Un temple de savoirs et de…convoitises: L’AED/UDM elle aussi malade de la gérontocratie

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Un temple de savoirs et de…convoitises, par Olivier Ndenkop et Ikemefuna Oliseh
Officiellement, tout va bien. Le fichier des étudiants régulièrement inscrits et les nouveaux bâtiments qui sortent de terre à Banékane sont présentés comme preuves et comme la résultante de l’embellie. Mais, lorsqu’on y entre, les choses sont moins reluisantes. La guerre des chefs a laissé des traces que l’on ne présente qu’après avoir fermé portes et fenêtres. Enquête.
Toute proportion gardée, l’Université des Montagnes (UdM) est pour Bangangté, ce qu’est la tour Eiffel pour Paris : un lieu chargé d’histoire et de rêves. Un lieu incontournable pour qui est dans la ville et ses environs. Les résidants ne se l assent pas d’y retourner régulièrement pour apprécier les nouvelles dorures apportées ou évaluer l’impact d’une secousse tectonique qui a menacé les piliers de l’édifice. Il y a à peu près deux ans, c’était justement le cas au sein de l’Association pour l’éducation et le développement, une sorte de fondation qui porte l’Université des Montagnes.
La suspension suivie de la démission du professeur Ambroise Kom a lézardé les murs d’une institution dont l’avenir qui se trace en pointillé traduit un certain état de la situation pas toujours reluisante d’une institution aujourd’hui à la croisée des chemins et qui se bat pour ne pas mourir.  Son livre intitulé Pour solde de tout compte publié aux Éditions des Peuples noirs au premier trimestre de l’année dernière a jeté une lumière crue sur les pratiques de prédation à l’œuvre sur les hauteurs de Mfetom et Banékané. La presse en a fait un large écho. Obligeant les dirigeants de l’AED-UdM à faire des mises au point pour rassurer l’opinion que tout va bien.
Du moins de leur point de vue.
La crise a-t-elle affecté la qualité des enseignements et/ou l’environnement de travail ? Y a-t-il eu chasse aux sorcières ? Comment étudiants, personnels d’appui et enseignants l’ont-ils vécue et surmontée ? Autant de questions et bien d’autres qui ont guidé les observations de Germinal 8 mois durant et que nous sommes allés poser aux principaux concernés dans les campus de Mfetom et de Banekane.
Bienvenu dans le meilleur des mondes possibles
En cette matinée du 28 juillet 2017, le campus de Mfetom ne grouille pas particulièrement de monde. « Cela ne veut pas dire que nos effectifs ont baissé après la grande campagne médiatique orchestrée par certains membres déchus », tient à préciser un officiel. « Arrivés en fin d’année académique, les étudiants vont progressivement en vacances », ajoute-t-il. Sous les sapins qui jalonnent le campus de Mfetom, quelques étudiants devisent. Feuilles noircies, tablettes numériques ou smartphones en main, ils ne se plaignent pas d’être ici. Bien au contraire. « Le rêve des millions de jeunes camerounais, c’est d’étudier ici. C’est quand même l’université des Montagnes ! », confie Francine visiblement émue. A la question de savoir comment ils ont vécu la crise qui a secoué l’Association pour l’Education et le Développement, instance faitière de leur université, les étudiants interrogés disent qu’elle ne les a pas affectés. Une réponse corroborée par certains enseignants. « Nous n’avons pas perçu de changement au niveau de la Faculté des sciences et de technologie », explique le professeur François Wamon, vice doyen de cette faculté. « Il est vrai que je viens d’être nommé vice doyen ; mais j’enseigne dans cette université depuis ses débuts. Vous comprenez que s’il y avait un changement, je devais vite constater. Nos enseignements se déroulent normalement et les résultats sont affichés conformément au calendrier », détaille-t-il avec une rigueur mathématique.
Au Service de la qualité de vie estudiantine et des œuvres universitaires, c’est le même son de cloche. D’ailleurs, l’on apprend ici que le taux d’insertion socioprofessionnelle des produits de l’Université des montagnes est largement satisfaisant. « Tous nos diplômés trouvent de l’emploi immédiatement après la fin de leurs études. », ajoute-t-il. Tout va bien dans le meilleur des mondes possibles !
Autre lieu, même discours officiel. Au campus de Banekane, site définitif de l’Université des Montagnes, les techniciens sont à l’œuvre. Plusieurs gigantesques bâtiments sont déjà sortis de terre et d’autres en sortent encore, grâce au savoir faire de la société Djemo BTP.
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Pr. Lazare Kaptué
L’académie est souffrante
Ce 28 juillet, l’Association pour l’Education et le Développement tient une réunion de son bureau exécutif au campus de Banekane. Dans la salle interdite aux journalistes, se trouvent le président de l’AED, Henri Njomgang, son adjoint, Théophile Yimgaing Moyo, le Pr. Lazare Kaptué, président de l’UdM, etc. Les invités, d’après des sources internes, ont parlé de la révision du modèle financier, de la synthèse des comptes prévisionnels 2017, entre autres.
