Le Pr. Bokagne démonte son collègue Owona Nguini le Pr déguisé en politiste-journaliste sur l’origine égyptienne des JO

Je l’ai dit. Je le répète : les jeux olympiques ne sont pas d’origine africaine. Ni chinoise. Et j’y engage mon autorité d’historien. Car l’histoire, pour ce que j’enseigne qu’elle est, n’est pas que la lecture dont des journalistes, déguisés en politistes, (je me demande qui a eu l’idée d’en faire une science), font un usage discutable. Elle est aussi et surtout la critique de ce qui est lu.

Que Mathias Eric Owona Nguini ait beaucoup lu me paraît certain. Qu’il soit capable d’assimiler ce que sa boulimie de savoir lui procure me le semble nettement moins. À commencer par son usage de la majuscule qui atteste son besoin d’un minimum de savoir typographique. Mais laissons à chacun ses lubies. Allons directement à ce qui est ici querellé : l’origine des jeux olympiques.

C’est un exercice historique. Toutes les fois que l’on remonte aux débuts d’une chose d’intérêt dans l’histoire humaine, on fait de l’histoire. Les jeux olympiques sont-ils d’intérêt ? Je le pense. Vous ne verriez pas certain moustachu prendre l’avion avec une forte délégation – encore plus importante que le nombre d’athlètes qu’il amène s’y produire – autrement. Et il n’y est pas allé seul, mais avec le vieillard dont on dit qu’il donne les très hautes instructions.

Ces gens-là se déplacent généralement pour des choses qu’ils trouvent important. D’où vient cette chose ? On peut s’interroger après le festin païen et hédoniste que ceux qui les abritent nous ont servi en ouverture. Historien de métier doté de la vocation d’encadrer la formation de ce secteur, ça me semble naturel de la questionner. Surtout quand un journaliste des sciences politiques me laisse entendre que ça vient d’Égypte antique.

L’Égypte pharaonique a fait l’objet d’un grand nombre de fixations. Auparavant, à ses débuts, la science égyptologique lui a dénié tout ce qui émanait d’Afrique. Jusqu’à ce que paraissent le Cheikh Anta Diop et ses suivants. Une nouvelle tendance semble s’être créée : désormais octroyer à l’Égypte – et à l’Afrique – tout ce que l’être humain a pu inventer. Kalala Omotunde nous a fait savoir qu’on lui doit la Heineken. Pourquoi pas les jeux olympiques ?

Ne croyez pas une seule seconde que ça me pose problème que l’Égypte – et nous les Africains en général – ayons pu inspirer un événement capable de mouvoir nos grands. J’en serais même plutôt flatté. C’est juste une rhétorique d’historien féru d’exactitude : en vérité, l’avons-nous vraiment inspirée ? Quand nous, historiens, attestons quelque chose, c’est en général parce que c’est démontré.

D’abord, il n’y a rien dans le passé qu’on appelle « jeux olympiques ». Cette appellation est très moderne et date de la restauration des jeux anciens par le Français Pierre de Coubertin en 1894. Les jeux en question étaient des joutes pan-helléniques : c’est-à-dire des compétitions sportives qui rassemblaient tout l’univers hellénique dont la Grèce n’est qu’une partie. La plus lointaine trace de ces jeux remonte au milieu du 8e siècle av. J.-C. Et les compétitions ont duré douze siècles à peu près.

L’endroit où se tenaient ces jeux est devenu emblématique : le mont Olympe. Il y a à cela une raison. Cette montagne joue un rôle très important dans la vision du monde grecque. C’est le nexus – le point de rencontre – du ciel et de la terre ; des dieux et des hommes. Donc, les jeux sont d’abord connectés à un idéal religieux. Et puisqu’on prête à l’Afrique d’avoir tout prêté, il faudra sans doute en conclure qu’elle a aussi prêté aux Grecs, leur religion.

Mais en vérité, les Hellènes furent des hommes qui ont probablement eu tout ce qui relève de l’humanité : une Weltanschauung, (autrement dit, une vision du monde), une religion et des lieux sacrés. Ils ont eu leur façon propre de se percevoir et des récits mythologiques conséquents. Il est logique que la plus forte représentation d’eux ; un de leurs plus notables legs à l’humanité émane de là. Vous ne lègueriez pas à la prospérité quelque chose que vous auriez emprunté.

Les jeux pan-helléniques, remarquez-le, ne sont pas liés à un homme, à un règne, à une période ou à un pays. Ils les transcendent. Ils sont la propriété d’une culture et le reflet de sa façon d’être. Leur prétendre une origine africaine revient à dire que ces Africains ont modelé l’être profond de ces Hellènes. (Ce qui d’ailleurs n’est pas une totale impossibilité du point de vue historique : des peuples ont parfois très fortement aliéné d’autres et l’Afrique noire en sait quelque chose).

