La pratique de la politique de l’équilibre régional au Cameroun ou comment les pontes d’une région confisquent les concours et recrutement dans la fonction publique

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Cameroun, équilibre régional dans les concours et recrutement dans la fonction publique

Décret n° 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs

ARTICLE 60.- (1) Un arrêté du Premier Ministre fixe les quotas de places réservées lors des concours administratifs aux candidats de chaque province.

(2) Est considérée comme province d’origine d’un candidat, la province d’origine de son père ou, le cas échéant, celle de sa mère.

3) En aucun cas, l’application des quotas visés à l’alinéa (1) ci- dessus ne dispense les candidats de l’obtention des moyennes de notes fixées aux articles 52 et 53 du présent décret.

Il ressort qu’en l’absence de l’arrêté du Premier ministre fixant les quotas prévus par l’article 60 susvisé, la politique d’équilibre régional puise son fondement, pour l’heure, dans un autre texte. Il s’agit de l’arrêté n° 4107 du 4 août 1982 modifié et complété par la décision n° 0015/MINFOPRA/CAB du 20 août 1992 portant application de l’article 55 du décret n°90/1087 du 25 juin 1990 et actualisant certaines dispositions de l’arrêté n° 4107 du 4 août 1982. Ainsi, cet arrêté fixe les quotas par région ainsi que les pools ainsi qu’il suit : En d’autres termes, on a d’une part, les quotas affectés à chaque région, et d’autre part, des pools de régions à l’intérieur desquels sont réparties, si besoin, les places non pourvues par une région. Cela qu’en fonction du nombre de candidats et par concours, le quota d’une région peut varier, selon les éventuelles redistributions des places à l’intérieur des pools.

La pratique de la politique de l’équilibre régional au Cameroun conduit-elle à combler le fossé effectivement existant entre les régions du pays ? Tout se passe comme s’il s’agissait davantage d’équilibre numérique des élites que d’une réelle répartition équilibrée des richesses. Selon le texte juridique qui consacre et légalise la politique d’équilibre régional, le Cameroun recrute les fonctionnaires et les agents de l’État selon des quotas régionaux. Ces quotas se basent sur l’origine des parents de chaque candidate ou candidat. La décision ministérielle 0015/Minfopra/CAB d’août 1992 a établi les quotas suivants : 18% pour l’Extrême-Nord, 15% pour le Centre, 13% pour l’Ouest, 12% pour le Littoral, 12% pour le Nord-Ouest, 8% pour le Sud-Ouest, 7% pour le Nord, 5% pour l’Adamaoua, 4% pour l’Est, 4% pour le Sud et 2% pour les anciens soldats.

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Cela n’empêche pas que de façon régulière, le gouvernement soit accusé de tribalisme. Ainsi, en septembre 2020 par exemple, après la publication des résultats de l’ENAM, des voix l’ont incriminé, estimant que cette grande école d’administration et de magistrature avait admis un nombre disproportionné de candidats des régions du Centre et du Sud, aux dépens de candidats des trois régions du nord et des deux régions anglophones.

On constate que la politique de quotas et l’équilibre régional sont pour le pouvoir de Yaoundé, une solution à la représentation ethnique et régionale dans l’appareil politico-administratif. Si cette légitimation de la discrimination identitaire a pour but, d’atténuer d’éventuelles tensions sociales, elle est taxée par certains, d’ethnocratie, définit « comme un système de gouvernement qui tire ses ressources, précise ses tenants et ses aboutissants essentiellement dans le rapport de force entre les ethnies qui composent la société » (Collectif « Changer le Cameroun », 1992 : 19).

