La lutte pour la libération du peuple se joue aussi sur le plan spirituel, où est utilisé un langage des signes pas toujours évident à décoder. Les femmes nues du Mrc dans les rues de Yaoundé en sont une illustration
Une des rues de la capitale politique Yaoundé, a été le théâtre d’un spectacle peu ordinaire le 21 novembre 2020. Une vingtaine de femmes, d’autres nues et d’autres l’étant à moitié, avaient entamé une marche en direction du domicile de Maurice Kamto, pour demander sa libération. Elles ont été interpellées par les éléments de la police avant d’avoir atteint leur destination, brièvement détenues dans divers commissariats de la ville où elles ont été entendues avant d’être relâchées. Ces femmes étaient en réalité des militantes du Mouvement pour la renaissance du Cameroun. Elles ont choisi la date du 21 novembre pour leur manifestation peu ordinaire, car cette date correspondait au deuxième mois jours pour jour que le leader Maurice Kamto est maintenu prisonnier à domicile, deux mois qu’il est interdit de sortir de chez lui. Son domicile avait été encerclé par les forces de l’ordre depuis le 21 septembre 2020 dans la nuit, à la veille du 22 septembre date annoncée pour une marche pacifique à travers le territoire national pour exiger du pouvoir la résolution de la crise anglophone et la réforme du code électoral pour des élections plus justes.
Le spectacle a donc eu lieu ce 21 novembre, et puis quoi, comme on s’en moque dans l’opinion. Les femmes sont rentrées chez elles, Maurice Kamto reste assigné, aucun prisonnier interpellé ce 22 septembre n’a été libéré. Tout est redevenu normal. D’ailleurs qu’est ce qui étonne encore au Cameroun, où on est arrivé à tout banaliser ? On ne s’émeut plus de rien, on regarde sans voir, on écoute sans entendre, d’autres entendent sans comprendre. Le spectacle des femmes nues dans les rues de la capitale politique est rentré dans cette banalisation, et pourtant l’on devrait s’arrêter un moment pour s’interroger.
Symbolique
En se référant à la bible, l’on aperçoit que la nudité est la première chose à laquelle l’homme fait face quand il entre dans la phase du péché, c’est-à-dire de la souffrance. Dans le livre de Genèse 3 verset 7, lorsque Adam et Eve mangèrent le fruit de l’arbre défendu, « alors leurs yeux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuiers ils en firent des pagnes ». C’est-à-dire qu’ils couvrirent les parties du corps qu’ils percevaient désormais comme honteuses. Plus tard, toujours selon le récit de la bible, ils entendirent Dieu arriver et se cachèrent, acte que Adam explique à Dieu : « j’ai pris peur car j’étais nu et je me suis caché » A cela la première réaction de Dieu fut aussi révélatrice : Genèse chapitre 3 verset 21 « le Seigneur Dieu fit pour Adam et sa femme des tuniques de peau dont il les revêtit », et c’est après qu’il les chassa du jardin d’Eden. Donc devant toute la colère que Dieu nourrissait vis-à-vis de l’homme qui lui avait désobéit, il prit la peine de couvrir sa nudité avant de le chasser.
Plus loin dans la bible dans le 9eme chapitre du livre de Genèse, un autre récit relevé par l’auteur Régis Bertrand dans une étude publiée dans « Rives Méditerranées », renseigne à quel point la vision des organes génitaux en cas de nudité intégrale peut constituer un interdit majeur considéré comme un crime s’il est enfreint : c’est le récit de l’ivresse de Noé et de la malédiction de Canaan. Après le déluge, Noé plante la vigne, fait du vin et s’enivre. Dans son ivresse, « il se dénuda à l’intérieur de sa tente ». Or un de ses trois fils, Cham, père de Canaan, entra dans la tente et vit la nudité de son père. Il avertit les deux autres, Sem et Japhet, qui trouvèrent une solution : ils étendirent un manteau sur leurs épaules, marchèrent en arrière et couvrirent en leur père ce qui devait y être caché. Ils ne virent rien en lui de ce que la pudeur défendrait de voir, parce qu’ils tinrent toujours leur visage tourné d’un autre côté ». Lorsque Noé se réveilla et apprit ce qui s’est passé, il maudit le fils de Cham, Canaan en disant : « qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ». Le premier à avoir vu la nudité de Noé fut donc condamné à travers sa descendance alors qu’il était passif, sans doute parce qu’il avait commis un inceste visuel.
L’arme
Ramené à la société actuelle, malgré la dépravation des mœurs, la nudité d’une femme reste sacrée, et même sacralisée par ceux qui ont encore un minimum de sens de la dignité humaine, et aucune culture camerounaise ne peut dire le contraire. Jacques Kontchuen Kamguia, un auteur et conservateur des valeurs traditionnelles, a réagi à la vue des images publiées dans les réseaux sociaux et montrant les femmes nues du Mrc embaquées dans un véhicule de la police, avec ces mots « voici une arme dont on verra les conséquences quand personne ne se souviendra plus. Toi, adversaire d’une femme nue, quand cette malédiction t’arrivera, dans les hôpitaux on ne trouvera pas ce qui te dérange, et c’est quand on te rappellera ce jour que tu te souviendras, mais il sera trop tard. » En référence à l’histoire de Noé et de la malédiction du fils qui avait vu sa nudité, la nudité est devenue avec le temps et la codification de certaines cultures une arme comme l’indique l’auteur plus haut. Une arme d’ailleurs redoutée dans les familles africaines. Quand une mère veut mettre en garde un enfant, elle dit simplement « ne me pousse pas à me déshabiller devant toi », pour dire à l’enfant qu’elle peut le maudire. Même si parfois l’enfant ne veut pas croire à la malédiction, il évite de voir la nudité de la mère et se range. Qu’on le croit en effet ou pas, expliquent les traditionalistes, quand une femme se déshabille pour exprimer sa colère, cela est toujours dangereux, et le mieux est d’éviter que cela arrive. Mais aujourd’hui la femme se déshabille devant la société pour exprimer une colère, et on en rit, on s’en moque. D’aucuns disent d’ailleurs qu’on a connu pareil phénomène avec les « takubeng » qui marchaient pour protéger John Fru Ndi en son temps, et demandent si cela a changé quelque chose. Peut-être pas, mais on voit bien que le Cameroun progresse à reculons depuis des années. On peut continuer à banaliser le spectacle des femmes du Mrc le 21 novembre 2020, mais la vérité de ce proverbe reste inchangée : « l’arbre que l’orage va emporter ne voit pas le ciel s’assombrir. »
Source: Roland TSAPI