FECAFOOT : le Prince Bamiléké qui s’exprime en Fufuldé et en Moundang
Nul ne peut prédire le destin d’un prince Bamiléké… Dieudonné Happi, futur dandy du barreau du Cameroun, est né le 26 novembre 1951 dans les méandres de la chefferie Bandja dans le Haut-Nkam. Presque rien ne le prédestinait ni à la vie politique ou au sport, et encore moins au terroir septentrional où il passera une partie essentielle de sa vie.
C’est que, les reines grassfields avaient conservé une large latitude dans l’éducation des princes. C’est ainsi que la mère de Happi, une princesse Bana – qui lui octroya le patronyme de son père à elle, le roi Happi -, diligentera le parcours de son unique garçon né, signe du destin, un jour où une belle brochette d’autres rois séjournait dans le domaine royal bandoumdja.
Très tôt, le petit Happi est expédié à Pitoa près de Garoua dans la Bénoué où il fait ses études primaires à l’école pilote. Puis c’est Kaélé dans le Mayo-Kani, au lycée. Au milieu des camarades, le déjà prodige du verbe apprend la langue Moundang en sus du Foufouldé usuel. Tel un météore, il parcourt ensuite les lycées de Buea, du Manengouba…
Il poursuivra ses études en France. Il obtient son baccalauréat à Rouen avant de s’inscrire à la faculté de droit de l’université d’Angers.
Du Maine-et-Loire, aux rives de la Loire et dans les Alpes-Maritimes en Hexagone, le jeune Happi s’essaie à presque tout. Il apprend à se débrouiller. Fin connaisseur de vins français et des us gastronomiques du pays de la Loire, le charmeur inné sait se défendre.
Il s’était même révélé excellent handballeur mais dut décliner l’offre d’une carrière semi-professionnelle.
Il rencontre sa future épouse, Nicole. Les dehors humbles de la gracieuse brunette cachent une fille de prince Bandjoun – son père, Lucas-Léonard Kake, fut « chef de terre »…
Veille des années 1980. C’est le retour au bercail du couple Happi.
Nanti de son diplôme en droit, Happi s’installe à Maroua dans le Diamaré. Qui l’eût prédit? C’est le chef-lieu de la région de son enfance. Il s’y sent presque comme un poisson dans l’eau. Il traite sa clientèle en Foufouldé. Surtout, il y fait ses enfants.
C’est en février 1990, à l’aune du retour au pluralisme politique, que «l’avocat du Nord» se révèle au public national.
Procès Yondo Black
Le très médiatisé procès du bâtonnier Yondo Mandenguè Black Albert défraie alors la chronique. L’avocat est accusé de «sédition, subversion et affront au chef de l’État». Le régime Biya lui reproche d’«avoir eu l’intention de créer un parti politique sans l’autorisation de l’administration» au nom d’un Comité de coordination pour le multipartisme et la démocratie. L’affaire révèle aux médias les Anicet Ékanè, Albert W. Mukong, Kwa Moutomè, Vincent Feko, Henriette Ekwè…
Parmi les avocats qui s’illustrent par leur art et par leur courage dans un contexte quasi unanimiste apparaît un certain Happi. À la sortie de prétoire, tout semble clair. L’on devra compter désormais avec cet étrange avocat aux allures de play-boy.
La même année, Maître Happi tire du pétrin l’ancien chef de la sécurité présidentielle tchadienne inopinément cueilli à Garoua. L’ancien président tchadien, Hissène Habré, échouait alors dans le septentrion camerounais avec son entourage au gré du coup d’État d’Idriss Déby (1er décembre 1990) appuyé par les services spéciaux français.
En 1992, « l’avocat de Maroua » devient, presque à son corps défendant, une sorte de pierre angulaire officieuse de l’Union pour le changement, mouvement qui manque de peu d’arracher le pouvoir de M. Paul Biya en octobre avec son « candidat unique » Ni John Fru Ndi.
Beaucoup apprendront, à leurs dépens, que l’avocat n’était rien dans le mouvement. Il n’était qu’un facilitateur bénévole, un simple « sympathisant de la démocratie ».
Les plus hauts responsables des partis politiques en prendront pour leur grade.
