Le Dr Pascal Talla, médecin adjoint à l’HNE, a créé avec son épouse une association qui permet à la population du pays Bamiléké d’être prise en charge dans d’excellentes conditions, grâce à l’engagement bénévole de volontaires venus de Suisse. Rencontre
Pascal Talla sait ce que signifie se battre pour réussir. Après un long cursus qui l’a mené de l’école primaire de Bafoussam, en pays Bamiléké, jusqu’au département de gynécologieobstétrique de l’HNE, le Camerounais n’a jamais oublié sa terre natale. En 2001, jeune gynécologue formé au Congo-Kinshasa, il visite la maternité dans laquelle il est né 30 ans plus tôt. «Je n’y étais jamais revenu. Pour moi, cela a été un grand choc. Rien n’avait changé, comme si tout était figé. Je me suis dit que si je le pouvais, j’aiderais un jour les gens de la région à accéder à des soins de meilleure qualité.»
Le projet est resté plusieurs années en suspens. Le temps de permettre au Dr Talla et son épouse Pélagie, elle aussi médecin, d’aller se spécialiser Belgique, dès 2003, puis en Suisse dès 2006
«Comme souvent, c’est une question d’opportunité, souligne le praticien. Un collègue belge avait des contacts aux Hôpitaux universitaires de Genève. J’y suis allé pour faire deux ans d’oncologie avant de venir six mois à l’HNE comme médecin assistant puis de travailler à l’Hôpital du Jura jusqu’en 2014. Cette année là, je suis revenu à l’HNE comme médecin adjoint.»
C’est en Suisse que le projet humanitaire du couple Talla a pris forme. En 2006, ils achètent avec leurs propres fonds un terrain à Bafoussam pour ériger un centre médico-chirurgical spécialisé (CMCS). Inauguré en 2014, le bâtiment fait 14 mètres sur 28 et compte trois étages. Il dispose de 25 lits et propose des prestations médicales variées. «En 2010
précise Pascal Talla. Cela nous permet d’obtenir du matériel de la part des hôpitaux suisses, qui nous soutiennent activement. L’HNE nous fournit 60% de l’équipement. Ça nous permet de disposer d’un plateau technique qu’on ne trouve pas dans l’hôpital public.»
L’association à but non lucratif permet également de fédérer les nombreux bénévoles médecins, sages-femmes, infirmiers et ambulanciers qui viennent de différents cantons suisses pour partager leurs connaissances avec le personnel du CMCS. «Grâce à cet engagement collectif, nous pouvons offrir aux patients de Bafoussam une prise en charge spécialisée, précise avec enthousiasme le médecin camerounais. Ils doivent payer les soins: ils doivent se rendre compte que la santé à un coût. Mais contrairement aux hôpitaux publics, on les prend en charge s’ils n’ont pas d’argent. Ils peuvent rembourser par la suite.»
« Le premier traitement, c’est l’accueil! Cela permet de nouer une relation de confiance entre patients et soignants »
Comme d’autres collègues, le Dr Talla et son épouse réalisent trois missions par an à Bafoussam. Ces contacts permanents permettent de former le personnel local à des standards de qualité inédit au Cameroun. Sur le plan médical, bien sûr, mais pas seulement: patients et visiteurs doivent utiliser des sandales mises à disposition par le CMCS pour éviter de salir les couloirs et chambres du centre de santé. «Même le gouverneur doit se déchausser, précise le médecin. Pendant la saison des pluies, cela change tout.»
Un accent particulier est également mis sur l’accueil des patients. «Quand j’étais petit, j’avais été soigné pour un paludisme dans le dispensaire local, se souvient Pascal Talla. J’avais été choqué d’entendre comment le personnel soignant parlait aux patients. Ils étaient agressifs, sans aucune empathie. Nous avons voulu changer cela: le premier traitement, c’est l’accueil! Cela permet de nouer une relation de confiance entre patients et soignants.» Le chirurgien considère que cette attitude est culturelle: «Au Cameroun, quand une personne a une position dominante, elle en profite souvent pour écraser ceux qui sont en dessous.»
Cette expérience dans le dispensaire a nourri la vocation de Pascal Talla: «Quand je suis sorti, j’ai dis à ma maman que je voulais devenir docteur pour soigner les gens.» Avec un père maçon et une mère cultivatrice, ce n’était pas gagné d’avance. Au bénéfice d’une bourse, l’aspirant médecin a pu aller au lycée dans la capitale, Yaoundé, à 280 km de chez lui. Il a ensuite étudié la médecine à Kinshasa. «Au Cameroun, ils prennent 75 personnes sur concours. Et comme c’est la présidence de la République qui délivre les résultats, il faut avoir des relations pour espérer être retenu.»
La formation de la relève fait également partie des priorités du CMCS. L’association finance le cursus de formation en médecine de cinq jeunes praticiens. «L’objectif à terme est de constituer une équipe locale spécialisée qui fonctionne de manière autonome, détaille Pascal Talla. C’est indispensable pour assurer la pérennité du projet.»
Toujours dans l’idée de préparer l’avenir, le CMCS disposera dès l’an prochain d’un deuxième bâtiment attenant au premier. Cet agrandissement permettra de développer des prestations rares au Cameroun comme l’endoscopie digestive et l’urologie. De quoi encore augmenter l’attractivité du centre. «Certains patients font deux jours de voyage pour venir, souligne le Dr Talla. Une fois traités, ils expriment beaucoup de reconnaissance. L’un d’entre eux m’a dit une fois: «C’est la Suisse qui vient à nous.» Pour nous, c’est la plus belle reconnaissance.»
Titre de icicemac.com