LE RENOUVEAU PEUT-IL LUTTER CONTRE LE PAUVRETE ?
L’analyse du dernier budget 2006-2007 a été, pour ceux des Camerounais qui s’étaient endormis dans le rêve insensé de voir un jour le Renouveau s’occuper de l’amélioration de leur pouvoir d’achat ou de leurs conditions de vie, un réveil brutal et douloureux. Le retour abrupt à la dure réalité quotidienne a été pour eux un choc assommant qui les a laissés dans une sorte de gueule de bois et de commotion paralysante.
L’atteinte du point d’achèvement leur avait été longtemps miroité comme la fin de la précarité et l’entrée triomphale dans la Terre Promise. Les chiffres astronomiques de budgets toujours croissants de ces dernières années, les montants étourdissants des sommes annoncés chaque jour avec force commentaires dithyrambiques comme remise, rééchelonnement, annulation de la dette ou retombées de l’atteinte du point d’achèvement avaient amené les inconditionnels de l’optimisme à croire que quoi qu’il en soit, une redistribution des fruits de nos souffrances inégales serait incontournable cette année. Espérer que le Renouveau allègerait le fardeau de nos souffrances, c’est comme croire au Père Noël malgré toutes les évidences, en refusant de comprendre la philosophie qui avait présidé à toutes les privations et restrictions inhumaines auxquelles les Camerounais avaient été soumis dès son avènement.
Il y a déjà bien longtemps que ceux qui ne voulaient plus se nourrir de vaines illusions ont compris que la pauvreté, la précarité et la misère étaient pour le Renouveau de M. Paul Biya un fonds de commerce, une option politique, un projet de société occulte, minutieusement élaborés et méticuleusement mis en œuvre par ses architectes depuis son accession au pouvoir.
Penser donc qu’il pouvait se préoccuper du contenu du panier de la ménagère ou de la mise de l’école et des soins de santé primaires à la portée de tous, c’est raisonner hors du temps et se faire à l’idée qu’il pouvait honnêtement lutter contre son cheval de bataille, cette boulimie d’accumulation et de thésaurisation effrénées de sa nomenklatura, génératrices de pauvreté et de misère, stratégie qui l’a maintenu au pouvoir depuis près d’un quart de siècle et qui est en passe de l’y conserver pour bien de septennats encore !
Jusqu’en 1982, le Cameroun était riche et prospère et on n’avait pas besoin de verres grossissants pour voir que tout ou presque baignait dans l’huile. Le successeur constitutionnel d’alors l’avait lui-même bien officiellement reconnu et avait déclaré urbi et orbi que comme son illustre prédécesseur n’avait jamais failli, lui non plus ne faillirait point. Quelle que fût la conjoncture mondiale, le mot « crise » nous était inconnu grâce à des caisses diverses de stabilisation bien garnies prévues pour les temps de récession et de vaches maigres et, pendant près d’un quart de siècle, le juste partage des fruits des ressources et de la croissance nationales se concrétisait chaque année au mois de décembre par des augmentations substantielles de salaires. L’argent circulait. Cela se sentait et se vivait !
Les Camerounais ne croulaient pas sous le poids des impôts, des taxes, des redevances, des tracasseries et d’injustices multiformes. Les entreprises publiques et para-publiques fortement concurrencées par une initiative privée abondante et omniprésente offraient partout du travail et résorbaient le chômage des jeunes ! Une jeunesse qui comptait et dont on se souciait. Qui représentait l’avenir et l’espoir de la Nation. Qui était un atout et ne représentait pas une incertitude, une angoisse ou une menace. C’est pourquoi, l’Ecole, priorité des priorités, était gratuite et les meilleurs de nos enfants, à tous les niveaux, se voyaient offrir des bourses et des aides scolaires. Les Grandes Ecoles, accessibles seulement aux plus méritants, bénéficiaient de bourses indiciaires, sortes de pré-salaires, et s’ouvraient automatiquement sur des emplois stables et décents. Les Ecoles de formation étaient nombreuses et variées et l’on n’y entrait pas au hasard des débouchés. Le choix était possible.
Aujourd’hui, les fins d’études sont les moments les plus redoutés des étudiants et de leurs parents. Les harcèlements de toutes sortes, les 10, 20, 30 %, les fraudes et les manipulations grossières des résultats d’examens, les trafics de diplômes et de concours nous étaient tout aussi inconnus qu’inimaginables.
Puis vint le Renouveau de M. Paul Biya qui déroula sur nous sa politique délibérée d’abêtissement collectif, de paupérisation tous azimuts et de clochardisation généralisée. Comme signes avant-coureurs de ce qui nous attendait, les différentes primes des fonctionnaires se sont fondues comme du beurre au soleil.
