Afrique centrale et longévité au pouvoir une culture de la jouissance et de la mort: Paul BIYA & Co PLUS D’UN SIECLE DE POUVOIR

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En 2005, Icicemac et Le Messager publiait l’article de Achille Mbembé sous le titre: PLUS D’UN SIECLE DE POUVOIR. Dix sept ans plus tard rien, presque n’a changé en Afrique centrale. Omar Bongo a cedé sa place à son fils Ali Bongo, il en est de même de Idriss Deby qui a cedé sa place à Kaka Deby. Si Omar Bongo est mort de suite de maladie, Idriss Deby quant à lui fut tué au combat. La particularité de ces deux regimes est que les fils ont succedé à leurs pères, faisant de leurs régimes une sorte de présidentialisme héréditaire. Lisez l’article

Paul Biya (Cameroun), Omar Bongo (Gabon), Obiang Nguema (Guinée Equatoriale), Idriss Deby (Tchad), Sassou Nguesso (Congo) : à eux tout seul, ils totalisent plus de cent ans au pouvoir.

Apparemment,  rien- du moins pour le moment – ne semble devoir les en éloigner.  N’ont-ils pas fini par terrasser leurs opposants à coups de blessures ou par voie de corruption ? L’ancienne puissance coloniale elle-même ne mange-t-elle pas  dans leurs mains ? Une masse de gens, avachis par les luttes pour la subsistance, n’a-t-elle pas pris pour de bon le parti de la résignation ?

Une culture de la jouissance et de la mort

Nombreux sont, pourtant, ceux de leurs compatriotes qui, littéralement, souhaitent leur disparition. Au vu de leurs bilans respectifs, celle-ci, qu’elle advienne sous une forme naturelle (maladie) ou sous une forme criminelle (meurtre, assassinat), marquera sans doute un bref répit dans la longue histoire de la souffrance dans cette région du monde. Et Et il est fort possible que pour deux ou trois d’entre eux, cette mort naturelle n’est pas loin, en effet.

En attendant, nos cinq satrapes règnent sur des entités territoriales qui ne constituent point des Etats dans le sens moderne de ce terme. Certes, en exhibent-elles ici et là quelques attributs apparents. Mais quelle différence entre ce bric-à-brac et ce qui, de nos jours, fait la substance réelle des Etats et leur octroie une aura dans le monde. 

À vrai dire, l’Afrique Centrale représente le véritable cœur des ténèbres du continent africain. Aucune autre région du globe ne concentre, en un espace géographique aussi restreint, autant de pouvoirs surannés.

Comme le suggérait autrefois l’écrivain Joseph Conrad, ici plus qu’ailleurs, bêtise et violence les plus effrontées se sont données rendez-vous. Le monde doit à cette rencontre de la bêtise et de la violence cette sorte de cirque typiquement nègre auquel l’on assiste depuis plus de cent ans réunis. C’est ainsi, qu’il s’agisse de l’aménagement de la vie, de la production des biens, ou de la mise en culture de la société.

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En effet, en plus de cent ans à la tête de leurs fiefs respectifs, nos cinq satrapes ont montré sous quels visages pouvait se cacher la force anéantissante du pouvoir. Les résultats sont là. Dans toute la région, la vie est plus brève aujourd’hui que sous la colonisation.

Une culture mortifère a été patiemment produite et enveloppe partout consciences et intelligences. Tout le monde se méfie de tout le monde et doit se protéger d’autrui. Autocrate et piétaille – ils ont tous peur de mourir alors qu’ils ne cessent précisément de produire et de manipuler des forces de mort.

Car, ici, de fait, le pouvoir se fonde avant tout sur la peur de la mort. L’autocrate a peur de mourir. Alors, de manière préventive, il tue tous ceux qu’il soupçonne d’attenter à son pouvoir. Blesser et donner la mort est une condition sine qua non de sa survie.

Ceux qui bénéficieraient à le faire disparaître ont eux aussi peur de mourir. Pour se protéger, ils font tout pour sacrifier la vie des autres à la place de la leur, dans l’espoir qu’ainsi, ils seront épargnés.

Que ce soit au Cameroun, en Guinée Equatoriale, au Gabon ou au Congo, le pouvoir se décline d’abord sur le mode de la jouissance infinie. Il n’a pas d’autre but.

Mort et jouissance donc – tel est le socle sur lequel repose la culture politique des sociétés de l’Afrique centrale. C’est en très grande partie cette culture qui explique le blocage de leurs systèmes politiques.

Et pourtant …

Et pourtant, l’Afrique centrale dispose de bien plus de ressources que bien d’autres parties du continent.

