Il y a 18 ans disparaissait le directeur photo camerounais Bonaventure Takoukam

Il y a 18 ans disparaissait le directeur photo camerounais Bonaventure Takoukam. Un virtuose de la caméra, un as de l’image s’en est allé.  La mort a encore frappé la famille du cinéma africain. Le directeur photo, le plus illustre au Cameroun Bonaventure Takoukam s’est éteint vendredi 15 septembre à l’hôpital de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale de Yaoundé de suite d’une longue maladie. Il était ce jour-là 15h. La cinquantaine bien entamée, Bona comme on l’appelait affectueusement avait connu ses débuts cinématographiques avec Sam Stephen qui l’initia à la caméra. Il va véritablement prendre la direction photo pour la première fois dans le film les Coopérants de Arthur Si Bita.

JP Bekolo avec Bonaventure Takoukam et un cameraman Afroamericain à Atlanta- Photo JP Bekolo

Formé dans le tas au ministère de l’information et de la culture, il débute sa carrière à Cameroon Actualité comme cadreur ( Cameraman) . Il est l’un des pionniers à sa création des premières images de la télévision camerounaise CTV qui deviendra CRTV. Il s’envolera pour la France suivre une formation d’une année à l’INA de Paris. On lui doit les premières images de la CRTV lors du premier congrès de création du RDPC en 1984 à Bamenda et aussi de la première visite du pape Jean Paul II au Cameroun en août 1985. Les premières images des journaux de la CTV sont aussi son œuvre aux côtés des Samuel Bognis. Les premiers clips de musiques camerounaise portent son empreinte ainsi que les premières télés séries ou encore l’émission à succès Télé Podium animé par Elvis Kemayou. Il a participé en tant que cameraman et directeur photo dans les films de tout ce que le Cameroun compte comme cinéastes ( Arthur Si Bita, Bassek Bakhobio, Jean Marie Teno, Francois Woukouache, Jean Pierre Bekolo, Daniel  Kamwa, , etc..) et de nombreux autre cinéastes qui avaient choisi le Cameroun pour tourner des images. Il va faire le tour du monde, caméra à la main où il tournera de nombreuses images avec son ami d’enfance Alain Foka pour la boîte d’image Phoenix ont ce dernier était propriétaire. En 2002 dans une entrevue réalisée par Olivier Barlet et publiée dans Africultures son ami et collègue Jean Pierre Bekolo affirmait : «  Il y a en Afrique des gens excellents, et dans le cinéma de très bons techniciens : j’ai tourné à Memphis avec un chef opérateur camerounais, Bonaventure Takoukam. Si on croit à la réincarnation, pourquoi Einstein ne se réincarnerait-il pas en Afrique? Le savoir n’appartient à personne! »

Sur le plateau Jean Pierre Bekolo avec Bonaventure Takoukam à Memphis ( Photo. JP Bekolo)

Tous ceux qui ont travaillé avec lui ou côtoyé, lui reconnaissent ce talent mais aussi son professionnalisme, son immense sens du sacrifice, son humilité et son attachement.

