L’émotion déferle de partout et dans tous les idiomes usités au 237. Puisque les sept mouna de Kumba occis par ce groupe armé non identifié pourraient être juste ceux de n’importe qui du nord au sud et de l’est à l’ouest du 237.
La douleur déchirante des mères est infinie, touchées au cœur par ce carton sanglant qui a pris pour cible le fruit de leurs entrailles. Le mboa a la gueule de bois grave. On kil les mouna au pays des Lions Indomptables ? Qui l’eut cru ? Yéééé malééééé ! Pas un, pas deux, pas trois, pas quatre, pas cinq, pas six, sept mouna refroidis par la sauvagerie en campagne de terreur. Sept mouna qui ne sont pas rentrés à la maison, alors qu’ils en étaient partis gais comme des moineaux insouciants ce matin-là. Sept innocences ôtées sine die à l’affection de leurs familles par un calcul cynique. Et pour sûr ils ont fait fort, très fort même dans le registre lâcheté absolue, abyssale, ces immondes assaillants surgis d‘un cauchemar inimaginable.
Le Cameroun, c’est le Cameroun ? La pirouette du Successeur encore sémillant avait bien amusé la galerie alors et ce bon mot aura tenu tête à toutes les récriminations émises contre la Popaulie, si ce n’est pas désamorcé même les potentielles ruades. Il est devenu le fourre-tout de l’impuissance et de la résignation en « terre chérie », l’explication générique et quasi-mystique fournie sur 360° pour tout ce qui ne marche pas comme ça devrait pourtant. Jusque récemment, il était flanqué du morne « On va faire comment ? », dépositaire de la somme des redditions et évincé dorénavant par un « Ça va aller… » faussement optimiste. L’ironie grinçante de ce mot-pommade d’impasse dont la fonction est émolliente, n’a d‘égale que la profondeur épineuse de l’ornière historique dans laquelle tant de rêves et tant d’aspirations piétinent depuis deux générations quand même dans le triangle des bobards vert-rouge-jaune.
Il m’eut plu que des mères par dizaines de milliers au 237 se lèvent et forment une longue chaîne de solidarité avec celles éplorées de Kumba dont les enfants n’avaient rien fait à personne, il m’eut plu que spontanément le pays s’arrête même une bonne semaine parce que business as usual lorsque sept mouna sont allongés dans des casiers à la morgue c’est juste n’importe quoi et les tuer une deuxième fois, il m’eut plu que cédant à la suggestion d’une petite voix intérieure, les millions d’élèves qui se lèvent tous les matins restent chez eux, avec l’aval de leurs garants, pour une très longue minute de silence s’étirant sur plusieurs jours, il m’eut plu qu’un geste néguentropique fasse pendant à ce geste entropique, il m’eut plu que la sainte colère fasse d’emblée des siennes. Parce que dézinguer comme des canards sept mouna, ça franchit une ligne rouge et une société qui ne le ferait pas savoir, à haute et intelligible voix, doit alors s’interroger sur la teneur et la qualité de son être-au-monde en tant que telle.
Aucun « bon mot » d’où qu’il vienne ne pourra encapsuler la tragédie de Kumba. Aucune pirouette spirituelle ne sera recevable devant ces sept mouna emportés prématurément par la folie des adultes. Quelqu’un a dit que l’on jugerait les nations un jour à-venir selon comment les enfants sont traités. Vivement que cette saison de vérité commence. Une cause qui prend des pitchouns pour cible n’en est plus une et se tirerait ce faisant une balle de gros calibre dans le pied.
Ce qui laisse donc la porte ouverte à toutes les options du discrédit orchestré et ce ne serait rien de bien nouveau sous le soleil, de ce côté de l’Histoire, ni dans les annales de la manipulation. Aucun trait d‘esprit aussi brillant soit-il et les Kmers sont champions dans ce registre, ne peut conjurer l’absurdité abyssale de cet attentat monstrueux commis contre l’innocence. Il faut aussitôt ajouter à sa décharge que la facétie verbale est un art appliqué de l’exutoire cathartique qui aura jusqu’ici permis à cette société camerounaise de ne pas exploser dans l’étau des frustrations accumulées comme des barils de poudre s’entassant au fond d’un réduit et à la merci d’une étincelle, même furtive. Sans cette aptitude tout à fait poétique et répandue, en forme de soupape libérant la pression accumulée dans les corps et les closeries intérieures, il y a bien longtemps que les caravaniers et les cochers de l’imposture auraient pris la poudre d’escampette vers d’autres cieux
Le massacre de Kumba signe avec les sept mouna restés sur le carreau, la fin de l’époque des slogans pompeux et des maquillages ad-hoc de la vérité historique sur la construction du Cameroun actuel. Ils sont la barre devant laquelle devront comparaître et répondre sous peu les fauteurs du chaos au pays des gambas et des bassistes les plus courus de la planète. Stanley Clarke doit se demander ce qu’il se passe au pays de Richard Bona. Et Jean Luc Ponty, le véloce violoniste français qui a composé tout un album bikutsi, doit tomber des nues. Ce pays où les femmes jouaient naguère de la flûte au crépuscule, dans la région de Yaoundé ? Un groupe armé non identifié a attaqué une école. Il y a de quoi composer un requiem en sol mineur pour sept mouna du triangle des bobards, où les bars ne sont pas toujours si beaux…
Source: Lionel Manga