(article actualisé)
Spécialiste des questions de défense, cet ancien enseignant de l’École militaire interarmées de Yaoundé est le président de l’Union des forces démocratiques du Cameroun.
Jeune Afrique : L’armée camerounaise s’acquitte-t-elle correctement de ses missions ?
Victorin Hameni Bieleu : La mission d’une armée est de défendre le pays et d’y faire régner la sécurité. Or, aujourd’hui, celle du Cameroun est moins destinée à parer aux agressions venues de l’extérieur qu’à protéger une seule personne. Regardez la parade militaire de la fête nationale : l’armement de haute qualité de la Garde présidentielle et du Bataillon d’intervention rapide (BIR) tranche avec celui, obsolète, de l’armée. On a l’impression que la préoccupation première est de décourager toute tentative de coup d’État.
L’armée n’a donc plus les moyens de défendre le territoire en cas d’agression extérieure ?
C’est évident. Elle est encore moins opérationnelle si on la compare à celle du Tchad, par exemple.
Elles ne peuvent pas tout faire. Le BIR n’était au départ qu’une unité de l’armée de terre. C’est aujourd’hui une armée complète, avec des moyens aériens et marins, qui assure par exemple la sécurité de nos côtes, alors que cette mission est normalement dévolue à la marine nationale. La base navale de Douala n’existe plus, elle est devenue un cimetière de bâtiments de la marine ! Selon WikiLeaks, le président Biya a accusé l’ancien chef d’état-major de la marine [le vice-amiral Guillaume Ngouah-Ngally] de l’avoir laissée dépérir. Les autres corps ne sont pas mieux lotis, comme en atteste l’état de délabrement du matériel de l’armée de terre à Yaoundé.
Le budget est-il bien utilisé ?
Le budget de la Défense est de 194 milliards de F CFA [295 millions d’euros] en 2013, et la part consacrée au fonctionnement (92,85 %) est exorbitante comparée à la maigreur de celle prévue pour les dépenses en équipement. Dans ce fonctionnement, les salaires (65,21 %) et les dépenses de consommation (22,36 %) se taillent la part du lion. Cela favorise la corruption, comme l’a montré le scandale des détournements chez les magistrats militaires. Pendant ce temps, sur le terrain, les soldats mangent des sandwichs…
Les hommes sont-ils bien formés ?
Les nouvelles générations d’officiers sont très bien formées. Mais la question n’est pas là. L’armée doit être le reflet de toutes les composantes sociologiques et ethniques du pays. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle (NDLR : Une source interne au ministère de la Défense contredit cette affirmation. Selon elle, sur 2 300 officiers, 480 proviennent de l’Ouest, 500 du Centre, le reste étant réparti entre les 8 autres régions.). Il ne faut pas qu’un jour, en cas de conflit, les Camerounais refusent de se sacrifier pour défendre leur drapeau parce qu’ils auront l’impression de défendre les privilèges de quelques-uns. Il est vrai que même sous l’ancien président Ahmadou Ahidjo, ce système existait déjà. Mais il y avait alors un plus grand souci d’équilibre.
Est-ce par crainte d’un coup de force que le pouvoir a écarté d’anciens généraux ?
Les gens ont des peurs injustifiées. Les quelques généraux mis à la retraite n’ont jamais menacé qui que ce soit.
Qu’est-ce qui explique l’affaiblissement de cette institution ?
Les militaires craignaient Ahmadou Ahidjo. Avec Paul Biya, le rapport est différent. Le président a confié la réforme de l’armée aux seuls militaires [avec le renfort de conseillers français] et l’a entérinée en 2001 par décret. Le Parlement a été contourné, ce n’est pas normal. La politique de défense nationale ne peut pas être définie par les seuls militaires.
Propos recueillis par Georges Dougueli
24 septembre 2013 à 11h53 | Par Georges Dougueli