Paul Biya, grand maître des ordres nationaux, est féru de mysticisme rosicrucien: une affaire de famille

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Le Circes est très actif en Afrique, notamment au Cameroun, au profit de la Fondation Madame Biya, en Amérique du Sud et en Europe de l’Est. Et soutient plusieurs associations humanitaires, dont la Croix-Rouge.

Enseignement numéro un : le sage ne doit pas mourir à l’improviste. « Nous vous suggérons d’établir dès maintenant un testament […]. Si vous souhaitez un service funèbre rosicrucien, mentionnez-le […]. Si vous voulez vous souvenir de l’Amorc, exprimez-le dans une police d’assurance […]. » L’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (Amorc) ne dédaigne pas les dons « spontanés ». Officiellement, sa cause est « humanitaire ». Acquérir la « connaissance des initiés », accéder au 12e degré, celui des « illuminati », justifie des sacrifices. « Mouvement philosophique, initiatique et traditionnel mondial », l’Amorc conteste toute étiquette templière. Trop sulfureux…
Multinationale de la mystique
L’organisation est créée en 1909 à San Jose, en Californie, par Harvey Spencer Lewis. L’enseignement de l’Amorc est un condensé de références disparates : des écoles des mystères d’Egypte, sous le règne de Thoutmosis III, jusqu’à Christian Rosencreutz, légendaire personnage du XVe siècle. Pythagore, Jésus, Mahomet, Bouddha, Spinoza, même combat. Le maître enseigne : « Tout d’abord, je découragerai quiconque ne fait pas partie des êtres supérieurs de devenir rosicrucien. C’est écrit. L’Ordre a fonctionné par périodes d’activité de cent huit ans, suivies d’un sommeil de même durée », ajoutent les dirigeants. Justification historique ? Aucune. Peu importe. L’Ordre invoque bien des adeptes glorieux : Léonard de Vinci, François Rabelais, René Descartes, Napoléon Ier, Erik Satie, Edith Piaf. La liste n’en finit pas. D’outre-tombe, aucun démenti possible.
L’Amorc n’a rien d’un groupuscule. Son siège international, autrefois en Californie, a été transféré au Canada. Dans le monde, l’organisation revendique 250 000 membres. Ne serait-ce que dans les pays de langue française, elle en compte 30 000. Mais ces chiffres seraient surévalués. La liste des loges comporte plus de 1 000 lieux : de l’Argentine au Nigeria, des Etats-Unis au Japon. Rien qu’en France, il existe près de 200 loges, y compris dans des villes de quelques milliers d’habitants. Des individus de toutes confessions s’y côtoient. La plupart sont des cadres moyens, souvent d’origine antillaise ou des anciennes colonies.
En France, l’association loi 1901 dispose d’un superbe patrimoine. Siège de la juridiction francophone au château d’Omonville, dans l’Eure, centre culturel et temple rue Saint-Martin, à Paris, centre de méditation au « Château du silence » à Taney, dans l’Ain. Jacqueline Lecoutre y a vécu quelques mois : « C’était une vie de serfs. Un salaire de misère vu le travail exigé, pas de vie privée, des menaces en tout genre. D’autres adeptes, un peu récalcitrants, ont reçu des menaces de mort pour seule réponse à leurs demandes d’explications. »
L’Amorc prend en charge jusqu’à l’éducation des enfants. L’Ordre junior des Porte-Flambeaux dispense dès l’âge de 5 ans (« division des Eclaireurs ») jusqu’à 14 ans (« divisions des Croisés ») des enseignements « confidentiels et non divulgables ». Il n’est jamais trop tôt. Tant et si bien que l’Institut culturel de l’enfance propose des cours prénataux : « Notre Institut apporte une aide cosmique à la mère tout au long de sa grossesse. » Résultats garantis. L’accouchement, paraît-il, s’effectue sans douleur.
Le dossier de presse de l’Amorc est un modèle du genre. Idée-force : l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix n’est pas une secte. De fait, si l’association homonyme Rose-Croix d’or figure au répertoire de la dernière commission parlementaire sur les sectes, ce n’est pas le cas de l’Amorc, qui multiplie les certificats de bonne conduite. Il n’empêche. Le tribunal de grande instance d’Annecy a débouté l’Amorc de sa plainte contre l’Adfi (Association de défense de la famille et de l’individu) de Chambéry. Dans une publication, l’association de lutte antisectes avait présenté l’Amorc comme un mouvement occultiste pouvant déstabiliser les individus.
Une affaire de famille
En tout cas, la discrétion est de rigueur. En échange d’une adhésion de 1 000 francs, l’Amorc diffuse chaque mois une monographie confidentielle – un bréviaire de six pages. Mais ce document « reste la propriété pleine et entière de l’Amorc ». Il est même interdit aux « frater » et « soror » d’en évoquer le contenu auprès de tiers, sous peine de poursuites judiciaires. L’exclusion, au moins, sera prononcée. Les statuts de l’Amorc, déposés à la préfecture de l’Eure, prévoient que tout membre qui s’amuse à évoquer l’organisation en public, que ce soit en bien ou en mal, est passible de radiation pour motif grave. En interne, interdiction est même faite d’appeler un adhérent par son nom. La fonction suffit. « Rien que de très normal ; nous sommes une espèce de franc-maçonnerie », explique Serge Toussaint, le grand maître des loges francophones. Et d’arguer de l’existence d’un grade rosicrucien dans les obédiences maçonniques traditionnelles.
