L’extradition des indépendantistes anglophones par Muhammadu Buhari à Paul Biya est un événement, et personne ne peut s’empêcher d’y porter un jugement. Pour ma part, il ne s’agit pas, comme le veut la version officielle, du fruit de la coopération sécuritaire entre les gouvernements camerounais et nigérian, mais bien plus de l’exécution de la volonté de l’État français.
C’est la France qui, soucieuse de protéger ses intérêts dans les zones pétrolifères du Cameroun anglophone (Limbe et Bakassi) a voulu qu’il en soit ainsi, comme c’était déjà le cas il y a 46 ans, en 1972, année où elle, cette même France, avait amené Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun, à tordre anticonstitutionnellement le cou à l’État fédéral en y mettant fin au profit d’un État jacobin hypercentralisé, pour justement mettre la main sur cette zone riche en pétrole. Point besoin de préciser que la crise anglophone actuelle est une conséquence directe de cette tricherie anticonstitutionnelle de 1972.
L’histoire, l’histoire coloniale, se répète donc, et nous rappelle que cette France, pour arriver à ces buts, avait mis entre les mains d’Ahidjo les pleins pouvoirs avec lesquels il avait littéralement réduit au silence les Camerounais (après le massacre historique de 400.000 Bamiléké, chiffre officiel). On peut remarquer que sous Biya, les méthodes d’embastillement du peuple n’ont pas changé du tout : de la violence militaire contre les mouvements de contestation aux expéditions punitives sur les populations de tous les âges en passant par la cession des ressources du sol et du sous-sol (y compris des entreprises d’État aux Français), tout est mis place pour protéger les intérêts de la France au détriment de ceux du citoyen camerounais.
Ainsi, d’Ahidjo à Biya, aux mêmes problèmes sociaux, les mêmes réactions foudroyantes du pouvoir politique avec la bénédiction et le soutien de la France. Il se pose dès lors la question suivante: la France, qui avait conseillé à Ahidjo élimination des indépendantistes bamiléké (Ernest Ouandié et autres) sur la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1971, va-t-elle demander à Biya d’éliminer les indépendantistes anglophones (Ayuk Tabe et autres) sur la place publique à Buéa? La loi antiterroriste de Biya n’est-elle d’ailleurs pas en totale concordance avec pareille demande ?
Suivant le principe de répétition de l’histoire coloniale, si pareille demande était faite par Paris et exécutée par Yaoundé, les Camerounais n’auront que leurs yeux pour pleurer, et la France ferait tout pour maintenir Biya au pouvoir jusqu’à la fin des deux prochains mandats, Ahidjo ayant fait, lui aussi, deux mandats de plus après l’exécution des leaders indépendantistes bamiléké. Il restera donc à Biya 14 ans de pouvoir, lesquels, ajoutés à ses 36 ans, feraient un total de cinquante ans de règne. Il sera alors âgé de 99 ans.
Il est important que les Camerounais se représentent cette option, qui est du reste dans l’ordre du possible, et comprennent qu’ils vivent encore sous le système colonial et y demeureront tant et aussi longtemps qu’ils n’auront pas le pouvoir de choisir librement leur président.
Maurice NGUEPÉ
Le 30 janvier 2018