LETTRE OUVERTE AUX CANDIDATS A L’ELECTION PRESIDENTIELLE : LE SOS POUR LES TROIS (03) CRIMINELS SANS CRIME EN PRISON A NKONDENGUI

 

 

LETTRE OUVERTE AUX CANDIDATS A L’ELECTION PRESIDENTIELLE :
SOS POUR TROIS (03) CRIMINELS SANS CRIME EN PRISON A NKONDENGUI
MESSIEURS LES CANDIDATS A LA PRESIDENTIELLE DU 07 OCTOBRE 2018,

Au moment où vous vous lancez à la conquête de la magistrature suprême de notre pays, la rentrée scolaire a eu lieu sur toute l’étendue du territoire depuis le 03 septembre 2018 et trois candides adolescents, vos enfants, n’ont pas répondu présents à l’appel pour la troisième année consécutive. Pas parce qu’ils sont de mauvais élèves qui se délectent de l’école buissonnière, ni parce qu’ils sont retenus par leurs parents obéissant à un quelconque mot d’ordre de grève ou de villes mortes, mais parce qu’ils ont été condamnés à 10 ans de prison ferme par le Tribunal militaire de Yaoundé, une décision contre-productive confirmée en appel.

Oui ! encore une fois, n’ont pas répondu à l’appel cette année, quand des millions de leurs congénères et camarades y ont retrouvé les salles de classe pour prendre rendez-vous avec leur avenir et leur destin ! Pourtant, ils n’ont jamais tué personne, ni pris les armes contre leur pays. Ils ne sont ni des coupeurs de route, ni des voleurs de coffres-forts. Mais qu’ont-ils donc fait de si répréhensible pour mériter un tel châtiment ? Voici les faits :

En décembre 2014, LEVIS GOB AZAH reçoit un SMS en anglais libellé comme suit : « Boko Haram recrute des jeunes de 14 ans et plus. Conditions de recrutement : avoir validé un GCE A level en quatre (04) matières plus religion ». Comme il se racontait partout que Boko Haram signifie « l’école occidentale est un péché », il est sûr qu’il s’agit d’un canular, (fausse nouvelle colportée volontairement et par plaisanterie cf. le Grand Robert), car BOKO Haram n’exigerait jamais de ses potentielles recrues qu’elles aient un GCE A Level de cette abominable école occidentale, de surcroît validé en 04 matières plus religion ( l’Islam ou n’importe laquelle ?), transfère le SMS à son ami IVO FEH FOMUSOH qui à son tour le fait suivre à NIVELLE NFOR AFUH, élève de Première au Lycée Bilingue de Déido à Douala.

Par malheur, le SMS est découvert par un « enseignant » qui avait confisqué son téléphone lors de son cours. Il ne se pose pas de questions et alerte aussitôt la police qui remonte jusqu’aux deux autres jeunes gens. Les trois sont alors traduits devant le Tribunal militaire de Yaoundé, « jugés » et condamnés à 10 ans de prison ferme pour « non-dénonciation d’actes terroristes et complicité d’incitation à l’insurrection » ! Jusqu’aujourd’hui, nous nous demandons encore d’une part, comment une preuve obtenue par effraction, donc par violation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et de notre Constitution qui protègent le secret de la correspondance et de la vie privée a pu être jugée recevable devant le Juge, car cela ressemble fort à l’utilisation des procès-verbaux d’une perquisition effectuée sans l’autorisation du Procureur et en l’absence du propriétaire des lieux pour accabler un accusé. Et d’autre part, pourquoi l’enquête a-t-il épargné au bout de la chaîne celui qui avait envoyé le SMS à LEVIS GOB AZAH ? En tout cas, forts de leur bon droit, leurs avocats avaient fait appel, mais malheureusement, la peine a été confirmée. Aujourd’hui, l’affaire est encore pendante en cassation devant la Cour Suprême.