L’Amorc est une affaire de famille. Les Bernard père et fils. En 1959, le Français Raymond Bernard se voit nommé grand maître à vie de l’Amorc des pays de langue française. Son fils Christian lui succédera à cette haute fonction. Le 17 avril 1990, Christian Bernard accédera même à la plus haute responsabilité mondiale. Le voilà imperator, autrement dit empereur. L’Amorc réfute toute accusation de népotisme. L’enquête sur le massacre de l’Ordre du Temple solaire a pourtant été l’occasion de révélations.
Des réseaux en afrique
L’ancien grand trésorier de l’Amorc francophone Henri Sessou, entendu le 10 novembre 1997 par le commandant de police Gilbert Houvenaghel, a affirmé sur procès-verbal que « Raymond Bernard, sa femme et son fils ont toujours vécu sur le compte exclusif de l’Amorc. La plus petite boîte d’allumettes était prélevée sur le compte de l’Amorc ».
Officiellement, Raymond Bernard a quitté l’Amorc. La vérité est différente. L’ancien trésorier prétend que Raymond Bernard pourrait toujours en être le maître suprême. Ce que l’intéressé conteste (voir interview). A en croire Henri Sessou, l’opacité de l’Ordre est telle que même Serge Toussaint, actuel grand maître des pays de langue francophone, pourrait l’ignorer.
En tout cas, Raymond Bernard persiste à entretenir de véritables réseaux rosicruciens en Afrique. Il reste proche d’Omar Bongo, rosicrucien notoire. Le président de la République gabonaise, grand maître de l’Ordre de l’Etoile équatoriale, a d’ailleurs délivré à Raymond Bernard le brevet de commandeur par décret du 5 janvier 1981. Raymond Bernard a aussi été fait commandeur de l’Ordre de la Valeur par le président camerounais, Paul Biya. Décret en date du 8 février 1983. Paul Biya, grand maître des ordres nationaux, est féru de mysticisme rosicrucien.
Raymond Bernard est de toutes les mouvances secrètes. Fait commandeur de l’Ordre souverain et militaire du Temple de Jérusalem (OSMTJ) par le Grand Prieuré autonome helvétique le 27 décembre 1963, il est aussi reçu et initié au grade de frère rouge du rite de Swedenborg de la franc-maçonnerie le 15 août 1995. Au sein même de l’Amorc, Raymond Bernard intègre en 1952 la Militia crucifera evangelica (MCE), une chevalerie intérieure. Et il crée des structures à tout va. En premier, l’Ordre martiniste traditionnel (OMT). Plus tard, avec des membres de l’Amorc, l’Ordre rénové du Temple (ORT).
Une imagination fertile
Raymond Bernard adoube au titre de grand sénéchal de l’ORT un ancien collabo, interprète du SD (Sicherheitsdienst), le service de renseignement allemand pendant la guerre : le fameux Julien Origas, condamné en 1947 à quatre ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Raymond Bernard s’est effacé. Mais, en secret, il continue à diriger.
En 1988, il fonde le Cercle international de recherches culturelles et scientifiques (Circes), puis l’Ordre souverain du Temple initiatique (Osti). Le premier dépend aujourd’hui du second. Selon Yves Jayet, grand maître international de l’Osti, « l’association ne reçoit aucune subvention ; les actions caritatives sont financées par les cotisations des membres, à hauteur de 1 000 francs par an et par personne » (voir encadré). Le Circes est très actif en Afrique, notamment au Cameroun, au profit de la Fondation Madame Biya, en Amérique du Sud et en Europe de l’Est. Et soutient plusieurs associations humanitaires, dont la Croix-Rouge.
Selon le grand maître international Yves Jayet, à l’onction duquel Raymond Bernard a procédé le 26 mai 1997 au Portugal, le rituel de l’Osti est le plus dépouillé qui soit. Même les tenues templières auraient été abandonnées. Il faut dire que, éclairé par l’orientation de l’instruction sur l’OTS, Raymond Bernard a avoué, en postface d’un ouvrage de son ami Serge Caillet, publié en 1997, que les figures de commandeur qu’il invoquait du temps de sa splendeur, le « cardinal blanc », par exemple, étaient le fruit de son imagination : « Pour moi qui sais, ce n’est pas vrai, c’est pure invention. Mes récits étaient mythiques, purement allégoriques ! » Les naïfs en auront été pour leurs frais.

Les secrets de la Rose-Croix
CHRISTOPHE DELOIRE
Publié le 09/01/1999 à 13:01 | Modifié le 24/01/2007 à 13:01 Le Point

Lire aussi:   Dr. Chris Fomunyoh: «Au Cameroun, Il nous faut un sursaut humaniste pour sauvegarder ce qui reste du tissu national et de la cohésion sociale»

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