Le Pr. Takougang et le Zombiland 22 ans après : Le Ballet de Zombies au Zombiland

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Sont-ils au moins les contemporains des autres peuples de la terre ? Il y a lieu d’en douter fort ! Ce sont des êtres vannés et vidés de leur substance, de véritables coquilles vides, qui vous observent d’un regard hagard, l’air absent. Ils vont et viennent, parlent seuls et rient souvent, sans raison apparente. Mais, c’est un rire bizarre qui craque, que l’on entend en écho, comme venant de très loin. Les Zombies sont là, devant vous, mais ils sont d’un autre monde. Ils n’ont pas de volonté propre. Ils ne savent pas pourquoi ils sont là ; ils ne savent pas ce qu’ils font ni où ils vont ; veulent-ils seulement savoir quelque-chose ? Ce n’est pas là leur principale préoccupation.

Les Zombies n’ont pas d’ambition. L’ambition, c’est la maladie des gens pressés. Les Zombies ne sont pas pressés. Morts-vivants et citoyens d’un autre monde, ils ont devant eux et pour eux toute l’éternité ! Ce sont des cadavres auxquels les esprits ont redonné vie en les animant de gestes automatiques. A bien les observer, leurs mouvements sont plutôt des spasmes, sans souplesse, sans grâce, avec la rigidité et la fixité de l’instinct. Tout en eux est figé, stéréotypé. On dirait des êtres robotisés, conditionnés, n’obéissant qu’à des ordres ou des suggestions hypnotiques, afin de ne pas troubler l’ordre établi, ce statu quo ante qui ne profite qu’à une poignée d’initiés et de gérontes séniles qui trônent là-haut dans leurs tours d’ivoire, aux derniers étages de ces immeubles qui taquinent de leur opulence insolente la misère nauséeuse des bidonvilles où grouillent des Zombies barboteurs et pouilleux.

 

Esclaves et fiers de l’être, telle semble être la devise des Zombies ! Sujets d’un royaume concentrationnaire, ils tournent en ronds, comme des animaux en cage. Ce sont des âmes en peine. Leur docilité et leur patience sont proverbiales : ce sont des êtres définitivement domptés, manipulables et corvéables à souhait. Ils vivent de tribalisme, de clientélisme, de trahisons, de compromissions et de délations. Dans l’odeur fétide de leurs quartiers nauséabonds, ils se discriminent, se surveillent, s’épient et se dénoncent. Pourtant, aucun d’eux, quelle que soit sa tribu, n’est mieux loti. Les intimidations, la répression, la barbarie, la brutalité, l’arbitraire, la famine et la misère et les humiliations les plus déshumanisantes sont leur lot quotidien. Travailleurs infatigables, ils ne produisent que pour les autres. Leur est-il jamais arrivé de penser qu’ils avaient quelques droits ? Je ne crois pas, mais en revanche, à coups de fouets, on leur a pour jamais inoculé la conscience définitive de leurs obligations, surtout celles de se plier en quatre pour se mettre obséquieusement au service de leurs maîtres.

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Ah ! les Zombies ! Ceux qui sont appelés à exercer une petite fonction ou à jouir d’une petite parcelle de pouvoir, sont de très habiles cleptomanes, et on voit que c’est un talent inné. Le vol est inscrit dans leurs gènes comme un message salvateur aux générations futures. Ils vont vers la fortune publique comme la plante monte vers le soleil : on dirait un clepto-tropisme ! Heureusement que si chez eux on torture et emprisonne à vie les voleurs d’œufs, en revanche, on célèbre et décore les voleurs de bœufs. Avis aux petits maraudeurs !