Fomusoh Ivo Feh

A cette époque, nous avions engagé des actions pour plaider leur cause afin d’essayer de les faire libérer. Mais malgré une pétition sur facebook qui a obtenu 75 000 signatures et une lettre de demande de clémence signée par cinquante-cinq (55) associations nationales, régionales et internationales des droits de l’Homme adressée à M. Paul Biya (Candidat sortant), ces enfants que nous continuons de considérer comme naïfs et inoffensifs, ont été maintenus en prison.

Nous savons que la sanction pénale, pour remplir ses finalités de rétribution et de réinsertion a pour fonctions 1° de sanctionner l’auteur de l’infraction, 2° de favoriser son amendement et 3, son insertion ou sa réinsertion dans la société. Elle doit donc assurer la protection de la société, prévenir la commission de nouvelles infractions (dissuasion) et restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime (rétribution). Nous savons aussi que la sanction doit être nécessaire et proportionnelle. Etait-il vraiment nécessaire d’infliger 10 ans de prison ferme à trois bambins pour un SMS reçu, à l’époque où des milliers de SMS nous parviennent chaque jour de toutes parts sans demander ni notre avis ni notre consentement ?

Une telle peine est-elle de nature à « favoriser leur « amendement » et leur réinsertion dans la société ? Si la dissuasion est le fondement du droit pénal, la culpabilité doit être la justification de l’application de la punition et de la volonté de s’amender. La sévérité maximale et la sanction pour l’exemple ne peuvent aboutir qu’à des peines incompréhensiblement cruelles comparées aux crimes commis.

La vraie mesure de la peine ne doit être que le dommage causé à la société. Quelle est l’ampleur du dommage que l’acte posé par ces trois malheureux ont causé à la société ? Les juges, si leur objectif n’avait pas été d’instruire exclusivement à charge, n’auraient-ils pas dû individualiser leur peine, c’est-à-dire adapter la sanction lors du prononcé ou lors de l’exécution selon les circonstances de l’infraction et la personnalité des délinquants ?

Le principe de l’individualisation de la peine est un principe fixé par le législateur pour permettre au juge de se déterminer librement en fonction de la personne inculpée, en écoutant non seulement la voix du droit et des lois, mais aussi celle de son intime conviction, en d’autres termes, en son âme et conscience. Ainsi donc, l’atténuation de la responsabilité pénale de ces adolescents en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral par des juridictions spécialisées selon des procédures appropriées auraient été plus équitables. Dans nos recherches, nous sommes tombés sur les principaux facteurs qui devraient ou doivent aider le juge à déterminer une peine :
1) Les circonstances entourant le crime ;
2) Le casier judiciaire de l’accusé et ses antécédents personnels ;
3) Les répercussions de l’acte sur la ou les victimes (la société)
4) Les peines minimales et maximales pour un crime de cette nature
5) Les décisions rendues par d’autres tribunaux dans des cas semblables (la jurisprudence !)
6) Ce qu’il prévoit faire pour modifier son comportement et devenir un citoyen respectueux des lois ;
Les juges d’instance et d’appel ont-ils tenu compte de ces facteurs pour sortir trois adolescents inoffensifs des salles de classe pour leur infliger sans état d’âme une peine privative de liberté de 10 ans ? Si oui, quelles ont été les circonstances entourant le crime, si tant est que recevoir un SMS est un crime (1) ? Qu’a-t-on trouvé dans leur casier judiciaire comme antécédents personnels ou criminels (2) ? Quelles sont les répercussions de leur acte (recevoir un SMS) sur les victimes et quelles sont ces victimes (3) ?

Le plus curieux, c’est qu’à la même époque, des Camerounais francophones, adultes, intellectuels et responsables, avaient aussi été interpellés pour les mêmes motifs. Beaucoup d’entre eux avaient comparu libres et à la fin, avaient été tous blanchis et libérés, jusqu’à ce maire de Kousseri qui dit-on, servait d’intermédiaire entre Boko Haram et les payeurs de rançon !

Pendant ce temps, trois bambins, qui n’avaient jamais entendu parler de non-dénonciation ni d’incitation à l’insurrections se sont vus arrachés de leurs salles de classe et de leur avenir, pour être condamnés à 10 ans de prison, dans un contexte où on prétend obliger les autres enfants anglophones comme eux à reprendre l’école.

