Une autre lettre de Fru Ndi président du SDF au président Biya :”Je suis toujours disposé à discuter, bien que jusqu’à présent il n’y ait pas encore eu de feedback”
M. FRU NDI ECRIT A M. PAUL BIYA
A Son Excellence
Monsieur Paul Biya
Président de la République
Yaoundé, Cameroun
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
Une fois encore, je me sens obligé de revenir vers vous pour l’intérêt supérieur du Cameroun, notre cher pays. Comme suite à notre dernière correspondence et étant donné l’urgence de la situation, je me serais attendu à ce que vous ayez déjà lancé une invitation au dialogue, tel qu’indiqué dans votre dernier courrier. Malheureusement, je constate qu’une telle action n’a pas encore été entreprise. J’ai de la peine à croire qu’avec l’Etat du Cameroun en péril, notre avenir incertain, et à plus forte raison le feu brûlant à ma propre porte, vous ne voyiez pas toujours la nécessité que nous ouvrions un sérieux dialogue pour oeuvrer ensemble et assidument à la résolution de cette crise.
J’imagine que les premiers rapports de sécurité dressés par certains de vos agents et administrateurs aient pu être de nature à vous induire en erreur, ce qui explique peut-être pourquoi vous n’avez pas jusqu’ici programmé une rencontre entre nous. Je me dois cependant d’attirer votre attention sur le fait que de tels rapports sont dressés en pure mauvaise foi pour servir de camouflage à des agents plutôt occupés à amasser des fortunes pour eux-mêmes et pour justifier leur mauvaise appréciation de la situation et masquer leur incapacité grossière à gérer cette crise.
Après plus de trois décennies en politique, je peux dire que je comprends convenablement quels sont les enjeux de ce pays. Ma vision ou ma mission politique n’a jamais été de semer la confusion pour en tirer des bénéfices politiques ou toute autre forme de consécration, bien qu’il soit déjà arrivé qu’un membre de votre gouvernement m’accuse sans fondement d’une telle dérive. Je crois fermement en la protection et la préservation de la vie. Je vous l’ai déjà dit et je le réitère aujourd’hui, je ne pense pas à arriver au pouvoir ou à conquérir la célébrité en marchant sur des cadavres d’innocents Camerounais, sinon en 1992, j’aurais choisi de faire basculer le pays dans la guerre civile après le hold up de l’élection présidentielle. Si je n’ai pas choisi cette option en ce moment-là, ce n’est pas aujourd’hui que je suis prêt à y souscrire.
M. le Président,
La rapide détérioration de la situation dans les deux régions d’expression anglaise justifie qu’une fois encore, j’attire votre attention sur la nécessité d’une prompte action de dialogue au sujet de la crise anglophone. Un vieil adage anglais dit que “prévenir vaut mieux que guérir”. Quand cette crise a éclaté, ce qui n’était initialement qu’une action de syndicats et qui aurait pu facilement s’achever en tant que telle, s’est facilement muée en un évènement captivant par des révélations surprenantes. Il y a eu beaucoup de débats et d’analyses au sujet de cette crise et nous sommes tous bien conscients qu’il existe une véritable crise anglophone que vous connaissez très bien, particulièrement en votre qualité de Rapporteur de la Commission Ahidjo à ce sujet. Avec toutes ces révélations, nous sommes obligés d’intervenir pour sauver notre pays des malheurs et de la destruction qui le guettent et qui nous menacent.
Chaque jour qui passe, un innocent Camerounais meurt, une femme perd son mari, les gens abandonnent leurs affaires, les agriculteurs ne peuvent plus ni planter ni récolter puisque tous leurs outils de travail ont été saisis et les villageois sont en fuite. Une telle situation préfigure d’un avenir de faim, de malnutrition, de sous-alimentation et de désespoir. Notre refus de faire face aux réalités de notre pays et des faits de l’histoire nous coûtent d’énormes pertes économiques, sociales et particulièrement en vies humaines. La ligne de fracture devient de plus en plus marquée et comme vous le savez très bien, la montée des discours haineux nous rapproche de plus en plus d’une guerre civile. Ceux à qui a été confiée la gestion de cette crise sont en train d’échouer et d’échouer lamentablement. Le fait que cette crise ne fait que s’aggraver aurait dû vous faire comprendre que la ligne d’action choisie ne porte pas les fruits escomptés et qu’il faut urgemment changer de stratégie. Beaucoup de ressources qui auraient dû être utilisées à meilleures fins ont été absorbées par l’action militaire et nous nous rendons compte que nous sommes bien loin du compte.
