Christopher Fomunyoh : “Cette visite traduit une prise de position de Washington en Afrique”
La vice-présidente des Etats-Unis Kamala Harris, en tournée africaine, a déclaré que l’Afrique est l’avenir du monde. L’impact de l’action de Washington en Afrique va se mesurer sur les années à venir.
Une mini-tournée africaine riche en promesses financières : celle de la vice-présidente des Etats-Unis. Au Ghana, Kamala Harris a annoncé ce mercredi (29.03.2023) une initiative d’un milliard de dollars pour améliorer l’émancipation économique des femmes en Afrique.
Mais avant, elle a fait plusieurs autres annonces lors de cette première étape ghanéenne de son voyage qui la conduit aussi en Tanzanie puis en Zambie. Parlant de la jeunesse du continent, Kamala Harris soutient que l’Afrique est l’avenir du monde. Autant de déclarations qui interrogent sur l’objectif mais aussi l’impact réel de la stratégie des Etats-Unis en Afrique. Pour Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du NDI, le National democratic institute, l’administration Biden a pris des mesures pour concrétiser les annonces faites ces dernières années. Lisez ou écoutez ci-dessous son interview.
DW : La vice-présidente américaine, Kamala Harris a martelé durant sa visite au Ghana que l’Afrique était l’avenir du monde. Avez-vous le sentiment que c’est du déjà entendu ? Que vous inspire cette déclaration de la vice-présidente des Etats-Unis ?
Christopher Fomunyoh : Effectivement, ça se dit de plus en plus ici à Washington, que l’avenir du monde appartient à l’Afrique. Et nous avons vu une très grande mobilisation de l’administration Biden au moment du grand sommet Etats-Unis Afrique qui s’est tenue à Washington en décembre 2022.
Donc je pense que cette visite au Ghana et en Afrique et les déclarations faites par rapport à sa vision de la place de l’Afrique dans le monde traduit vraiment une prise de position de Washington par rapport au continent.
DW : “Nous sommes à fond sur l’Afrique”, a déclaré Kamala Harris, reprenant ainsi à son compte les mots du président Joe Biden lors du sommet que vous venez d’évoquer, le sommet Etats-Unis Afrique en 2022. Cela sonne comme un message aux autres concurrents des Etats-Unis : la Chine, la Turquie peut-être, surtout actuellement la Russie. Qu’en pensez-vous ?
Christopher Fomunyoh : Oui, quelque part, cela peut sonner comme un petit avertissement à ces partenaires-là. Mais je pense que le message a priori est destiné aux Africains.
Quelque part, l’administration Biden voudrait marquer le coup, faire la différence et se distancier de la politique de l’ancien président Donald Trump en disant qu’effectivement, il compte s’engager avec l’Afrique et nouer de meilleures relations avec les Africains. Et nous avons vu d’ailleurs que dans la politique de l’administration Biden, telle qu’elle a été définie et rendue publique en août 2022, l’Afrique reste une priorité.
DW : Est-ce que Kamala Harris utilise en quelque sorte son propre profil d’Afro-américaine pour sensibiliser un peu la fibre africaine ?
Christopher Fomunyoh : Oui, cela va de soi. Parce que vous vous souvenez, lorsque Barack Obama avait été élu président des Etats-Unis, que ça avait fait l’objet vraiment d’une joie énorme et de fierté sur le continent africain. Et aujourd’hui, constater que la première femme vice-présidente des Etats-Unis retrouve une partie de ses origines dans le monde noir sur le continent africain devrait être source de fierté.
Et je pense que ça devrait aussi faire passer un message fort pour dire que la place de la femme se trouve aussi dans le leadership, même sur le plan mondial. Et je me réjouis du fait que, après le Ghana, elle ira en Tanzanie où nous avons une présidente de la République, cheffe de l’Exécutif, pour encourager les femmes africaines à s’impliquer davantage dans le domaine du leadership politique également.
DW : Alors, est ce que les Etats-Unis sont quand même un peu inquiets face aux reculs démocratiques observés ces dernières années sur le continent africain, avec des coups d’Etats par endroits, mais aussi, surtout, avec la prudence observée dans la condamnation de l’invasion russe en Ukraine ?
Christopher Fomunyoh : C’est une inquiétude assez palpable et il y a eu un moment où on a célébré les avancées démocratiques sur le continent. Et ces deux, trois dernières années, nous avons vu pas mal de reculs avec les coups d’Etat qui reviennent encore. On se disait que l’époque des coups d’Etat était derrière nous.
