Dieudonné Essomba ou le triomphe du fétichisme dans certains médias au Cameroun

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Il y a une volonté de rabaisser l’intellectuel au Cameroun et surtout de dévaluer le diplôme. Cette confusion entre le symbole – le diplôme – et l’objet que ce symbole est censé représenter – la connaissance – a un nom: le fétichisme. Et le problème du fétichisme est qu’il conduit fatalement à poursuivre non plus l’objet, mais son symbole. Nous avons besoin du symbole et de son objet pour se développer le reste oui le reste c’est du fétichisme comme nous savons en faire dans notre pays.
Dans toute société, je crois que le Cameroun en est une, il existe des savoirs et ces derniers sont transmis par un corps spécialisé dans un lieu spécialisé. Parler d’école, c’est parler de quatre choses : (1) des savoirs ; (2) des savoirs transmissibles ; (3) des spécialistes chargés de transmettre des savoirs ; (4) d’une institution reconnue, ayant pour fonction de mettre en présence, d’une manière réglée, les spécialistes qui transmettent et les sujets à qui l’on transmet.
Chacune de ces quatre choses est nécessaire, en sorte que c’est nier l’existence de l’école que de nier l’une d’entre elles ; de même, c’est vouloir la disparition de l’école que de vouloir, pour quelque raison que ce soit, bonne ou mauvaise, la cessation de l’une ou de l’autre. Dire que les docteurs et les professeurs ne servent à rien c’est reconnaître qu’on ne sert soi-même à rien puisque le savoir premier et dernier nous a été transmis par eux. Ce ne sont pas les ingénieurs qui sont les enseignants mais ceux et celles qui sont doctes en ingénierie. Dans les sociétés anglo-saxonnes, il n’existe pas d’école mais des universités aux seins desquelles on forme des ingénieurs, des médecins, des actuaires, des notaires, des astronautes et tout ce que nous voulons. Ce n’est pas parce que la majorité se trompe toute en même temps qu’elle a raison.
Nous pouvons remettre en cause la manière dont les savoirs sont transmis, ceux qui transmettent ces savoirs mais l’injure ne fait pas partie de la science. La transmission du savoir est un trans-faire et nous place dans un inter-générationnel. Celui qui transmet le savoir n’est pas de la même génération que celui à qui il transmet ce savoir.
L’être humain, comme on sait, se constitue sur la base d’une double transmission, génétique et culturelle. La transmission de connaissances par l’enseignement ne constitue qu’une part des connaissances qu’acquiert un enfant (il assimile également des connaissances à travers la vie quotidienne). Et les connaissances ne constituent elles-mêmes qu’une partie de la transmission culturelle intergénérationnelle : l’enfant assimile également, par mimétisme, des manières d’être, des pratiques relationnelles et des savoir-faire. Cette transmission qui s’opère dans l’expérience quotidienne du rapport avec les adultes constitue la base de l’existence de l’enfant et de sa socialisation. Si ces acquisitions fondatrices se mettent en place convenablement, elles favorisent ensuite l’acquisition des connaissances. D’où la nécessité de distinguer entre instruction et éducation.
Les déclarations de monsieur Dieudonné Essomba sont une réelle confusion de genre et de registre. Il n’y a pas d’ingénierie de la parole par exemple. On ne va pas dans une école d’ingénieur pour parler à la télé tous les jours de tout et de rien. Nous attendons d’un ingénieur qu’il construise des routes, des ponts, des autoroutes de la statistique, de l’ingénierie économique et/ou financière et la liste est longue. Il ne s’agit pas de copier ou de transférer les connaissances mises en place ailleurs qui obéissent à d’autres réalités climatiques, anthropologiques, sociologiques et juridiques. Il s’agit de confronter les savoirs acquis à la réalité de son milieu. Et à ce niveau nous questionnons l’apport des ingénieurs.
L’instruction, c’est l’acquisition de connaissances grâce à l’enseignement. L’éducation, c’est le développement de la capacité à être soi tout en étant avec les autres, à ménager ses relations avec eux, à participer à la vie sociale, à intérioriser la culture commune.
On peut être convenablement éduqué et socialisé sans pour autant être très instruit. Mais on ne peut pas s’instruire, on ne désire pas apprendre si, d’abord, on ne bénéficie pas d’une certaine socialisation.
La critique adressée aux « docteurs et professeurs » n’a aucun fondement épistémologique dans la mesure où ces ternes génériques ne signifient pas grand-chose sauf ce qui est distillé dans l’imaginaire collectif, et les propos de monsieur Dieudonné Essomba, malheureusement, sonnent faux pour traduire la réalité du savoir acquis et celui transmis par « l’enseignant ». Ces propos sont militaires « mon CEP dépasse ton BACC » apparus dans les années 90 .C’est une construction de la perte de la culture, de L’identité, des traditions, du savoir, des racines. Et les conséquences ne sont pas seulement dans les commentaires sur la toile, elles sont des tropes mobilisés par de nombreux individus et collectifs à travers le pays et le monde.
Le besoin de transmettre n’est pourtant pas une idée neuve. L’histoire du patrimoine est celle de la conservation pour les générations futures. Dans ses Histoires (livre premier), Hérodote d’Halicarnasse se proposait déjà de “préserver de I’oubli les actions des hommes, de célébrer les grandes et merveilleuses actions des Grecs et des Barbares”. Aujourd’hui, partout à travers le globe, L’anthropologue est confrontée à L’omniprésence de discours nostalgiques sur la perte, L’oubli, la nécessité ou L’impossibilité de transmettre. Il suffit, en effet, de penser aux débats agités sur les racines chrétiennes de L’Europe, au succès du texte Racines d’Alex Haley aux États-Unis, au tourisme de mémoire et à L’obsession généalogique contemporaine. Mais aussi aux populations autochtones au Canada, aux communautés indigènes en Amérique du Sud ou aux familles d’immigrés en Europe qui revendiquent la préservation de leur culture. Le Cameroun serait donc seul une sorte d’OVNI qui jetterait au feu les transmetteurs du savoir.
Je sais personnellement ce que ce pays doit à Bernard Fonlon, Basile Juléat-Fouda, Marcien Towa, Jean-Marc Ela,Tchundjang Pouémi, Eloi Messi Metogo et bien d’autres encore, aujourd’hui et demain.

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Dieudonné Essomba

Vincent-Sosthène FOUDA socio-politologue

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