Les réseaux sociaux nous servent en direct dans les multiples directs, la face hideuse de la diaspora camerounaise. Le groupe Intégration qui a vu le jour il y a une demi-décennie à Chicago, anime la réflexion sur une meilleure intégration au même titre que les communautés Ghanéenne, Nigériane, Éthiopienne, etc. C’est dans ce cadre que ce pertinent texte a été produit.
La vue d’ensemble des communautés camerounaises hors de nos frontières nous fait penser à un kaléidoscope polychrome ; mais à la différence du kaléidoscope dont chacune des images a pour but de construire un grand ensemble, chaque entité de la communauté camerounaise tend à accentuer l’éclatement de cette dernière. Ce constat est affligeant dans sa constance. A cette image s’ajoute un fait indéniable ; le/la camerounais(e) sur le plan individuel est généralement un modèle de réussite.
Les camerounais partagent l’amour du savoir et du travail, s’adaptent admirablement et réussissent en terres étrangères, même dans les conditions les plus défavorables, atteignant une ascension académique et sociale respectable. Deux facteurs, à priori antithétiques nous caractérisent : la réussite individuelle côtoyant la désunion communautaire. Pourquoi ? Les raisons sont multiformes.
La mémoire historique
Le Cameroun est reconnu pour son degré élevé de diversité au kilomètre carré. Le triangle national compte plus de 250 langues officielles, plusieurs groupes ethniques, eux-mêmes subdivisés en sous-groupes ethniques, et des pratiques spirituelles ancestrales ou importées se cohabitant paisiblement. Dans le seul département du NDE qui s’étend sur une superficie de 1524 km² comptant approximativement 200,000 âmes, on recense 13 chefferies, chacune avec le potentiel d’encourager la création de nouvelles associations dans les diasporas. L’histoire du peuplement au Cameroun révèle que quand il y avait mésentente dans une chefferie, l’une des parties était priée de rassembler sa cour et aller des kilomètres plus loin créer une nouvelle chefferie. Le modèle a transcendé le temps et les espaces géographiques pour devenir l’élément épigénétique central pour résoudre nos dissensions. Les différences de points de vue dans nos associations n’accordent que peu de patience à des efforts de médiation et se terminent par des créations de nouvelles associations elles-mêmes éclatées peu après. D’aucuns diraient un cycle infernal, ou au vu des épisodes répétitifs, un cycle labélisé « diaspora camerounaise.»
La non-connaissance de notre antériorité et les liens qui unissent les peuples du Cameroun
Il est presqu’impossible de convaincre un Camerounais que nous partageons tous un ancêtre commun. Le Camerounais zéro n’existe nulle part, ni dans notre psyché commune, ni dans les mythes propres à tout peuple pour développer un socle d’unité. Un ressortissant de Bafut a tant en commun avec un autre de Foto, mais nous avons appris à utiliser des termes coloniaux pour décrire : l’un comme « francophone » et l’autre « anglophone. » Cette aberration linguistique ne devrait en rien renier la réalité sociologique des camerounais divisés par deux langues d’oppression occidentale; par contre il aurait dû y avoir un réel effort pour recréer une identique camerounaise qui transforme ces compartiments linguistiques pour nous permettre de développer une appréciation de ce qui nous unit. Des anthropologues camerounais ont jeté les jalons de ce travail en créant une langue nationale sur la base de nos diverses langues régionales. Aux futures générations de continuer sur cette piste afin de permettre aux camerounais de redécouvrir le lien filial qui les unit. Les mots Ewondo et Yaoundé viendraient du Basa’a « yawundé » (arachides), les Bamilékés et les bamouns sont tous descendants des Tikar. Regrettablement, le système éducatif est conçu au Cameroun pour nous apprendre tout des peuples d’Occident et rien de nous. Le résultat est un mélange de tragi-comique et destructif. Les Camerounais se côtoient physiquement au quotidien, mais restent des parfaits étrangers les uns aux autres. La riche diversité des peuplements du Cameroun est l’attestation d’une civilisation ancestrale africaine qui reposait sur le principe de la paix et l’intégration, mais le paramètre fondamental de son existence requiert un travail quotidien d’éducation des populations pour comprendre le destin commun partagé par tous les enfants de l’Afrique en miniature, de Kousséri à Ambam.
