Benjamin Zebaze: Les clefs pour comprendre la bonne décision de la Caf du 30 novembre 2018
Les clefs pour comprendre la bonne décision de la Caf de ce jour
Ce vendredi matin, les camerounais attendaient la décision de la Confédération africaine de football avec autant d’intérêt que des catholiques attendant la fumée blanche, qui annonce le choix d’un nouveau Pape. Si l’arrivée d’un nouveau pape est précédée de la formule « Habemus Papam», les supporters du régime Biya et les fanatiques du “sport pour le sport” se seraient contenté d’un « Habenus Biyacan». La Caf en a décidé autrement en sanctionnant les errements du pouvoir camerounais
Au-delà de l’émotion et des sentiments primaires qui peuvent découler d’une pareille décision, il faut regarder les choses avec un minimum d’objectivité.
L’état des infrastructures
Les stades
Il ne faut jamais oublier que l’organisation d’une Can répond à un cahier de charges extrêmement précis. Avec cette première à 24 pays, la Caf exigent 6 stades. A priori, cela ne devrait pas causer de gros problèmes car sur le papier, il ya les stades d’Olembe, Ahmadou Ahidjo, Roundé Adja à Garoua, Limbe, Bafoussam, Japoma…
Le hic est qu’à 6 mois d’un tel événement, à l’exception des stades de Bafoussam et de Limbe, aucun stade ne peut réellement être testé. Un organisme comme la Caf, peut-il prendre de risques à la vue du monde, risquant au passage de perdre ses sponsors ?
La sécurité
En terme de valeur « marchande », les joueurs qui vont se présenter à cette Can valent le poids d’un éléphant en or ; quel est le responsable de football international, l’assureur qui, avec le précédant de la Can angolaise avec l’attaque contre la délégation togolaise, va prendre le risque de faire jouer une rencontre à Limbe, où les sécessionnistes empêchent même à l’armée d’emprunter la nouvelle route entre Buéa et Limbe ?
Qui peut croire que les dirigeants de la Caf ne sont pas au courant du fait que des hommes d’église, des hommes politiques et de nombreux innocents sont tués impunément dans la zone, au nez et à la barbe des forces de l’ordre dépassées par les événements ?
Bien sûr qu’il est tentant de se séparer du site de Limbe : ce serait ne rien comprendre dans les stratégies de maintien de l’ordre, qui n’ont rien à voir avec nos limites régionales artificielles voulues par les politiques.
Un véritable expert en sécurité mettrait les zones anglophones, le Littoral et l’Ouest dans le même « panier » à risque ; d’autant plus que dans le Noun, on assiste ces derniers temps à des enlèvements de citoyens, qu’on attribue un peu trop vite à la crise dite anglophone. Si on y ajoute Garoua, à portée de balles de Boko Haram, cela fait 4 stades out. Est-ce tenable ?
Même si les différentes visites au Cameroun des dirigeants de la Caf ont permis à beaucoup de se remplir les poches, la Caf ne peut pas rester sourde aux alertes d’hommes de pouvoir comme Dana Tyrone Rohrabacher, homme politique américain, élu républicain de Califormie à la Chambre des représentants des Etats Unis depuis 1989 ; alertes adressées directement à la Fifa.
Hôtellerie
Dans notre pays où la contrefaçon est la règle, il est tentant de comparer nos auberges de passes à de véritables hôtels. Là aussi, le cahier de charges de la Can est clair sur le standing des hôtels.
A l’heure actuelle, mis à part Limbe qui semble prêt si l’on tient compte de l’apport capital de Buéa, quelle ville est prête ? Depuis 5 ans à Douala, des chantiers gigantesques sont visibles; mais selon de nombreux experts, aucun de ces grands hôtels ne peut être prêts dans 6 mois.
Quand à Bafoussam, ce serait une injure que d’affirmer qu’il y ait plus de 3 hôtels où on puissent y passer une nuit, sans s’inquiéter de l’activité des puces.