Son potentiel hydrographique est énorme. Elle est riche en forets. Sa diversité écologique est légendaire. A elle toute seule, elle pourrait nourrir les deux tiers de l’Afrique. Ses sols pourraient soutenir un secteur agricole industriel fort varié. Elle regorge de toutes sortes de ressources minérales – le pétrole compris. Elle n’est pas surpeuplée, mais elle dispose, dans l’ensemble, d’une classe de gens relativement bien éduqués.

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Qu’elle ne constitue une région dans le sens plein du terme que sur le papier ne relève pas du hasard. Sur le plan historico-géographique, cette partie du continent a toujours été travaillée par deux courants. Et d’abord un puissant attrait en direction de l’Atlantique. Ensuite une satellisation par les « pays de l’Islam », au sein d’un couloir soudano-sahélien dont on sait qu’il a toujours servi d’exacte réplique aux « pays de la foret ».

Ce clivage est plus accentué dans certains pays plus que dans d’autres. C’est notamment le cas au Cameroun, et bien plus encore, au Tchad. Au sein de ce dispositif, la Centrafrique apparaît comme un vaste « terrain de passage », parfaitement encerclé et sans autonomie.

La colonisation tenta, sans grande conviction, de gérer cette polarité tout en multipliant ses propres contradictions. Au bout du compte, elle préféra la balkanisation de ces para-Etats en lieu et place d’une véritable mise en cohérence qu’aurait exigé une fédération digne de ce nom. C’est de ces bouts d’Etat qu’ont hérité nos satrapes. Des leaders visionnaires auraient tout de suite compris que la survie de ces confettis d’Etat dans un monde devenu global dépendait de la mise en place de véritables politiques régionales pouvant aller jusqu’à l’unification territoriale et politique. Tel n’a pas été le cas. En plus de cent ans de pouvoir, nos satrapes tiennent à ce que les choses demeurent ainsi.

Ainsi, pour se déplacer d’un pays à l’autre, les ressortissants des différents pays de l’Afrique centrale doivent justifier d’un visa.  Aucune route digne de ce nom ne relie une capitale à l’autre. Il n’existe aucun réseau ferroviaire trans-régional. Les communications aériennes et téléphoniques sont aléatoires.

La fragmentation est quasi-totale que ce soit sur le plan spatial ou culturel. Chaque pays vit en quasi-autarcie, replié sur lui-même et miné par ses propres démons. Pas d’échanges universitaires non plus. En fait, de temps à autre, pris par une hystérie de type racial, les gouvernements locaux organisent des expulsions massives d’ « étrangers » jugés indésirables, après les avoir dépouillé de tous leurs biens. Forme typique de la violence du nègre à l’égard de son frère.

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Les possibilités de création des richesses sont pourtant immenses – en tous cas beaucoup plus importantes qu’en Afrique de l’Ouest par exemple, où les efforts d’intégration se sont pourtant accompagnés par des progrès significatifs. Mais encore faut-il, au préalable, s’être débarrassé de bien des contraintes. Les blocages politiques et culturels sont, de ce point de vue, les plus graves.

La priorité aujourd’hui

De toute évidence, la priorité aujourd’hui est de mettre fin, d’une manière ou d’une autre, aux règnes respectifs  de MM. Paul Biya, Teodoro Obiang Nguema, Omar Bongo, Sassou Nguesso et Idriss Déby. 

De fait, lorsque le pouvoir atteint les niveaux de longévité, de destructivité et de corruption que nous observons  dans les pays de l’Afrique centrale – lorsqu’il se transforme, comme c’est le cas depuis plus de cent ans réunis, en facteur structurel de mort – alors il devient moralement légitime de chercher à y mettre un terme par tous les moyens.

Mais mettre fin à de tels pouvoirs destructifs ne résout pas, en soi, le problème.

L’on oublie souvent que nos satrapes doivent leur longévité au pouvoir en partie au fait qu’ils ont mis en place des structures de la prédation capables de leur survivre. Dans leur mode de fonctionnement, de telles structures tendent  généralement à impliquer toute la société. La logique de la destruction et de la corruption devient en elle-meme un facteur de régulation et de socialisation.

Ce sont ces structures – et l’état d’esprit qui les porte –  qu’il faut démanteler progressivement. On l’a bien vu ailleurs sur le continent, le départ d’un autocrate ne signifie pas forcément le début d’une ère nouvelle. Souvent,  c’est l’inverse qui se produit. Le successeur est souvent pire que celui auquel il a succédé. C’est ce que tendent à révéler les diverses transitions qui ont eu lieu en Afrique récemment.

Il s’agit donc de réfléchir, de manière plus rigoureuse encore, aux conditions qui pourraient faire en sorte que la fin de l’autocratie ouvre la voie, en Afrique centrale, à un véritable renouvellement de la société, de la vie,  de l’économie, des arts et de la culture.

Achille Mbembe

@ Le Messager 2005 & Icicemac.com

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