Le profilement personnel et l’exaltation de l’individu au dessus du collectif
Un Camerounais qui se respecte se fait appeler « prési » ou recherche le moyen d’en arriver là. C’est le sacre ultime de sa stature parmi les siens. Comme le chef du village qui jouit de tant d’honneurs et dont les devoirs sont méconnus, on cesse d’être citoyen « lambda » dès qu’on acquiert le titre honorifique de « prési » et quand on l’a, on ne s’en débarrasse plus ! Tant pis les conséquences ! Le pays a un président aux affaires depuis quatre décennies et est au gouvernement depuis bientôt soixante ans. Dans les diasporas camerounaises, on a beau s’en plaindre, certains ne se gênent de suivre ce modèle. Et à force de frustrations pour certains membres de ne pas pouvoir accéder à des fonctions de responsabilité, ils/elles s’en vont créer des associations qui leur octroieraient cette opportunité. L’exaltation de l’individu au détriment du collectif nous garantit une réussite individuelle. Mais la réussite individuelle n’a rien de systémique et par conséquent se retrouve vouée à l’échec. Là où nous comptons le nombre de médecins et ingénieurs camerounais reconnus mondialement, d’autres comptent le nombre d’hôpitaux et d’écoles construites dans leurs pays. Là où nous exaltons une camerounaise championne olympique ou un camerounais champion en NBA, d’autres investissent dans la construction d’infrastructures sportives et le financement du sport amateur pour assurer le succès dans l’avenir. Le moi est éphémère, le nous éternel !
La sagesse sonnante et trébuchante des anciens
D’Hampâté Bâ, nous retenons qu’ « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.» Il est donc important de respecter les anciens qui détiennent les clés de la sagesse. Mais ladite sagesse se pare de deux éléments essentiels : l’humilité et le désintéressement. Ce qui veut dire qu’un sage qui ne peut se défaire de l’orgueil ou de la préoccupation de la richesse personnelle perd l’aura qui vient avec sa connaissance du passé. Il perd aussi sa position d’autorité et n’est plus écouté par les jeunes générations. Les diasporas camerounaises souffrent souvent de ce déficit d’anciens capables de démontrer ces vertus d’humilité et de désintéressement, rendant de facto leur influence sur le reste de la communauté caduque. On les respecte comme anciens, mais pas comme sages. Cultiver des cercles de notables au sein de nos communautés pourrait apporter une solution, mais ces cercles doivent s’élever d’une raison-d’être vaniteuse si leurs membres souhaitent jouir de positions de respect au sein des communautés. On n’est pas notable parce qu’un chef nous en a donné les attributs. On l’est parce que nos faits et gestes le démontrent au quotidien. C’est un travail ardu de purification perpétuelle de la conscience. Une communauté qui compte parmi elle des sages crée un système de résolution interne des dissensions, une sorte d’arbre à palabres efficace qui peut endiguer le phénomène d’émiettement des associations.
L’identité camerounaise et le rôle des autorités
Au sein des diasporas camerounaises, il est accepté que les chancelleries étrangères du Cameroun ont oublié leur mission première qui est de défendre les droits des concitoyens de par le monde. De ce constat, découle un désengagement du bien collectif poussant beaucoup à embrasser l’identité culturelle du pays d’adoption en rejetant celle du Cameroun. Leurs progénitures ne savent au mieux du Cameroun que des histoires d’échecs personnels et de non-représentativité sociale. Or, le rôle d’un gouvernement responsable c’est aussi de mettre sur pied une réelle politique de coordination des efforts de la diaspora, surtout une comme celle que compte le Cameroun qui excelle dans tant de domaines et compte de fortes têtes. Il n’est pas osé de résumer l’identité camerounaise de nos jours aux Lions et Lionnes Indomptables, le Camfranglais et nos plats culinaires. Faute de double nationalité, même le passeport, pourtant premier indice de citoyenneté a été refusé aux diasporas camerounaises, celles qui pourtant sacrifient beaucoup pour le développement du pays. Cette absence de sens de destin commun sur la base d’une citoyenneté camerounaise partagée ne peut qu’accentuer l’éclatement des associations au sein comme en dehors du pays.
Face à ces défis qui ne devraient causer le désarroi, des solutions existent. Dans chaque mal se trouvent aussi les ingrédients du remède, le plus important étant qu’un diagnostic adéquat précède toute tentative de résolution.
Par Tâmà’ncòFӗkòmfӗnnzwa’Kamlem
17 Mai 2020