Les augmentations de décembre ont fait place aux diminutions de janvier. Jusqu’au jour où, dans un cynisme jusque-là insoupçonné, on oublia tout simplement de payer aux commis de l’Etat deux mois de salaires, juste à une rentrée scolaire. Le ton était donné ! Puis vinrent des baisses de salaires de près de 70 % dans la Fonction Publique, discriminatoirement administrées, pour des citoyens vivant sur le même territoire et achetant dans les mêmes boutiques et sur les mêmes marchés. Des baisses doublement illégales, violant la loi des finances et le parallélisme des formes juridiques d’une part, et d’autre part, excédant la quotité légalement saisissable qui légalement n’aurait jamais dû dépasser le tiers de la rémunération.
Les fonctionnaires se retrouvent désormais devant une situation inédite où les montants de leurs salaires sont inférieurs à ceux des traites mensuelles qu’ils doivent aux banques et aux tontines ! C’est l’âge d’or des usuriers ! Le civisme et le patriotisme se diluent et se dissolvent dans la famine, le besoin et l’instinct de conservation. Les gouvernants deviennent plus que voraces et toujours plus riches, plus gourmands, plus ingénieux et plus arrogants.
Les moyens de survie se développent dans toutes les couches de la société, allant jusqu’à la limite de l’illégalité et voilà le Cameroun champion du monde de la corruption, plutôt deux fois qu’une, preuve que notre rang n’était pas usurpé ! Le Renouveau est en train d’atteindre ses objectifs et de réaliser ses grandes ambitions !
Si la pauvreté et la misère n’étaient pas le fonds de commerce et le projet de société du Renouveau, comment expliquer que de tous les pays de la zone franc, le Cameroun ait été le seul à baisser les salaires de ses commis et dans des proportions inimaginables et insoutenables, à la veille d’une dévaluation, et sans aucune mesure d’accompagnement ?
Comment expliquer que les pays où les salaires n’avaient pas été charcutés aient depuis procédé à plusieurs augmentations alors que le Cameroun, producteur et exportateur de pétrole, malgré la multiplication par trois du prix du baril de brut sur le marché mondial, malgré les revenus substantiels tirés de l’exploitation inquiétante de nos forêts, malgré l’atteinte du point d’achèvement, l’annulation ou le rééchelonnement de sa dette, en soit toujours à ne pas se résoudre à apurer sa dette intérieure ou à sortir ses populations du fond d’un tunnel sans fin ?
Comment expliquer que le Tchad, pays désertique, sans forêt, sans débouchés sur la mer, sans grandes ressources naturelles, instable et ruiné depuis l’indépendance par une guerre civile onéreuse et interminable réussisse à payer des bourses consistantes à ses étudiants alors que le Cameroun en est à abandonner l’enseignement privé aux seuls promoteurs sans subventions et les écoles publiques aux associations des parents ou à exiger des sommes exorbitantes dans l’enseignement supérieur, telles que les 750 000 francs dont on parle pour le cycle de Masters à l’Université de Buea ? Qui peut nous faire avaler que le Cameroun est pauvre à ce point ?
La pauvreté et la misère ici ne sont pas une fatalité : elles sont l’aboutissement d’un programme politique. Pour un pays qui s’accroche désespérément aux doctrines et aux comportements d’un autre âge, refusant obstinément de s’ouvrir à une démocratie véritablement pluraliste avec séparation nette des trois pouvoirs et possibilité d’alternance pacifique par les urnes, la paupérisation des populations, la clochardisation des agents publics et l’élévation clientéliste du standing d’un groupe formé d’hommes de commandement, de gardiens de prisons, de gendarmes, de policiers, de soldats, de magistrats, tous fonctionnaires constituant le cercle répressif, peuvent être d’un secours inespéré.
Les indigents, les démunis et les mendiants ne dérangent point. Ils sont trop préoccupés par des besoins primaires et surtout par leur ventre avec lequel ils réfléchissent désormais. Ils n’ont plus d’orgueil, plus de dignité, plus d’ambition. En perdant leur autonomie, ils sont devenus des esclaves.
Pressés par la recherche du pain quotidien, demain leur semble trop éloigné et il ne leur viendra jamais à l’esprit l’idée de contester contre quoi que soit ou de réaliser de grandes choses. La nécessité les a déshumanisés et a fait d’eux des bêtes de somme, manipulables et corvéables à souhait, prêts à exécuter les basses œuvres de quiconque peut leur donner à manger. Ils sont devenus comme ces enfants qui expriment une colère dévastatrice au moment d’un châtiment ou d’une injustice, mais qui, l’instant d’après, oublient tout et sautent au cou de leur bourreau si celui-ci leur tend quelque friandise. C’est pourquoi ce n’est pas sur eux qu’il faut compter pour envisager une révolution. Tout au plus peuvent-ils se révolter, mais quand on leur tend un bout de pain, ils sont si contents qu’ils croient que Dieu est descendu sur terre et il ne leur reste plus que des motions de soutien à rédiger et des chœurs de louanges à entonner.