Donc ça doit faire l’objet d’inquiétudes de la part de tout démocrate, où qu’il se trouve. Et si en plus de cela, il y a de nouveaux éléments, il y a de nouveaux acteurs, par exemple les extrémistes qui viennent avec des agendas qui déstabilisent même les démocraties naissantes ou d’autres influences qui viennent avec d’autres narratifs, comme quoi on peut avoir le développement sans avoir la démocratie et sans respecter les libertés, cela devrait poser une inquiétude à tout démocrate où qu’il se trouve.
DW : Mais sur quels leviers Washington veut-il s’appuyer pour transmettre son message démocratique ? Kamala Harris a également fait des annonces, notamment concernant la lutte contre l’insécurité liée aux activités djihadistes au Sahel. Elle a dit que 100 millions de dollars serviraient à aider le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo qui sont des pays de la côte qui sont de plus en plus touchés par ce phénomène. Est-ce que vous pensez que la corde sécuritaire est celle sur laquelle les Etats-Unis sont en train de marcher pour transmettre leur message ?
Christopher Fomunyoh : Je pense qu’il y a au moins quatre secteurs prioritaires pour les Etats-Unis, mais aussi pour le continent africain. Parce que la réalité, ça se voit sur le terrain. On sent que les pays sont fragilisés par l’insécurité dans le Sahel, mais aussi dans la Corne de l’Afrique. On sent que le problème de sécurité alimentaire se pose dans certains pays qui font face au changement climatique.
On sent que les régimes politiques sont fragilisés par l’intrusion des militaires dans la vie politique. On sent que les économies dans certains pays ont été affaiblies par la pandémie de Covid-19, avec les problèmes d’accès au financement sur le marché international. Dans chacun de ces leviers, un pays comme les Etats-Unis qui a pas mal de moyens et pas mal d’expertise dans ces différents domaines, devrait pouvoir les mettre à la disposition des pays amis et des alliés sur le continent africain. Donc je vois plutôt une approche multiforme, multisectorielle, qui devrait se faire en partenariat avec les Africains et non pas pour les Africains, mais en partenariat surtout avec les Africains eux-mêmes.PUBLICITÉ
DW : Mais est-ce que vous sentez vraiment l’impact de l’action des Etats-Unis pour ce qui concerne notamment l’aspect sécuritaire sur lequel les pays attendent beaucoup plus des Américains, avec des moyens plus sophistiqués peut-être, et le renseignement ?
Christopher Fomunyoh : Vous faites très bien de poser la question ! Après le dernier sommet qui s’est tenu en 2014, lorsque Barack Obama était président, on n’a pas senti une suite logique dans la mise en œuvre des recommandations ou des résolutions qui avaient été adoptées à l’époque.
Donc, il y a eu une innovation de la part de l’administration Biden en ce sens que, après le sommet Etats-Unis/Afrique de décembre 2022, il a été créé un bureau de suivi et évaluation, qui a été confié à l’ancien ambassadeur Johnnie Carson, qui est l’ancien sous-secrétaire pour les Affaires africaines au Département d’Etat, qui est quelqu’un qui a passé plus de 40 ans de sa carrière diplomatique à travailler sur les questions africaines et qui aura pour rôle de veiller à ce que tous les contrats, toutes les subventions qui ont été adoptées lors de ce sommet soient effectivement mises en œuvre.
Et je crois que c’est à travers ce mécanisme qu’on sera à même de juger dans un an ou dans deux ans, quel aura été l’impact réel des nouveaux engagements de la part de l’administration Biden.
DW : Particulièrement, concernant le Ghana, quelle est l’importance de la visite de Kamala Harris dans ce pays qui est plongé dans une sévère crise économique? Le Ghana reçoit une promesse de 139 millions de dollars d’aide dans un contexte où ce pays est en négociation avec la Chine sur sa dette.
Christopher Fomunyoh : Justement, c’est une manière aussi de reconnaître le rôle sous régional, le poids sous-régional d’un pays comme le Ghana. Et n’oublions pas que, par exemple, l’Initiative d’Accra, qui porte sur une approche régionale et holistique de la lutte contre la violence extrémiste, est à saluer. Et que dans le domaine économique aujourd’hui, le secrétariat de la Zone de libre-échange africaine se trouve à Accra.
Donc il y avait pas mal de raisons pour que Kamala Harris commence son voyage par le Ghana, qui d’ailleurs est un pays dans lequel la société civile est vraiment dynamique, très active. Les femmes entrepreneures, les jeunes sont très engagés et je crois que c’était le bon point pour démarrer ce premier voyage officiel sur le continent africain.
Source: Fréjus Quenum
Deutsche Welle