Moyens de déplacement
Une coupe d’Afrique suppose de nombreux déplacements; à fortiori s’il ya autant de sites. Là où le Maroc peut proposer un TGV, un bon réseau de chemin de fer, l’une des plus importantes compagnies aériennes du continent, qu’offre en face le Cameroun ?
A 6 mois de cet événement, quelle route faut-il emprunter pour se rendre de Yaoundé à Garoua, de Yaoundé à Bafoussam, de Douala à Bafoussam ? Quelle délégation peut prendre le risque d’emprunter les « sentiers » qu’on utilise actuellement ? La Caf a assez d’experts pour savoir qu’un tel déficit ne peut se combler en si peu de temps.
Si à défaut de routes, il y avait au moins un réseau de chemin de fer, ne serait ce qu’ embryonnaire ? En dehors de la ligne Douala-Ngaoudéré, quelle est notre offre en la matière ?
Doit-on parler de l’aérien ? S’il est possible de se rendre en avion à Douala, Garoua, Yaoundé, quand est-il de Bafoussam et Koutaba aujourd’hui à l’abandon ou presque ? Un petit tour sur place montre des pistes d’atterrissage sur lesquelles les populations sèchent des grains de mais, et où, à chaque atterrissage, un avion risque de percuter un troupeau de chèvre tant la sécurité y est absente.
Quand bien même on arrivait à sécuriser nos aéroports ; où sont les avions ?
Pas de routes, pas de trains pas d’avion : est ce la faute de la Caf et des « ennemis » du « Renouveau » ?
Electricité
La Can est l’occasion d’une grande fête. Et qui dit grande fête, dit grosse demande en énergie. En l’état et même à moyen terme, le Cameroun est-il capable de garantir quelque chose de concret en la matière ?
Ce que le grand public ignore, c’est que dans le grand nord par exemple, le déficit en matière de pluviométrie est telle que la société Enéo est obligée de solliciter au maximum, la centrale thermique de 10MW de Garoua, sous peine de coupures d’énergie dans la zone. La centrale de Lagdo, construite avec fierté par Ahmadou Ahidjo et inaugurée par Paul Biya, ressemble désormais à un monstre désarticulé.
Avec l’état de nos routes, et même si on utilise le Tchad pour nous alimenter en fuel lourd, une rupture en fourniture de carburant, comme c’est souvent le cas, n’est pas à exclure.
Communication
La clef de la réussite d’un tel événement réside dans les communications. Quel est l’état des lieux actuellement ? Si les tarifs sont en général les plus élevés du monde, quelle est la fiabilité du système ?
Même chez les opérateurs de téléphonie mobile, dans les banques qui ont souvent des systèmes de secours, combien de temps vous faut-il pour retirer de réaliser la moindre opération ? Imagine-t-on le scandale en cas de coupures de faisceaux lors des diverses retransmissions ?
Santé
Pour faire jouer à Bafoussam, Limbe, Garoua, Yaoundé et Douala une telle compétition, il faut obligatoirement des hôpitaux répondant à des normes sévères.
Quand on connait ce pays, tout commentaire sur la question est superfétatoire.
La santé du Chef de l’Etat
Plus grave est la santé chancelante du chef de l’Etat. Aucun expert ne pouvant garantir qu’il pourra se déplacer au stade le jour de l’ouverture, il est possible que son entourage zélé prolonge indéfiniment la cérémonie d’ouverture en attendant « les très hautes instructions de la très haute hiérarchie ».
Une très haute hiérarchie dont on n’est même plus sûr que sur toute une journée, elle se rappelle comment elle s’appelle.
La Caf a pris la seule décision possible. A force de cracher en l’air pour voir ce qui pourrait arriver, Paul Biya a fini par se salir le visage.
Benjamin Zebaze
Source: Ouest – Littoral