Nous ne pouvons encore une fois de plus nous empêcher de nous demander ce qui a véritablement emporté l’intime conviction des magistrats militaires qui eux-aussi ont des enfants, pour qu’ils condamnent en instance et en appel des adolescents naïfs et insouciants à une si lourde peine privative de liberté. La libération des adultes pleinement responsables accusés en même temps qu’eux de la même non-dénonciation ne pouvait-elle pas servir de jurisprudence ? Le fait qu’ils soient anglophones aurait-il joué contre eux et constitué des circonstances aggravantes ? Sinon, pourquoi les francophones, adultes et universitaires, donc susceptibles de savoir ce que c’est qu’une non-dénonciation ou une incitation à l’insurrection, ont-ils été tous blanchis et libérés ? Il doit avoir une main invisible dans cette affaire !

MM. Les Candidats à la présidentielle,
Du fond de l’abîme, ces enfants crient vers vous. Ne restez pas sourds à leur détresse. Si vous ne joignez pas vos voix à la mienne ils passeront les sept (07) prochaines années de leur vie derrière les barreaux ! Que seront-ils devenus et dans quel état seront-ils à leur sortie ? Qu’auront-ils appris dans une prison où il n’y a pas de quartiers pour mineurs et où les braqueurs, les assassins, les criminels de tout poil côtoient les petits maraudeurs et les voleurs de mangues ?

Comment se comporteront-ils envers cette société qui les a trahis et qui s’est servie d’eux comme boucs-émissaires pour justifier et expier son incompétence et ses contradictions ? Les enfants ne sont-ils pas le miroir d’une société ?

Si une telle peine afflictive de détention sert à neutraliser un criminel, à en dissuader les potentiels, est-ce à dire que l’incarcération de ces trois bambins empêchera à l’avenir les autres écoliers de recevoir des SMS ou les obligera à dénoncer tous ceux qui leur en enverront ? Cette sanction n’est-elle pas inutilement sévère et contre-productive ?
MM. les Candidats à la Présidentielle,
Il nous revient que le ministre de l’Administration Territorial vient d’être à Kousseri pour rendre visite à des gens qu’ils ont convenu d’appeler « Boko Haram « repentis » et que le gouvernement a décidé de débloquer des milliards de nos francs pour la réinsertion sociale de ces gens aux mains maculées de sang. Levis Gob Azah, Feh Ivo Fomuso et Afuh Nivele Nfor n’ont jamais blessé ni assassiné personne. Ils n’ont jamais causé le malheur d’une famille camerounaise. Ils n’aspiraient qu’à un avenir meilleur et ne se consacraient qu’à leurs études, jusqu’à ce jour où ils ont été abattus en plein vol ! Peut-être auraient-ils dû eux-aussi se rallier à Boko Haram, endeuiller des familles, tuer des militaires et des membres des forces de l’ordre, « se repentir », ou faire semblant, et avoir aussi accès à la fois à la considération et à cette manne financière qui désormais récompense les « anciens » criminels !
MM. les Candidats à la Présidentielle,

Dans un pays où on aime la jeunesse en général et les enfants en particulier, dans des cas pareils, il aurait fallu appliquer le principe d’opportunité des poursuites, développer les alternatives aux poursuites et considérer la privation de liberté comme sanction ou mesure de dernier recours. Le monde entier nous regarde. Il ne faudra pas que la postérité nous condamne pour non-assistance à enfants en danger. Luttons ensemble pour leur libération ! Sinon que ceux qui considèrent que ces enfants, LIBRES, purement et simplement relaxés pour poursuivre leurs études constituent un danger pour la société camerounaise se lèvent et parlent !
J’exhorte la Presse écrite et les médias audio-visuels à se joindre aussi à moi pour relayer ce combat qui est l’un des plus justes et des plus nobles !
Je vous remercie, je compte sur vous.

 

Jean TAKOUGANG, Enseignant de Traduction au Programme de Master Professionnel à l’Université de Yaoundé I.

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