C’est pourquoi on voit tant de Camerounais, même ceux bardés de diplômes, ramper à toutes les occasions à la recherche du moindre poste de nomination, faisant ainsi le lit de ce qu’on a appelé ici la démocratie apaisée, ce monstre alimentaire des Tropiques, qui vous invite à table, vous prend votre âme et votre conscience contre un plat de lentilles et vous conseille de vous taire pour avoir un ventre plein en captivité plutôt que de défendre votre dignité et votre liberté pour perdre en retour la proximité de la mangeoire. Observez ce qui se passe à la veille d’élections avec des sacs de riz, des casiers de bière, des dames-jeannes de vin et de liqueurs frelatées!
Le type d’homme que le Renouveau a toujours cherché à former, c’est « ventre affamé » ! Car si ventre affamé n’a point d’oreilles, c’est d’abord et avant tout parce que ventre affamé n’a pas de tête. Ainsi ne peut-il pas réfléchir et remettre en question l’ordre établi ni troubler la quiétude de cette poignée d’individus qui ont pris le peuple en otage, se sont morcelé et partagé le titre foncier du patrimoine national. Ventre affamé, c’est exactement ce qu’il faut au Renouveau pour aboutir à des septennats toujours plus apaisés et toujours renouvelés ! Car tout porte à croire que toutes les conditions sont maintenant remplies pour réviser très prochainement la Constitution et permettre au détenteur du pouvoir de s’y maintenir à vie !
Aujourd’hui que tout le monde, y compris les experts de la Banque Mondiale, s’accordent à reconnaître que le Cameroun a reculé de plus de cinquante (50) ans dans l’histoire de son développement, le Renouveau peut pavoiser et se vanter d’avoir gagné son pari. Il peut désormais préserver les acquis et programmer sereinement notre misère future pour rehausser les fastes déjà par trop insolents de sa Cour :
– En refusant toujours de payer la dette intérieure de peur de relancer la consommation et l’économie ;
– En ponctionnant toujours davantage le contribuable déjà exsangue pour rembourser les différents bailleurs de fonds ;
– En érigeant la corruption, la fraude électorale, le tribalisme, les abus des biens sociaux, le gaspillage et les détournements de deniers publics en sports nationaux ou en religions d’Etat ;
– En continuant de brader sous le couvert de privations et toujours octroyées aux Etrangers nos entreprises les plus rentables et celles qui symbolisent le plus notre orgueil national ou qui sont les porte-flambeau de notre souveraineté ;
– Enfin, en ré-échelonnant toujours et toujours plus de dettes, afin que les enfants de nos enfants soient toujours plus pauvres et plus misérables, dans un pays toujours plus ruiné, en remboursant toujours plus de dettes, sans savoir ni qui, ni quand ni dans quel but des sommes aussi énormes ont été empruntées. Vous avez dit mal-endettement ?!
D’ailleurs, la ruée des Camerounais de tous les rangs et de toutes les conditions sociales vers la nationalité américaine à travers la loterie pour la carte verte, malgré les aléas, les escroqueries, les coûts, les désillusions, les délais et les déchirures des séparations pour les rares gagnants, démontre à suffisance qu’en un quart de siècle, tous mes compatriotes ont été dépouillés de toute fierté nationale et ne restent plus Camerounais que par dépit et parce qu’ils n’ont plus de choix.
Peut-être faudrait-il, comme aux beaux jours du socialisme triomphant, construire, comme à Berlin et dans les autres pays sacrifiés du Danube, des murs et des champs de mines pour les contenir et les garder chez eux. Et même là, il n’y a plus aucun doute, on ne leur injectera plus l’amour authentique de la Patrie !
Le désespoir fertilise à fond le terreau où germent l’obsession de la vengeance et du suicide et où se recrutent des kamikazes, ces gens blasés qui n’ont plus rien à attendre de la vie et se bousculent pour transformer leur lâcheté en martyre. Car lorsqu’un malheureux meurt, il ne perd que sa misère. De grâce, ne nous parlez donc plus du Renouveau et de lutte contre la pauvreté. Il y a si longtemps que nous avons cessé de vous croire et que nous avons appris à nous débrouiller tout seuls.
Yaoundé, le 02 décembre 2006
TAKOUGANG JEAN
SENIOR TRANSLATOR-PROOFREADER
TRANSLATION TEACHER AT THE UNIVERSITY OF YDE I