Opéré au mois de mai 2006, il devait par la suite être évacué pour d’autres soins sur la France en début du mois de juin. Mais un avis d’un conseil de médecins a trouvé presque inutile de le faire. Dès ce moment, nous avions tous su que ses jours étaient comptés, du moins que cela ne révélait plus que du miracle. Malheureusement le miracle n’a pas eu lieu. Il ne restait plus que l’accompagnement. J’ai eu pour la dernière fois une conversation suivie et logique avec lui le 7 août 2006. Une des dernières phrases de lui : «MO, Alain (son ami d’enfance Foka de RFI) était ici, on devait tout finaliser pour mon départ pour les soins. Mais, MO, tu sais les médecins m’ont dit qu’ils ne peuvent plus rien, que cela ne vaut pas la peine. Je ne sais pas si on se reverra encore. Mais sans doute c’est mieux ainsi, tu es loin, tu n’auras pas à vivre ma descente aux enfers. Tu ne peux pas me reconnaître, la maladie ma rendue invalide. Ta mère (sa grande sœur) fait ce qu’elle peut avec ses prières. J’essaye aussi mais je n’ai pas de force. J’ai demandé à Honoré (Honoré Noumadeu est un des nombreux jeunes qu’il a formé à la caméra) de prendre une caméra et de me filmer un peu pour toi. Il gardera cette cassette pour toi. Ne soit pas trop découragé. Pense souvent aux enfants aussi souvent que tu peux. ……Ne soit pas trop découragé. ……Ma vie je l’ai consacré à ma profession. Ce que j’aimais.  Je n’ai jamais rien demandé en retour tu sais !…J’espère qu’un jour ils seront reconnaissant. Je ne vais pas m’apitoyer sur mon sort. J’ai quand même eu une vie pleine…… Sans doute il y avait, il y a encore des choses à faire, que je souhaitais faire. Mais si je pars, c’est sans amertume»

Après toutes les autres conversations étaient devenues difficiles. Ce n’était plus possible de m’entretenir avec lui car il était très faible, incapable d’articuler bien que conscient. Le 16 août 2006 mon grand frère qui vit à Douala faisait un tour à Yaoundé. De son retour de la capitale, il va envoyer ce courriel « Je reviens de Yaoundé. J’ai vu Bona. J’ai vu l’homme fragilisé par la maladie. J’ai vu l’homme dans sa finitude. Inimaginable ! tu reconnais juste la tête et un timbre vocal à peine audible, terrassé par la douleur. Nous devons préparer les obsèques malgré un possible miracle. Vivre c’est aussi prévoir. J’ai aussi fait ce que tu as demandé à Yaoundé pour ses enfants. Les enfants, les 3 prenaient leur baptême ».

Voilà en quelques lignes les derniers moments. Mon oncle Bonaventure Takoukam qui était le benjamin de ma famille maternelle laissait dans la douleur son épouse Pélagie, et 3 enfants en bas âge qui est aujourd’hui sont des adultes.

En tournage sur les rues de Memphis JP Bekolo et Bonaventure Takoukam, JP Bekolo est au volant

Dix-huit ans plus tard, on ne l’a pas oublié. La mémoire de Bona est toujours vivante. Il n’a pas été oublié. D’ailleurs, le cinéaste Jean-Pierre Bekolo publiait des photos inédites sur sa page facebook. Il affirmait ainsi : « Je tiens à partager ici quelques photos souvenirs avec Bonaventure Takoukam. Bona, comme on l’appelait affectueusement, n’était pas seulement, un directeur photo et caméraman surdoué. Mais aussi un prodige qui, dès l’âge de 14 ans, suivait tous les tournages au Cameroun. Il n’y a pas un seul cinéaste au Cameroun qui est devenu cinéaste sans Bona. De Bassek Ba Khobio à Jean-Marie Teno en passant par Francois Woukoache pour ne citer que ceux-là.  Avec Romuald Banack,  il fut l’un des premiers à m’accueillir  à la naissante télévision camerounaise. La CRTV, où j’ai débuté en tant que monteur. Très vite, nous sommes devenus complices dans tous les crimes cinématographiques et audiovisuels, réalisant ensemble des clips vidéo, puis bien sûr mon premier film “Quartier Mozart” et plus tard “Les Saignantes”. Toutefois il y a une aventure mémorable nous lie, celle de la conquête des États-Unis. En 1993, que je n’ai jamais racontée. Grâce à la critique afro-américaine Jackie Jones, nous nous sommes retrouvés à Memphis. Pour tourner un film que j’ai écrit pour répondre au film d’Eddy Murphy  “Coming to America”.  Essindi Mindja et Kenneth Komtanghi étaient également de l’aventure… Mais ca c’est une autre histoire… »

Ainsi va la vie 

Modeste Mba Talla

Comments (0)
Add Comment