Koufan Menkéné «Pr Daniel Abwa les archives nationales du Cameroun sont fermées depuis dans l’indifférence générale de La Société camerounais d’histoire que tu présides »

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Les archives nationales du Cameroun sont fermées depuis plus de cinq ans déjà. Dans l’indifférence générale. La Société camerounais d’histoire que tu présides ne s’est jamais offusquée de cette anomalie . C’est la France et non pas notre pays qui a pris l’initiative de créer une commission mixte d’historiens pour faire la lumière sur une tranche d’histoire traumatique partagée par nos deux nations. C’est le gouvernement camerounais qui aurait dû être la source d’une telle initiative mémorielle. Mais il s’est contenté d’en prendre acte. Moutonnement !

Cameroun – Lettre ouverte au Pr Daniel Abwa

Il n’y a pas que la France qui ait du mépris pour les historiens camerounais. M. le Professeur et cher ami, condisciple et collègue, Je ne connais pas un seul historien camerounais qui t’en voudra pour le cri de révolte lancé au micro de la BBC contre le peu de considération réservé aux historiens camerounais par les autorités françaises à l’occasion de la désignation par la partie française des personnalités chargées de présider la commission mixte d’historiens camerounais et français sur le contentieux mémoriel entre nos deux nations.


Je suis en phase avec toi, cher condisciple, ami et collègue quand tu affirmes que les historiens camerounais méritent plus de respect. Ce que je conteste c’est que le blâme soit dirigé contre les autorités françaises seules, comme semble l’indiquer ta diatribe. On peut certainement prendre acte du manque de sincérité des autorités françaises, mais un historien camerounais digne de ce nom en serait-il surpris ? Je retrouve en ton intervention une réaction typiquement camerounaise, qui consiste à se défausser sur l’étranger, à dédouaner les autorités de notre pays de toute responsabilité.


Je dois avouer, non sans honte, que le traitement que notre pays réserve à notre corporation ne nous met guère en position de donner des leçons à la France. Nous sommes méprisés par nos propres gouvernants. Pouvons-nous nous regarder dans les yeux et prétendre sans hypocrisie et mauvaise foi que nous sommes pris au sérieux par nos propres pouvoirs publics ? Quel respect nous est dû, et quelle considération a été accordée à notre corporation depuis 1960 ?
Enseignant d’histoire à l’Université de Yaoundé durant 34 ans, je ne connais qu’un seul enseignant du Département d’histoire qui ait été honoré d’une distinction honorifique, Toi seul. Une telle solitude face à la multitude que fûmes et que nous sommes encore me convainc de ce que ta distinction doit à d’autres considérations qu’à ton immense contribution à l’enrichissement de l’historiographie de notre pays.

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C’est dire combien la patrie nous est reconnaissante ! Cette posture cavalière, discourtoise, voire incivique adoptée par notre oligarchie dirigeante à l’égard de notre corporation ne te met pas en mesure de donner des leçons à un pays tiers. La France n’est donc pas à blâmer.


C’est la France et non pas notre pays qui a pris l’initiative de créer une commission mixte d’historiens pour faire la lumière sur une tranche d’histoire traumatique partagée par nos deux nations. C’est le gouvernement camerounais qui aurait dû être la source d’une telle initiative mémorielle. Mais il s’est contenté d’en prendre acte. Moutonnement ! Cette victoire de la société civile de notre pays n’a guère eu le soutien du pouvoir, qui n’a rien fait pour assurer le succès de cette entreprise qui, manifestement, est contraire à sa mémoire et à des aspirations. Il est comptable des crimes qui sont reprochés à la France coloniale.


L’acceptation par la France d’ouvrir ce chapitre sombre de notre histoire commune est une victoire de la société civile camerounaise. Les historiens camerounais y ont contribué à leur manière. Depuis la célébration du cinquantenaire de l’indépendance en 2010, ils n’ont de crier aux oreilles de nos Excellences l’urgence de procéder à la réécriture de notre histoire par la production d’un roman national. Cette exigence intellectuelle a mérité la constitution, il y a deux ans, d’une commission nationale transdisciplinaire qui n’a guère prospéré par manque de moyens financiers.

Nous camerounais savons que notre Etat national est partout sauf là où les Camerounais ont besoin de lui. Dans ce pays où les lignes 65, 94 et 95 financent pourtant des éléphants blancs, la Commission Bidoung est morte de son indigence. Face à notre propre phobie de remuer les aspects glauques de notre histoire, de quel droit devons-nous exiger de la France qu’elle nous accorde la considération que tu réclames si notre gouvernement peine lui-même à accepter de confier à notre corporation ce travail de mémoire ?