Mais alors, ceci impose une fondamentale règle de sociologie : l’Afrique qui aurait octroyé aux Hellènes leur plus important référent doit nécessairement le posséder. (On ne peut donner à autrui ce qu’on n’a pas). Si l’Afrique a donné aux Hellènes leurs jeux, elle devait elle- même les avoir. Même avec un raisonnement aussi bancal que le sien, Meon doit le savoir. Il a donc exhibé de ses fumeuses lectures, une théorie encore plus spécieuse : elle possédait des jeux non pas olympiques, mais ramessides (c’est-à-dire qui proviennent des Ramsès).

Dans son objection à ma réfutation, il se veut même plus spécifique : les jeux africains se sont tenus sous Ramsès III. Il s’agit d’un roi qui a régné sur l’Égypte pendant 31 ans, de 1184 à 1153 av. J.-C. Une banale recherche Google peut donner un aperçu général du règne de ce souverain, essentiellement marqué par des guerres et des intrigues, dans une atmosphère de corruption généralisée. (Ce pharaon a du reste fini égorgé). Ce serait lui, à en croire Meon, qui aurait légué à la culture grecque son plus important marqueur civilisationnel.

Je veux bien, si c’est cela la culture, en manquer. Et je tiens pour imposteur, n’importe quel scientifique qui oserait l’affirmer. Ramsès III n’est qu’un des nombreux ramessides à avoir régné au Nouvel Empire égyptien. Ce n’en est pas le premier – ni le dernier – et ce n’est même pas celui qui, d’eux tous, eut le règne le plus long ou le plus notable. Quoi dans la structure séculaire de son pays qui possède une longue histoire abondamment documentée l’a amené à organiser des joutes si marquantes que l’univers hellène tout entier s’en soit inspiré ?

Et ç’a été si caché qu’il a fallu un Kalala Omotunde pour le révéler ! Des Égyptiens, ce serait allé chez les Chinois. (J’ai peur qu’en science politique, on croie que l’égyptologie soit de la science-fiction). Qu’on se comprenne bien : il ne s’agit pas de dire ici que les cultures égyptienne ou chinoise n’eussent point de compétitions sportives ou ludiques ; ou qu’elles n’aient point connu les sports qui, aujourd’hui comme hier, sont devenus des disciplines olympiques. Des représentations rupestres attestent que ces sports furent connus.

D’ailleurs les Chinois sont réputés pour leurs techniques martiales et elles possèdent une histoire particulièrement séculaire. Les jeux olympiques ne sont pas que du sport. Le sport comme activité est de beaucoup antérieur aux jeux. Les jeux sont l’organisation des activités sportives en vue d’un idéal culturel, politique, religieux et même économique destiné à organiser la société. La discussion sur les jeux olympiques se focalise là ; et non sur la connaissance ou l’antériorité de telle pratique sportive.

On peut même davantage s’interroger sur le pourquoi la paternité égyptienne des jeux n’est attribuée qu’aux seuls ramessides et à Ramsès III en particulier. C’est-à-dire 2000 ans après le début de l’histoire politique de ce pays ; à sa 19e dynastie et au dernier souverain de cette dynastie ; et plus de 11000 ans (Hoffman) après l’institutionnalisation culturelle de l’Égypte antique ? C’est un manque criard de culture historique d’installer là, comme ça, un phénomène décisif de civilisation, sans aucun antécédent.

Ce n’est même pas que les Égyptiens eussent possédé des jeux ramessides qu’ils auraient prêté aux Grecs le plus ahurissant. Ces jeux sont ahurissants déjà pour ces Égyptiens eux- mêmes. On n’organise pas des jeux de cette envergure juste pour jouer. Pour inspirer tout un univers, il faut que ces jeux aient un esprit qui n’émane pas de la volonté d’un homme, mais de l’idéal culturel de toute une société. C’est d’ailleurs le sens de la polémique des cérémonies de leur ouverture à Paris.

Pourquoi l’Égypte aurait-elle traversé une histoire pluri-millénaire sans organiser de telles joutes, pour les cantonner à une dynastie spécifique, à un règne précis ; après lequel cette compétition qui a été une telle source d’inspiration s’est évanouie en fumée et n’a à ce point pas laissé de traces qu’elle n’est pratiquement pas documentée ? N’importe quel précis d’histoire du monde hellène atteste de la trève, tous les quatre ans, en vue des jeux pan-helléniques.

Cette trève concernait la Grèce toute entière, la Macédoine, la Béotie, l’Achaïe, l’Hellespont, la Phrygie, la Pamphilie, la Carie, la Lydie, la Sidonie, la Mycénie, la Phillistie, la Crète, la Géorgie, et toutes les contrées qui admettaient Zeus comme roi des dieux assis sur l’Olympe. Cela s’est passé tous les quatre ans, pendant douze siècles. À peine ressuscité il y a un peu plus de cent ans, l’engouement est universel.

Et ce serait à Ramsès III et à l’Égypte que nous le devrions !

Qu’enseigne-t-on au juste en sciences politiques ?

Je commence sincèrement à me le demander !”

Source: Pr Bokagne

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