d’expertise dans le domaine de la sécurité sociale ait justifié le recours à un partenaire étranger, bien que je doute du savoir-faire des coréens en matière de sécurité sociale.

Mais le plus grave est l’argument financier.

En effet, la société coréenne va mettre sur pied un système clé en mains. Ce qui signifie que c’est un BOT ou un BOOT. Or sur un BOT, il y a des taux d’intérêts sur les fonds investis dont l’Etat Camerounais devra s’acquitter tous les ans. Certains PPP ont des taux prohibitifs pour les collectivités et en France, de nombreuses ont dénoncé les contrats face à l’appétit féroce des concessions qui ont risqué la faillite de certaines collectivités. Le cas de la Seine Saint Denis d’il y a quelques années sous l’ère Bartolone devrait en faire réfléchir plus d’un.

Ce qui signifie que le système devra être rentable et si l’Etat ne peut rembourser, ce sont les contribuables, les ménages Camerounais qui en supporteront les surcoûts. A défaut de penser un système pérenne, l’on va se retrouver à alimenter un endettement cumulatif dont seront redevables, non pas les bénéficiaires mais plusieurs générations de Camerounais dont beaucoup ne sont même pas encore nés.

Voilà comment on passe d’une bonne idée à un bricolage qui n’est rien d’autre qu’une privatisation d’un système qui au départ, est la propriété en même temps que la responsabilité d’un Etat, et qui devrait relever d’une fonction régalienne, c’est-à-dire un bien public, dans une République.

Au final, l’Etat Camerounais privatise tout, même la santé de ses citoyens en lieu et place de la conception d’un mécanisme intrinsèque de financement de l’assurance maladie. Mais je l’ai dit en préambule : l’imagination fertile n’est vraiment pas le fort de l’Etat camerounais.

Retenez ceci : A chaque fois que l’Etat Camerounais se délestera d’une responsabilité sociétale structurante, c’est un peu de la souveraineté nationale que nous Camerounais, allons perdre. Et la santé est d’abord une responsabilité d’Etat.

Prof. Henri Georges Minyem

Professeur de grandes écoles d’ingénieurs/Enseignant à l’université de Paris VII-Diderot

Président du parti politique LE CAMEROUN NOUVEAU (LCN)

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