Le Zombiland était jadis très prospère. Son roi, de droit divin, était féroce, mais généreux, pour endormir les consciences. Peut-être était-ce mieux ainsi, car si on ne parlait point de pouvoir et de politique, du moins, on mangeait à sa faim, dans sa main paternaliste et condescendante. Depuis son exil et sa mort, le prince héritier est devenu plus vorace et plus radin. Avec lui, on a perdu tous les maigres acquis de jadis et le deuil a planté sa case dans la cour du village. Tout ce qu’il vous donne n’est que faveur et à longueur de journée, il faut chanter ses louanges et sa magnanimité providentielle et infaillible. Il peut, sans explication aucune, vous confisquer des mois de salaires, ou bien sans raison, vous les réduire à la portion congrue avant que la dévaluation et l’inflation galopante ne viennent engloutir le reste. Autant son père aimait les augmentations de décembre, autant il adore les baisses de janvier ! Tant et si bien qu’en trois décennies de règne, il nous a fait avancer de cinquante ans, mais bien à reculons. C’est peut-être là son sens de l’Histoire !
Depuis peu, on dit que le Zombiland est en crise. Le diagnostic n’a guère surpris. Le Zombiland est pauvre parce que les Zombies sont trop riches. Ils doivent remettre les caisses de l’Etat à flot, même si peu à près elles vont devenir des caisses noires pour les intouchables du royaume. L’assiette fiscale s’élargit alors et engloutit tout, comme un tunnel qui s’ouvre et dont on cherche vainement la sortie. Heureusement qu’ici, les poubelles sont omniprésentes et riches. Les Zombies peuvent y manger à satiété, en attendant qu’on finisse par les imposer! Que n’imposera-t-on pas pour financer le train de vie princier et l’embonpoint et les caprices du Roi des Elus de sa Cour ?

Chez les Zombies, on dit que les contradictions pimentent la vie. C’est d’ailleurs la grande caractéristique des verbalocraties, ces régimes où les mots et les discours tiennent lieu d’actions concrètes. Ce sont des pays où le verbe du dieu régnant, ontologiquement démagogue, ne se fait jamais chair. Certains retraités, toutes catégories confondues, malgré tous les discours sur l’équité et la justice sociale, gagnent plus que leurs collègues encore en activité. Parfois, les gardes du corps gagnent plus que les corps gardés, c’est-à-dire leurs patrons, afin que leurs armes soient toujours pointées sur ceux qui tentent de prendre des libertés et qu’ils soient à jamais sans pitié contre ceux qui ont des velléités contestataires. Les économistes disent que dépouiller les Zombies, baisser exagérément leurs salaires et augmenter les impôts, c’est encourager la consommation et provoquer la relance économique. On peut leur faire confiance, ils se disent les meilleurs du Cosmos.

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Ailleurs, on se battrait jusqu’à la dernière goutte de sang pour réclamer un peu d’oxygène et de justice. Mais n’y pensez pas. Ici, personne n’ose se plaindre ouvertement. Chacun souffre et gémit en silence et en privé. L’instinct de conservation a pris le dessus ! En public, on chante et loue la grandeur et la beauté du royaume ainsi que la générosité du roi et de la reine avec leur extrême attachement et sollicitude pour leur peuple. On prie bruyamment afin qu’ils vivent éternellement, même si ce que dit la bouche n’est jamais en accord avec ce que pense le cœur. Alors, tout est calme. Tout est tranquille. Les Zombies aiment la paix, bien que leur pays soit en perpétuel état d’urgence et sur pied de guerre civile. Des lavages de cerveau un peu trop fréquents et des endoctrinements assidus leur ont depuis longtemps enseigné qu’il fallait préférer l’injustice au désordre. La paix et la stabilité sont alors devenues des articles de foi ! !

Le Zombiland est donc un pays linéaire, où rien ne se passe : un pays sans bruit, sans histoires, donc sans Histoire. Les Zombies ne souffrent d’aucune comparaison. Dans les bas-fonds marécageux de leur dégénérescence avancée, ils célèbrent leurs tortionnaires à longueur de journée et revendiquent leur originalité qui suit le sens de la pesanteur, qui les tire vers le bas, vers les tombes et les caveaux d’où ils sont originaires et vers le Néant qui est leur vraie patrie. Est-ce leur faute ? Ils sont des Zombies. Les Zombies n’ont pas de volonté propre. Ils vivent ici, mais ils sont d’ailleurs, d’un autre monde. Leurs pensées, leurs paroles et leurs actions sont d’Outre-tombe. Ah ! le Zombiland ! Mais pourquoi souriez-vous ? Votre pays en est-il si différent ? Ouvrez les yeux et regardez autour de vous !

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Yaoundé, le 05 janvier 1995

 

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