C’est là un grand mystère : il est monté au dessus des cieux, et il est tout proche de ceux qui habitent sur terre. Qui donc est à la fois lointain et proche de nous, sinon celui qui s’est tellement rapproché de nous par la miséricorde? Ces mots de Saint Augustin raisonne en moi alors que le soutien apporté hier à l’Abbé Dieudonné Nkodo est contesté de toute part, devrais-je me réfugier dans ces autres mots de Jean Paul II qui assignait à l’université et à l’Église deux missions spécifiques, distinctes et différentes.
Le Pape disait alors, que le but de l’université est le savoir et la sagesse. Le but de l’Église est le salut, l’Évangile, le règne de l’amour et de quelque chose de plus grand que l’humain. Le règne du savoir et celui de l’amour ne sont pas identiques, mais complémentaires. C’est donc dans le savoir universitaire que je puise mon analyse afin de contribuer à édifier ce monde camerounais que l’on voudrait construire sans aucun savoir, sinon juste l’émotion !
Alors efforçons nous d’aimer nos questions elles-mêmes. Ne vivons pour l’instant que nos questions. Parce qu’il y a des questions qui ne reçoivent de réponse que si on les laisse sans réponse et si on les accepte. Que posons-nous comme problème aujourd’hui à notre société ? Qui peut être heureux de l’état de décrépitude dans lequel se trouve notre pays ? Qui peut se réjouir de la collusion des politiques mieux des gestionnaires de la fortune publique avec les hommes d’Église mieux des hommes dits de Dieu ?
Aujourd’hui plus que hier, nous portons le Cameroun de village en village, comme une dépouille, celle de Ruben Um Nyobè lâchement assassiné le 13 septembre 1958 à Libelingoï aux portes de Boumnyebel, alors que le soleil était déjà loin derrière les arbres, que la forêt avait renvoyé déjà au village les cultivatrices. Nous voulons vous présenter ce Cameroun afin que vous le saluiez tel qu’il est avec sa robe déchirée lors de l’assassinat de Félix Roland Moumié le 3 novembre 1960 à Genève en Suisse par les services secrets français.
Oui voici le tour du Cameroun, et puis nous ne tournerons pas la page sans faire la vérité sur nous-mêmes, les cloches de l’histoire de notre pays sonnent à toutes volées et personnes ne peut arrêter leur résonance.
À l’origine, les sirènes habitent une île couverte de fleurs. Pourquoi pas à Ngok-Lituba. Nul ne peut les voir, mais tous les marins qui passent peuvent entendre leur voix étonnante et savoureuse comme le miel. Personne ne connaît leurs formes précises ni leur nature déterminée, mais ce qui est sûr c’est qu’elles attirent les navigateurs par leur chant. Certes y a-t-il un danger à voir s’approcher pour mieux entendre : les marins charmés et retenus au passage ont payé leur désir par une malmort. Divers équipages savaient leur sort en cas de séduction effective mais nombre d’entre eux ont cédé à la tentation des Sirènes, qui loin de se poser comme des magiciennes aux formules contraignantes, apparaissent comme des tentatrices respectueuses de la liberté des infortunés audacieux. Cette tentation s’adressait aux sens et par eux à l’esprit. Ainsi malgré son caractère fantaisiste et simplet, le mythe des Sirènes symbolise bien la tentation du pouvoir de l’homme camerounais dans le Cameroun chaotique dans lequel nous sommes plongé. Désir inaliénable de prendre le pouvoir et tout ce qui l’entour, faste, richesse, fortune, mais méfions nous ! Ces mots ne sont pas synonymes.
Après tout ce que nous vivons en ce moment au Cameroun et que nous vivrons certainement encore dans les semaines et mois à venir, pouvons-nous enfin comprendre qu’il ne suffit pas d’un décret, d’une soutane voire d’un pallium, d’un titre de docteur, d’une voiture de fonction, pour être pour s’ériger en homme politique ! Il faut avoir des sentiments réels d’attachement et d’amour à ce pays et à ces hommes et femmes, il faut être capable d’idéaux, des émotions, il faut être capable d’un certain orgueil et d’une grandeur d’âme dans l’assumation de l’acte politique.
C’est justement parce que Ulysse a subi l’épreuve du chant des sirènes et la surmontée qu’il est devenu aède. En sachant attacher son corps, en s’imposant des liens et des règles – devrais-je dire : le carcan d’une forme – il surmonte l’épreuve qui le ramène en Ithaque. Les sirènes se trouvent au cœur du voyage initiatique qui mène Ulysse de la magicienne Circée qui tisse en chantant à sa femme Pénélope qui tisse inlassablement sans jamais chanter. Ces mêmes Sirènes longent le parcours de Ngok-lituba à Yaoundé, de Yaoundé à chaque bout du territoire camerounais. Les gestionnaires véreux, érigés en politiciens ont raté leur vocation. La politique n’est pas une donation initiale, c’est une acquisition patiente plus que don ; le chef de l’État actuel devrait mieux que quiconque l’avoir compris.
Vincent-Sosthène FOUDA est l’auteur de Eglises et Etats-Nations en Afrique Noire : Un couple tenté par l’adultère, Paris, L’Harmattan, 2005.
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