Le Conseil Constitutionnel vient d’être mis en place. Des gens sages auraient pu dire « enfin », et d’autres, «trop tard ! ».Et la convocation du Sénat aurait dû susciter l’étonnement des gens sages qui, devant la tragédie anglophone, se seraient demandé quel sens le régime donne à sa décentralisation « accélérée », quand on sait que les Sénateurs auraient dû être aussi élus par les Conseillers régionaux.
Mais la majorité des intervenants se bloquent dans la signification tribale de ces mesures. Rares sont ceux qui les articulent aux fondamentaux du Cameroun, à savoir qu’au moment où le pays sombre dans le naufrage, naufrage économique, naufrage sécuritaire, naufrage social, est-ce que c’est vraiment cela l’essentiel ?
Bien au contraire, certains y voient une manœuvre des Betis de conserver le pouvoir. Cela n’est pas nécessairement faux, mais cela traduit aussi cette perception tribaliste du pouvoir que nous avons intériorisée. Hystériquement focalisés sur le pouvoir, accrochés au pouvoir, au pouvoir pour eux-mêmes, au pouvoir pour la tribu, nous nous sommes tous mis dans une attitude d’espionnage de l’autre pour identifier les stratégies qu’il élaborerait pour conserver le pouvoir ou pour s’en approprier.
Dans ces conditions, et comme je l’ai dit, nous sommes sur un volcan et il est impératif d’en sortir en modifiant la forme de l’Etat en concassant le pouvoir monstrueux de son chef pour éparpiller les divers segmentas territoriaux, de manière à réduire son excessive attractivité et à le normaliser. Il s’agit clairement de confiner l’Etat central à des activités stratégiques qui n’intéressent pas directement les communautés, mais agissent sur l’ensemble de la Communauté, de telle sorte qu’on puisse réduire l’instrumentalisation du pouvoir d’Etat à des fins communautaires.
Et le reste des pouvoirs d’Etat est remis aux Etats régionaux.
Mais les Camerounais restent accrochés à cette organisation, chacun se croyant assez malin pour s’approprier ce pouvoir monstrueux pour lui-même et pour les siens. Et le discours sur l’unité nationale ne traduit en réalité que l’espérance secrète de mettre la main sur cette cagnotte commune et l’utiliser seul comme il veut, pour son intérêt personnel, l’intérêt de sa tribu et l’intérêt de son réseau d’allégeance…
Il est improbable que de tels calculs conduisent à un bon résultat, car en posant le pouvoir comme une affaire de tribus, nous nous sommes lancés dans un sale jeu darwinien où les forts prennent tout par la force et s’imposent aux autres par la force.
Dans ces conditions, de quoi peut-on se plaindre si telle tribu essaie de confisquer le pouvoir et si telle autre essaie de l’arracher ? C’est dans l’ordre du jeu que nous avons bâti et accepté ! Et chaque tribu utilise ses arguments, et le plus fort gagne !
C’est cela la réalité d’un Etat unitaire dans un environnement humain très hétérogène qui se joue la comédie de l’unité nationale. Vous pensez que tous les pays de l’Afrique Centrale, sans exception, ont des vieux dictateurs, des successions dynastiques et des pays instables pourquoi ? C’est cela la conséquence logique de ce mode d’organisation !
Et au nom de quoi croyez-vous que le Cameroun échappera à ce destin commun ? On aura donc bel et bien au Cameroun, soit un Chef de plus en plus vieux, soit une succession dynastique, soit l’instabilité !
On ne peut échapper à cela qu’en revisitant tout le dispositif institutionnel. Et le seul débat qui vaille la peine aujourd’hui, ce n’est ni les élections, ni la création des organes qui ne sont que des modalités de reproduction de ce système usé, vieilli et obsolète, mais la restructuration de l’Etat, à commencer par sa forme.
Et le vrai combat politique qui doit être mené est celui d’un régime de transition qui prenne toutes les réformes fondamentales, avant que le jeu politique classique ne commence réellement.
Dieudonné ESSOMBA
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