Cette façon de gérer le pouvoir a réussi à inscrire dans la conscience collective des Camerounais, l’idée qu’on n’est enrôlé dans l’appareil administratif ou autre structure étatique, que par le fait de son appartenance ethno-régionale. Ce qui conduit à célébrer l’arrivée d’un fils du village à un poste de décision, parce que celui-ci ferait durant son passage au poste, la part belle à ses frères ethniques ou régionaux. C’est certainement pour mettre les Béti en garde sur une éventuelle idée de croire qu’ils auraient désormais leur « frère » au pouvoir, que Paul Biya déclarait en juin 1983 lors de sa tournée dans ce qui était alors la province du Centre-Sud, moins d’un an après son accession à la magistrature suprême : « il me paraît tout aussi nécessaire de déclarer haut et clair que si je suis né dans le Centre-Sud, je suis le président de tous les Camerounais, du nord au sud, de l’est à l’ouest, je suis le président de la République Unie du Cameroun ». Précisant sa pensée, le nouveau Président renchérit : « ce serait une dangereuse illusion que certains de nos compatriotes prétendent avoir des droits et des privilèges particuliers, notamment dans le processus de nomination à des fonctions importantes, en dehors des critères autres que leurs compétences, leur engagement au service de 1’État et de la nation, leur loyalisme et leur fidélité à l’égard des institutions, ainsi que l’exemple qu’ils sauront montrer et répandre, par leurs comportements, de leur conscience professionnelle et du respect de la légalité républicaine »

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La politique des quotas comme dispositif inclusif permettant de faire peuple

Dans ce début des années 1980, le président Ahidjo, fidèle au paradigme du père de la nation qui fait fureur dans tous les pays d’Afrique anciennement colonies françaises, est omniprésent. Il est à l’initiative de tout. Il contrôle tout et tous. Il intervient sur tous les sujets. Bref, il entend gérer le Cameroun en bon père de famille. Or la grande famille camerounaise souffre de plusieurs inégalités. Comme nous avons essayé de le montrer plus haut, certaines régions ont davantage bénéficié d’infrastructures scolaires et incidemment de la naissance d’une classe moyenne. C’est le cas des régions du littoral et sud du pays. Par la suite, suivant un processus de reproduction sociale bien connu depuis les travaux de Bourdieu, la progéniture de ces premiers fonctionnaires va intégrer la fonction publique à travers leurs succès aux concours administratifs. Pendant ce temps, les candidats issus des régions septentrionales du pays d’où est originaire Ahidjo enregistrent un faible taux de réussite à ces même concours. Car malgré, la politique des plans et les efforts consentis pour installer des infrastructures scolaires dans ces régions périphériques du pouvoir, l’écart demeure important. Or, les emplois au sein de l’administration sont alors revêtus d’un fort prestige social. Les enseignants, les médecins, les agents administratifs, les administrateurs civils, les policiers, bref tous les métiers qui renvoient à la puissance publique sont fortement prisés. Au début des années 1980, être fonctionnaire c’est avoir une stabilité sociale à toute épreuve, être doté d’un bon salaire, d’un système de couverture sociale, d’une facilité d’accès au crédit, et en prime d’une grande considération sociale.

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C’est dans ce contexte de forte attractivité de la fonction publique que le dispositif de quota est mis en place. C’est aussi dans le contexte d’un Etat autoritaire. Les travaux de Jean-François Médard et Jean-François Bayart montrent qu’au Cameroun le régime autoritaire s’appuyait doublement sur la répression et sur un système clientéliste. Nous émettons alors l’hypothèse qu’à chaque concours administratif, les réseaux clientélaires font remonter des listes de candidats auprès de différents relais afin de garantir leur succès. Nous ne disposons pas d’éléments empiriques nous permettant d’aller plus avant dans l’examen de cette pratique à cette période. Par contre, des travaux précédemment cités indiquent la pratique qui consiste à faire intégrer des candidats originaires des régions les moins scolarisées au sein de la fonction publique par la voie des niveaux d’admission les moins contraignants. Par la suite, par le truchement des nominations, ces fonctionnaires se verront confier des responsabilités normalement réservées à des catégories supérieures. Ceci est d’ailleurs une pratique qui perdure au sein de l’administration camerounaise.

L’usage des quotas est une vieille technique pour assurer l’inclusion, la représentativité dans les sociétés multiculturelles. L’introduction des quotas est alors un dispositif formel dont se sert l’Etat pour assurer l’équité et la justice sociale entre ses différentes composantes. Ici, il s’agit de codifier l’accès à la fonction publique entre les différentes régions, voir les différents groupes ethniques qui ont en commun le territoire du Cameroun. Nous parlons d’action publique car l’Etat met en place un dispositif public pour réaliser des objectifs d’intérêts public clairement circonscrits ; lequel dispositif fait intervenir des acteurs publics de plusieurs niveaux ainsi que des acteurs privés.

Source faceBook

Auteurs: Daniels Essissima / avec KEMGUEU FÉKOU, Joseph Désire SOM I

Titre: Icicemac

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