Menaces illégales d’Atanga Nji contre Equinoxe Tv
Dérives. Depuis la dernière élection présidentielle, le ministre de l’Administration territoriale multiplie menaces et injonctions aux médias privés indépendants, outrepassant ses missions et empiétant sur celles du régulateur national.Le 18 mars 2022, le gouverneur de la région du Littoral, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, adresse au président directeur général du Groupe « Equinoxe Télévision » une lettre administrative dénonçant des « Incitations répétées à la révolte par Equinoxe Tv ».
Agissant sur instruction de sa hiérarchie qu’est le ministre de l’Administration territoriale (Minat), le gouverneur accuse le média à capitaux privés d’« incitation au soulèvement populaire contre les institutions républicaines ». Une copie de cette lettre est envoyée aux ministres de l’Administration territoriale, de la Communication et au Conseil national de la Communication (Cnc). Il s’agit d’une mise en garde contre la chaîne émettant sur les berges du Wouri à Douala, et dont l’effort en vue de préserver son indépendance et son professionnalisme dans le traitement des informations lui vaut de la sympathie auprès d’un large public camerounais. Il est reproché à la chaîne de n’avoir pas, au cours d’un débat télédiffusé le 27 février, recadré un panéliste appelant les parents d’élèves à se joindre à une grève lancée par les enseignants à travers le territoire.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle mise en garde est adressée à des médias privés par des membres du gouvernement camerounais. Au cours d’un point de presse à Yaoundé, le 9 mars 2019, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji avait accusé plusieurs médias privés, dont le quotidien Le Jour et le groupe Equinoxe Télévision, d’être des relais des Organisations non gouvernementales elles-mêmes accusées de « fabrique de faux rapports » sur le Cameroun notamment dans la guerre que les forces de défense mènent contre des groupes armés dans les régions anglophones du pays et dans l’Extrême-Nord contre la « secte » Boko Haram.
En mars 2020, le Minat s’en prenait à nouveau à Equinoxe Télévision et à d’autres médias, les qualifiant de « Radio des mille collines ». Il leur rappelait alors le proverbe suivant : « Celui qui vend les œufs ne cherche pas la bagarre ». Allusion une fois de plus au soutien supposé desdits médias à la tribu bamiléké, dont la prospérité économique est reconnue, et que des pontes du pouvoir accusent de convoiter aussi le pouvoir politique.
« Un instrument politique »
Le 1er avril 2022, moins de deux semaines après les menaces écrites du gouverneur contre Equinoxe Télévision, le Cnc, qui avait déjà amplifié verbalement lesdites menaces, prononce la suspension du Pdg de la chaîne et de son rédacteur en chef, tous deux journalistes.
Une coïncidence qui a convaincu des observateurs avertis de la connivence entre les pouvoirs publics et l’organe de régulation, dont la neutralité, l’indépendance et l’impartialité sont ainsi mises à rude épreuve. « C’est de l’arbitraire. Les décisions du Cnc quand elles sanctionnent un média, restent toujours contestables, j’en veux pour preuve, le nombre important de procès intentés contre le Cnc par les médias sanctionnés, et que le régulateur n’a pas gagné. Ce sont des situations qui ne garantissent pas la crédibilité que nous attendons du Cnc », déplore Xavier Messe, journaliste, dans Le
Jour n° 3642 du lundi 04 avril 2022.
Selon lui, cette absence de crédibilité découle du fait que les membres de cette instance sont nommés par le président de la République. Le député Jean-Michel Nintcheu, quant à lui, pense qu’Équinoxe « dérange les néo-conservateurs fébriles et les thuriféraires frileux du système régnant », et en conclut que les sanctions prononcées contre la chaîne privée procèdent « d’une véritable chasse à l’homme ». L’élu appelle l’organe de régulation à « cesser d’être un instrument politique à la solde de certains groupuscules aux visées obscures ». Pour ce faire, p oursuit-il, le Cnc doit montrer la rigueur,l’objectivité et la transparence
dans la régulation des médias.
Créé en 1990 par le président
de la République, le Cnc est
présidé à ses débuts, en 1992,
par un membre du gouvernement, le regretté Félix SabalLecco, mais l’instance sombre
vite dans la léthargie. Ce n’est
qu’en 2012 que le régulateur a
vu ses pouvoirs élargis à la possibilité de s’autosaisir des cas
de dérive et à infliger des sanctions conséquentes.
Confusion de rôle La loi n°90/052 du 19 décembre 1990 circonscrit les compétences du Minat aux seuls supports écrits. « En cas d’atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, la saisie d’un organe de presse peut être prononcée par l’autorité administrative, territorialement compétente (…) l’interdiction d’un organe de presse peut être prononcée par le ministre chargé de l’Administration territoriale », précise l’article 17 de ladite loi, en son alinéa 1. Il n’y est mentionné nulle part que le Minat peut interférer dans les activités du secteur audiovisuel, qui relève exclusivement du ministère de la Communication et du Cnc.
Il ne revient donc pas au Minat ni à ses services déconcentrés de convoquer les responsables d’Equinoxe Télévision comme l’a fait le Préfet du Wouri, ou de la menacer de suspension comme cela transparaît dans la lettre administrative du gouverneur du Littoral : « Je vous mets de ce fait en garde contre toute récidive face à laquelle sera appliquée la loi dans toute sa rigueur car, lorsque le seuil de la provocation atteint l’intolérable, la liberté d’expression perd tout son sens », y est-il précisé.
Elaborée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Déclaration de principes sur la liberté et l’accès à l’information en Afrique traite, entre autres, de l’indépendance des médias, dont elle encourage la diversité et le pluralisme. Le principe 17 énonce que « L’autorité publique chargée d’exercer des pouvoirs dans les infrastructures de radiodiffusion, des télécommunications ou de l’internet, est indépendante et suffisamment protégée contre les ingérences de nature politique, commerciale ou autres. ».
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Ni le Cnc, dont nous avons saisi le président via WhatsApp depuis le 20 avril, ni la chargée de la Communication du Minat, contactée par nos soins le 06 mai, n’ont apporté un quelconque éclairage à nos préoccupations. « Vous voulez que je parle au nom du ministre ? », nous a-t-elle demandé avant de nous suggérer d’adresser un protocole d’interview qui sera transmis à qui de droit.
Théodore Tchopa (Jade)
Source: Le jour n°3670 du mardi 17 mai 2022