Aucun pays au monde n’a jamais gagné une guerre contre son propre peuple. La mort de n’importe quel Camerounais, fût-il militaire ou civil me fait personnellement de la peine, car c’est une perte pour la Nation. Je condamne toutes formes de tueries perpétrées autant par les forces armées que les fils de ce pays qui ont été poussés dans cette fâcheuse situation. Votre déclaration de guerre contre votre peuple qui est en train d’être assassinée de sang froid par l’insouciance et le manque de professionalisme des forces de l’ordre fait que celles-ci sont maintenant considérées comme une force d’occupation. De même, l’assassinat des membres des forces de l’ordre qui n’ont pas été convenablement entrainés aux techniques de lute contre-insurrectionnelle, non seulement trahit la fragilité de notre pays, mais laisse aussi leurs familles pleines d’amertume. La réponse militaire à cette crise, du début à la fin, n’a fait qu’empirer une situation déjà insoutenable.
Je me dois aussi d’attirer votre attention sur les attrocités qui sont quotidiennement perpétrées dans cette partie de notre pays: les villages sont saccagés, les affaires sont pillées, d’énormes sommes d’argent extorquées, ainsi que leurs moyens d’existence; les maisons sont rasées sans égard pour la vie et la dignité humaines; les femmes sont violées, les jeunes sont ciblés, et les greniers avec le fruit du dur labeur des agriculteurs sont réduits en cendres! La loi anti-terroriste qui avait été adoptée pour protéger les Camerounais de la violence des extrémistes a plutôt servi de chèque en blanc pour des exécutions extra-judiciaires.
Certains politiciens ont profité de cette situation chaotique pour organiser la chasse aux sorcières, en faisant arrêter les membres des autres partis politiques pour être sévèrement punis sur la base d’accusations fallacieuses. Avec tous les bouleversements et le carnage qu’on est en train de fomenter dans cette partie de notre pays, de plus en plus de jeunes du Nord-ouest et du Sud-ouest se sont radicalisés à cause des injustices dont ils souffrent. Les Camerounais se réfugient au Nigeria voisin parce qu’ils ne sont pas en sécurité dans leur propre pays. Aux quatre coins du pays, nous vivons tous dans la peur et l’insécurité.
M. le Président,
De ce qui précède, il n’y a aucun moyen d’avancer ou d’obtenir de résultats positifs dans de telles circonstances. Il faut mettre un terme à toute cette situation. La lueur d’espoir qui surgit de ce nuage noir est qu’il existe des solutions durables susceptibles de résoudre cette crise. Nous devons regarder les réalités de notre histoire en face et corriger les graves erreurs qui se sont perpétuées afin d’aboutir à des solutions durables.
Un dialogue franc n’est pas un signe de faiblesse, mais une opportunité à nous offerte pour recommencer et oeuvrer ensemble vers un Cameroun véritablement uni. Je ne saurais trop vous recommander d’allumer le calumet de la paix et de tendre la branche d’olive pour la réconciliation. Donnons une chance au dialogue pour l’intérêt supérieur de l’héritage de nos pères de la Réunification. Nous tous avons la responsabilité de préserver la paix et la justice pour cette nation et cette tâche ne peut incomber à une seule personne, mais à nous tous. De façon désintéressée, redonnons à notre cher pays la confiance et l’espoir perdus, de sorte que nos fils et filles puissent retourner chez eux en toute sécurité vivre dans l’abondance. Faisons enfin renaître notre esprit national. Voilà notre défi et mon voeu le plus ardent est que nous puissions y parvenir plus tôt que possible. Des exemples abondent qui nous montrent comment le dialogue comme outil politique de resolution de conflits a sauvé d’autres nations de la damnation éternelle.
Le Nigeria a été capable de dialoguer pour panser les plaies de la guerre civile en pardonnant à Ojukwu et en le réinstallant dans ses fonctions. Vous-même avez avez été capable de pardonner Bello Bouba Maigari, Issa Tchiroma, Daïkolé Daïssala entre autres pour le coup d’état avorté qui a failli vous faire perdre la vie. Aujourd’hui, tous ces gens sont ministres dans votre gouvernement. Autant de preuves éloquentes que vous êtes capable de clémence et du pardon! Pouvez-vous, dans cette veine, libérer tous ceux qui ont été arrêtés depuis le début de cette crise pour faciliter le processus de dialogue et une véritable réconciliation? Vous avez négocié avec Boko Haram pour la libération des otages. Vous êtes aussi en train de procéder à la réhabilitation et la réinsertion des gens connus comme des Boko Haram repentis. Pouvons-nous pour une fois traiter équitablement tous les Camerounais comme un seul peuple en leur donnant à tous l’égalité des chances?
M le Président,
Je suis toujours disposé à discuter, bien que jusqu’à présent il n’y ait pas encore eu de feedback. Encore une fois, je me mets à votre disposition et vous tends ma main fraternelle dans l’intérêt supérieur de notre cher pays.
Veuillez agréer, M. le Président, ma très haute consideration et mes meilleurs voeux
Ni John FRU NDI
Président National