La première lettre de Patrice Nganang depuis les cellules PJ: “La place de Biya est à Kondengui”
L’aube d’une nouvelle République
L’écriture est fondée sur la Liberté, le courage et l’honnêteté. Elle est l’usage de l’alphabet pour faire sens. Et pourtant jamais cette définition de mon activité ne s’est imposée à moi que durant ces moments de mon incarcération. Celle-ci rappelle en effet que l’écrivain se trouve et se trouvera toujours en face de l’Etat et donc, du côté des causes de celui-ci dit perdues, mais qui pourtant pointent vers notre futur. Ici, la cause anglophone. Ici d’ailleurs, la cause ambazonienne. Car aujourd’hui dans notre pays, c’est là, de ce côté pulsif du Moungo que j’ai traversé plusieurs fois ces dernières semaines, pour des voyages qui sont querellés, c’est du côté anglophone du Moungo que se trouve le courage, que se trouve l’honnêteté et que se trouve la liberté. Je les ai vécus, un des moments des plus sublimes de mon existence.
Et pourtant, l’écrivain que je suis, n’a et n’aura pour seul instrument pour exprimer ces vertus que l’alphabet. L’alphabet est idéel, est enseigné à nos enfants par chacun de nous, et comme nous dit le Code pénal, quiconque est parent et se refuse de scolariser, d’instruire son enfant, encours la prison. C’est dire que l’enseignement de l’alphabet est une obligation citoyenne. Seulement, l’alphabet est non-violent. Là est la distinction entre l’écrivain et toute autre personne – fût-elle soldat ou viper, l’écrivain est non-violent. Pour qui utilise l’alphabet, la non-violence est inscrite dans son instrument même de travail. Cela même si la position de l’écrivain, elle, le situe fondamentalement du côté de ceux et de celles dont la mission historique est de renverser l’état des choses, d’impulser le changement donc.
Le Cameroun sera anglophone ou ne sera pas. Tel est en fait le crédo de la bataille qui secoue ce pays – déjà dans nos familles où les enfants sont plutôt envoyés dans les écoles anglophones, quand eux-mêmes sont francophones. La tyrannie francophone qui nous tient en captivité et qui me maintient dans ce bureau du SIR à la PJ de Yaoundé, qui a déjà vu passé les Marafa et Abah Abah, sait au fond qu’elle est condamnée. Elle le sait parce qu’avec nos enfants qui tous deviennent anglophones, elle a déjà perdu le futur. Et ici l’âge du président qui le disqualifie de toutes les façons, n’en rajoute qu’aux sommets de l’ignominie. La manufacture de cette ignominie, le maintien de celle-ci n’est plus possible que sur l’incarcération des citoyens, et la transformation du Cameroun en République carcérale, est le vécu de chacun de nous. C’est clair qu’un pays, dont le président du Senat est un ancien bagnard, dont le Ministre de la communication est un ancien prisonnier, et qui, à Kondengui, a tout un gouvernement aux fers, ne peut pas donner de leçon de liberté. Oui, la liberté, au Cameroun, est dorénavant ailleurs ; elle est Anglophone.
L’Etat camerounais qui magnifie quelques soldats tués et est silencieux sur des centaines d’anglophones exécutés par ces derniers, a choisi son camp. Il a cessé d’être bilingue comme le veut la Constitution, pour devenir un Etat francophone. Et ceux qu’il envoie au front, sont francophones, comme ceux que ces derniers tuent sont Anglophones. Devant cette clarté de la ligne de front, la position de l’écrivain – ce chantre de la liberté, du courage et de l’honnêteté – est facilement identifiable. Elle n’est même pas une question de réflexion, mais de reflexe. Ici je me tiens et ne puis être ailleurs, disais Luther, quand la question du protestantisme résonnait en Allemagne, disait Emerson, quand celle de l’esclavage secouait les Etats-Unis, et bien sûr sur Mongo Beti, comme celle des maquisards demandait à la conscience camerounaise de s’identifier. Ici, je me tiens, en prison, et ne puis être ailleurs, car c’est en prison qu’aujourd’hui, au Cameroun, que la liberté se définie. C’est là que le courage et l’honnêteté manufacturent la République de demain.
Notre pays ne s’en sortira pas de cette guerre qui devant nous compte ses morts, sans un nouveau contrat social. L’écriture d’une nouvelle Constitution est au fond, ce qui agite le Cameroun anglophone, quel que soit la tendance de sa demande. Or, une Constitution étant écrite, nous revenons, ici aussi, sur le besoin formulé, d’une nouvelle écriture, et donc, sur la nécessité de l’écrivain comme concierge de la République. Il s’agit ici en effet de la fondation d’une nouvelle République, une qui ait dans ses pulsations, le respect de la liberté de chacun de nous, de devenir ce qu’il est. Qu’une telle République ne soit possible que dans la mesure où sa parturition met en branle la sagacité, l’imagination, des enfants de ce pays, est une évidence. Qu’elle ne soit possible que sur les cendres de ce régime est hors de discussion. Et que finalement elle ne soit vraiment réalisable que lorsque Biya aura rejoint la place qui l’attend à kondengui n’a plus besoin d’être discuté. Combien de gens de bien seront-ils incarcérés ou perdront la vie pour la défense d’un régime condamné déjà ? La réponse à cette question de plus en plus échappe aux camerounais pour se résumer entre les mains des soldats – militaires, gendarmes, policiers – à qui le renouveau donne l’ordre de tuer. Notre libération collective commencera le jour où, comme une fois à Bamenda, ils vont plutôt répondre à leur devoir professionnel, et donc citoyen, de se mettre au côté du peuple camerounais. Ce jour-là, la Nation se lèvera enfin sur la République et le tyran prendra la fuite.
PJ, Yaoundé, le 09/12/2017