Les camerounais de l’autre rive du Moungo vont déclarer leur indépendance ce premier octobre 2017
Ce qui n’était qu’une grogne est devenu une colère ; la simple protestation, un début de soulèvement. La proclamation symbolique de l’indépendance, prévue dimanche 1er octobre, n’a fait que tendre la situation dans la région anglophone du Cameroun, dans le Sud-Ouest du pays.
Le pouvoir, signe d’une certaine angoisse, a réagi avec force. Un couvre-feu, rebaptisé «mesures régulatoires», a été instauré. Les frontières de la zone ont été fermées jusqu’à lundi, les transports suspendus, les voyages d’une ville à l’autre interdits, tout comme les réunions de plus de quatre personnes. Des renforts de police et de l’armée ont été dépêchés sur place. Internet et les téléphones n’ont en revanche pas été coupés, ou tout du moins pas encore. Au début de l’année, la région avait été privée de communications pendant trois mois. Car le conflit s’envenime en fait depuis près d’un an.
Une manifestation en novembre dernier à Bamenda a cristallisé les rancœurs. Les avocats et les professeurs de la minorité anglophone (environ 20% de la population) protestaient alors contre «francophonisation du système anglo-saxon». La Cameroon Teachers Trade Union accusait le gouvernement de Yaoundé de favoriser les francophones dans les écoles anglophones. De son côté, le barreau affirme que la Common law, le système britannique, est de plus en plus supplantée par le droit latin. Les anglophones «sont marginalisés», résume Joshua Osih, député d’une région anglophone et vice-président du Social democratic front (SDF), le premier parti d’opposition camerounais. Le bilinguisme est certes inscrit dans la constitution mais, selon le SDF, cela reste purement théorique.
Une querelle ancienne
Dans les faits, cette querelle est la même depuis mai 1972 et la décision abrupte du pouvoir central de réunir le pays au sein «d’une république Unie». Cela a mis fin à un protocole de 1961 qui consacrait un état avec deux systèmes: un pour l’ex-colonie française et l’autre pour l’ancienne partie sous mandat britannique. Les différentes tentatives pour endiguer les antagonismes ont depuis échoué, y compris celle d’ôter le mot «Unie» dans la devise de la république.
Le choix des séparatistes du 1er octobre pour instaurer l’indépendance ne doit d’ailleurs rien au hasard. La réunification du Cameroun avait été proclamée le 1 er octobre 1961. «(Cette) réunification mal conduite, fondée sur un projet centraliste et assimilationniste, a mené à un sentiment de marginalisation économique et politique de la minorité anglophone et à une prise en compte défectueuse de sa différence culturelle», souligne le centre de recherches International Crisis Group (ICG), dans un récent rapport.
Mais, si les protestations concernent la défense d’une langue et d’un mode de vie, elles vont aussi nettement plus loin. Depuis novembre, les manifestations se sont enchaînées avec les journées «ville morte» entraînant dans leurs sillages de plus en plus de jeunes protestant contre le chômage, la misère et un système politique opaque. «Dans le fond, ces manifestations sont aussi une façon de lutter contre le président Paul Biya», souligne un diplomate. Maître du pouvoir depuis 1984, qu’il exerce avec une autorité distante mais très ferme, Paul Biya a fini par incarner une politique injuste et arbitraire aux yeux de la minorité.
Le pouvoir a lâché un peu de lest
Dans un premier temps, Yaoundé, bien conscient du versant politique de ces protestations, a réprimé les velléités. Au moins dix personnes ont été tuées, le triple selon l’opposition. Les autorités ont aussi ordonné une vague d’arrestations, les principaux leaders de la contestation se retrouvant ainsi sous les verrous. Cette fermeté n’a fait qu’aiguiser les aigreurs et enflammer les revendications indépendantistes. La contestation a gagné du terrain et les pressions diplomatiques se sont faites plus insistantes. En avril, le pape François a ainsi affirmé «l’importance de la cohésion nationale dans le respect des droits de l’homme et des minorités». À la même époque, les États-Unis ont dit suivre avec attention la situation et menacé de réexaminer les conditions de leur coopération militaire avec Yaoundé. Jeudi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est dit «profondément préoccupé par la situation au Cameroun» et a exhorté les autorités camerounaises «à promouvoir des mesures de réconciliation nationale».
Depuis quelques semaines, le gouvernement a donc lâché un peu de lest. L’ouverture de postes pour des enseignants anglophones a notamment été promise. Début septembre, plusieurs prisonniers, des étudiants mais aussi Ayah Abine, ancien avocat général près de la Cour suprême du Cameroun et candidat à la présidentielle de 2011, ont été libérés. Au total, plus de cinquante personnes ont retrouvé la liberté, certaines accusées de rébellions encouraient la peine de mort. Détenues sans la moindre charge sérieuse, elles ont été élargies par la seule volonté de Paul Biya. Cette mansuétude tardive n’a en rien arrêté les revendications sécessionnistes ou fédéralistes des anglophones, options que refuse fermement Yaoundé. «La combinaison d’une mauvaise gouvernance et de la question identitaire risque d’être particulièrement difficile à traiter», affirme l’ ICG.
«La situation est dangereuse. Il n’y aura pas d’indépendance, c’est presque certain, mais le risque de voir surgir une lutte armée dans cette région n’est pas à écarter», souligne un chercheur.
Par Tanguy Berthemet
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