Pendant près de deux heures, il a été question d’argent. « Et comme d’habitude, l’ambiance était par moment tendue », révèle notre informateur qui ajoute : « Contrairement à ce que les gens disent officiellement, l’AED et, dans une certaine mesure, l’UdM ont pris un nouveau virage après l’octroi du prêt concessionnel de l’Agence française de Développement. Même après l’épuration (exclusion de certains), ceux qui restent ne s’accordent pas toujours sur tout. Entre autres points de discorde, l’attribution des marchés et surtout l’état de l’académie ». Le Pr. Jeanne Ngogang, vice-présidente de l’UdM en charge de l’académie était justement absente de la réunion. « Avec elle, l’académie est toujours absente ou mal représentée », souffle une voix.
« Nous avons beaucoup de respect pour les responsables de l’UdM. Mais nous pensons qu’au regard de leur âge (moyenne d’âge avoisinant 70 ans), nous avons proposé qu’ils s’occupent de l’Association pour l’Education et le Développement afin de penser la stratégie de développement et laissent les jeunes s’occuper de l’UdM », explique un jeune enseignant. Mais la proposition n’a pas été retenue. « Pour être sincère, les dirigeants actuels de l’UdM n’ont pas une vision. Ils n’ont pas une expérience de gestion d’une institution universitaire qui a ses spécificités », ajoute un autre.
Contrairement au satisfecit officiel, les choses ne sont donc pas aussi roses. « Après le départ du professeur Ambroise Kom, une véritable traque des pro-Kom a été lancée ici », confie un responsable off the record. « Du jour au lendemain, les dirigeants actuels ont trouvé qu’il y avait beaucoup d’incompétents à l’UdM. Pour se débarrasser de certains employés suspectés d’avoir des accointances avec le prof Kom, on les a accusés d’incompétence. Pour maquiller leur licenciement, on a fait appel à un cabinet pour les évaluer. Malheureusement pour les auteurs de la machination, le cabinet dans son rapport a estimé que les personnes entendues étaient compétentes. Ces employés sont encore en service aujourd’hui ». Mais, pour combien de temps encore ?
Depuis lors, nombre d’enseignants et autres personnels d’appui de l’Université des Montagnes travaillent avec la peur au ventre. Ils ne savent pas quel prétexte sera utilisé demain pour masquer leur licenciement. En attendant cet instant qui peut arriver à tout moment, les uns se méfient des autres et s’épient. Dans ces conditions, la qualité des services en pâtit.
 Moins d’un an après cette constatation, et à la faveur de la cérémonie de remise des diplômes organisée à Banekane le 23 février 2018, Germinal a, à nouveau déployé ses reporters sur le terrain. Ceux-ci sont allés à la rencontre des acteurs rencontrés en juillet 2017 et leur ont posé presque les mêmes questions. Il s’est agi simplement de savoir si la situation s’était améliorée dans certaines domaines, notamment au niveau de l’académie de l’UdM, objet de beaucoup d’attention et d’inquiétude.
Leurs réponses ont été stupéfiantes : « La situation semble plutôt s’être empirée à ce niveau [de l’académie ; Ndlr] », lance sous cape un responsable qui parle de la baisse de la qualité de l’enseignement. Un constat d’échec du reste confirmé par celle qui est chargée de veiller au bon fonctionnement de l’académie dans une interview accordée à Cameroon-info.net : « Pour être franche avec vous, dit-elle, les premières promotions étaient mieux encadrées parce que le nombre n’était pas excessif. Mais avec le temps, on se retrouve avec des effectifs de 150, 250 par rapport à 20, 30, d’antan. Mais nous nous efforçons à distiller la même science pour qu’ils aient aussi la possibilité d’avoir les mêmes fondements et de pouvoir être performants sur le terrain ».
Selon des indiscrétions, certains travaux pratiques ne se font plus, ou pas à temps et quand ils sont faits, « ce n’est pas suffisant », déclare un diplômé de l’UdM. De même, il n’est plus facile d’équiper les laboratoires, les tensions permanentes de trésorerie ne laissant pas des marges de manœuvre aux responsables qui utilisent cet argument pour justifier l’absence d’équipements dans des laboratoires. Au niveau de l’organisation des évaluations, y compris les soutenances, c’est un véritable capharnaüm, relève un responsable qui a requis l’anonymat.
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Pr. Jean Michel Tekam
En outre, les nominations récentes du Pr Jean-Michel Tekam (78 ans) à la vice-présidence de l’UdM et du Pr Joseph Kamdom Moyo, grand frère de Yimgaing Moyo (vice-président de l’AED) comme doyen de la faculté des Sciences de la Santé, sont les preuves la plus patentes de l’ancrage de la gérontocratie à l’AED/UdM et du refus de la juvénisation des cadres.
Avec ce diagnostic posé de l’intérieur par ceux qui font vivre tant bien que mal cette institution, mais qui ne disposent d’aucune tribune pour s’exprimer, l’avenir de l’UdM semble compromis, si rien n’est fait pour prendre le taureau par les cornes. Plusieurs employés, s’inquiètent du sort réservé aux nouveaux bâtiments du reste déjà intégrés avant leur achèvement et leur réception et qui risquent de n’avoir pas à accueillir des étudiants, tellement la qualité de l’enseignement a du mal à refléter l’image de rêve qui a été projetée de l’UdM.
Olivier Atemsing Ndenkop, Journaliste-Chercheur
Ikemfuna Oliseh, journaliste

Source: Germinal, édition spéciale, n°114, du 21 mars 2018 

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