Ni John Fru Ndi tentera en vain de l’enrôler au sein d’un SDF (Social Democratic Front) au sommet de sa popularité.
Avec le temps, les apparatchiks de l’UNDP auront moins de mal à l’extiper de sa « neutralité » pour en faire un conseiller municipal à Maroua. L’expérience s’avère peu excitante. Et coûteuse. Il est allé à l’UNDP de son « ami » Maïgari Bello Bouba avec sa fougue. Mais un parti politique c’est comme une église. On la boucle ou on quitte.
Il démissionne et retourne là où il s’est toujours senti le mieux : dans la société civile. Il le savait : « il y a plus à perdre qu’à gagner à l’UNDP et dans la politique en général». Mais il pensait « devoir reconnaissance au septentrion ».
Les éminences grises de Laakam, controversée «association culturelle Bamiléké », repèrent l’électron libre. Ils entreprendront de le coopter.
Il demeure, à ce jour, l’éternel président par intérim de l’association moribonde après la disparition à Yaoundé de Robert Nkamgang, le 24 mai 2002. Il fit partie de l’équipée Laakam à l’hôtel Matignon à Paris et à l’Immeuble Étoile à Yaoundé « au nom des Bamiléké ».
Certains de ces choix furent sans doute influencés par sa proximité au patriarche Joseph Kadji Defosso, fondateur de l’Union camerounaise des brasseries (UCB).
La relation du Wambé So’o (notable et prince) au vieux Fô Toula (roi de Toula) est cordiale depuis des lustres. Ils s’apprécient et se couvrent mutuellement d’éloges et de flatteries.
Mais Maître Happi est resté avocat dans l’âme. Après presque trois décades, le gadamayo revient au Sud. Son cabinet aménage à Douala dès 2007. Il a su inculquer l’instinct de la profession à sa fille aînée Vanessa de Happi, épouse Mbakop, avocate au barreau du Québec où elle travaillait pour la multinationale Norton Rose Fulbright avant de retourner au pays en 2015…
De s’être ainsi rapproché de la dernière demeure de sa défunte mère lui a peut-être porté bonheur.
Laakam
L’un de ses faits d’armes est le procès opposant Amity Bank Cameroon PLC., à la COBAC (Commission bancaire de l’Afrique centrale) devant la chambre judiciaire de la Cemac à Ndjamena en 2009. Assisté de son cousin ancien bâtonnier Patrice Monthé, Dieudonné Happi fait condamner l’autorité monétaire pour «dépassement de sa mission initialement confiée» à Amity Bank. L’institution avait ordonné la «cession totale de la banque au lieu de se limiter à faire entrer un partenaire stratégique dans son capital».
Mieux, Maître Happi fait relaxer le 30 avril 2014 le colonel saint-syrien Édouard Etondè Ekotto. À 77 ans, le patriarche duala, ancien président du Port autonome de Douala (PAD), avait fait l’objet d’une peine d’emprisonnement de 15 ans. L’ancien camarade du chef de l’État Paul Biya au lycée Général Leclerc est considéré comme le seul «éperviable» à avoir jamais été libéré par la plaidoirie. Ce n’est que grâce au groupe Utopia, agent du goléador Samuel Eto’o, créé par son fils Wilfried de Happi (diplômé en ingénierie pétrolière à l’Université de Houston), que Maître Happi débarque au cœur du football camerounais.
Il avait été sollicité par Utopia il y a quelques années comme conseil dans le segment impliquant l’agent de la superstar dans l’affaire Nathalie Koah. Il n’a donc pas été son avocat à proprement parler et n’a jamais plaidé. Maître Happi avait notamment recommandé la suspension de toutes les procédures en cours contre la jeune fille, les jugeant « inutiles » et budgétivores.
Ainsi, au moment où une mission conjointe FIFA/CAF séjourne à Yaoundé début septembre 2017 et décide de désigner un nouveau comité de normalisation à la fédération de football, elle retient la candidature de l’ancien « représentant du bâtonnier dans l’extrême-nord ». La mission avait exigé un « avocat intègre » pour la délicate mission.
Auteur: Jean-Marc Soboth