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Les archives nationales du Cameroun sont fermées depuis plus de cinq ans déjà. Dans l’indifférence générale. La Société camerounais d’histoire que tu présides ne s’est jamais offusquée de cette anomalie. Elle ne s’est pas indignée de la destruction volontaire, systématique, par le feu, de celles du ministère de la défense, des Sedoc/ Dirdoc/Cedoc/Cenadoc/Cener/DGRE.

Les militaires français aimant écrire, les historiens auraient pu y trouver les ordres données pour la perpétration des crimes abominables que nous imputons à la France durant notre guerre d’indépendance. Nos « vaillantes » forces de défense et de sécurité ne sont pas blanches comme neige.

Leur coresponsabilité dans les massacres des populations camerounaises est amplement documentée dans nos productions historiennes. Cette honteuse complicité est, me semble-t-il, à l’origine de notre difficulté à écrire notre histoire avec notre propre narratif.


Que craignons-nous de la désignation de l’artiste Blick Bassy à la tête de la commission mémoire. N’est-il pas Camerounais ? Pourquoi lui faire un procès en sorcellerie avant de l’avoir vu au pied du mur. Il est grand temps que nous rompions avec notre penchant pour la victimisation. La France n’est pas responsable de nos errements. Elle promeut ses intérêts.


Cher collègue, ton penchant pour la promotion d’un sentiment anti-français comme fil d’Ariane de l’affirmation du Cameroun a des limites. Il est malhonnête d’exiger de la France le respect des historiens camerounais si le Cameroun peine lui-même depuis de très nombreuses décennies à leur accorder un tel privilège.
L’oligarchie dirigeante camerounaise qui ne saurait être confondue avec le peuple camerounais patriote, ne s’intéresse guère au contentieux mémoriel qui hante la mémoire historique de notre peuple martyr. Cette oligarchie soixantenaire ne nourrit aucun grief mémoriel contre la France. Au contraire ! Elle s’en tient au narratif officiel d’une indépendance négociée. Ahidjo, l’architecte du régime politique de Yaoundé ne déclarait-il pas au journal le Monde en 1960 : « le Cameroun n’a pas de litige avec la France ». Ses héritiers ont-ils changé de fusil d’épaule ?


Jusqu’à quand allons-nous donc continuer à faire endosser à la France le poids des turpitudes de nos propres dirigeants antipatriotes ? De mémoire d’historien, depuis l’indépendance de notre pays, la mémoire officielle occulte la mémoire nationaliste. Malgré le discours officiel convenu, notre pays n’a pas pu se réconcilier lui-même avec sa propre histoire. En témoigne la place réservée à nos hérauts et héros martyrs de notre indépendance. Ils demeurent des parias de notre roman national officiel. Ils ne sont évoqués que dans les médias périphériques ou marginaux dans l’espace public. Entendez par là les chaines de télévision Equinoxe, Canal 2 International, STV, de la presse indépendante, mais jamais à la CRTV ou au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune. Aucun monument public officiel ne leur est dédié. Ils restent des « terroristes sans foi ni loi », des « incendiaires », des « mauvais bergers ».

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Cette occultation des figures et des évènements belligènes ayant conduit à l’accession du Cameroun à la souveraineté national traduit à bien des égards le refus cardinal et l’absence de volonté du pouvoir de Yaoundé de renouer avec sa mémoire véritable, se contentant du récit d’une indépendance octroyée de manière pacifique, qui préside à la formation et l’éducation des générations successives depuis 1960.


La France a peut-être quelque chose à cacher, mais elle a le mérite éthique de savoir faire sa contrition. Toi et moi ne saurions dire la même chose pour nos gouvernants. C’est eux qui ont un contentieux mémoriel avec la société civile camerounaise, donc avec le peuple camerounais.


Pour terminer, cher collègue, tu t’offusques de la désignation d’un artiste musicien pour diriger ladite commission. Nos dirigeants n’auraient pas fait mieux et tu le sais autant que moi. Tu sais très bien, comme moi, que si l’initiative avait été laissée à la partie camerounaise, l’esprit de prédation aurait prévalu sur la science. Toi et moi nous nous serions retrouvés avec un bienheureux administrateur civil au CV préfabriqué, commis par ses semblables pour aller à la curée.
Les historiens camerounais méritent mieux, certes, mais ce n’est pas à la France qu’il faut adresser une telle protestation. Commençons par balayer devant notre propre porte avant de jeter l’anathème sur la France.


Pr. Jean Koufan Menkéné
Historien politique

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