Le tribalisme des Bamilékés, parlons-en !

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Comme c’est le cas depuis les 30 dernières années, c’est à l’approche des élections présidentielles que les clivages tribaux sont les plus marquants au Cameroun, et les intellectuels organiques et autres chantres du tribalisme sortent leurs cartes. L’année 2018 ne fait pas exception. Nous observons la réapparition orchestrée de discours anti-Bamiléké violents sur les plateaux de télévision, relayés avec un cynisme criminel sur les réseaux sociaux par des crapules facilement identifiables, dont la filiation avec le pouvoir en place est indiscutable.

 

Cette dialectique anti-Bamiléké a atteint son paroxysme avec l’arrivée inattendue de Maurice Kamto sur la scène politique. La popularité grandissante de son parti le MRC au plan national et l’espoir que sa candidature suscite chez certains Camerounais sont les deux facteurs d’une dynamique redoutable qui rend hystériques certains compatriotes complètement allergiques à toute idée de voir un Bamiléké prendre le pouvoir au Cameroun.

Du coup, une rengaine bien connue, inaugurée par Lamberton, reprise et instrumentalisée depuis les années d’indépendance par une petite meute villageoise paresseuse qui se renouvelle à chaque occasion et qui a fait du pouvoir politique une exclusivité familiale, refait surface : Ainsi, on peut les entendre dire ici et là : « Les Bamilekes sont des tribalistes qui veulent prendre le pouvoir pour dominer les autres tribus » ; « Les Bamilekes sont des assoiffés de pouvoir qui ne rêvent qu’à s’en accaparer pour parfaire leur projet de domination » « Les Bamilekes sont des cochons qui salissent nos villes et doivent rentrer vivre dans leurs montagnes » « Les Bamilekes ne recrutent que leurs frères dans leurs sociétés » « Les Bamilekes ne vont jamais prendre le pouvoir au Cameroun » etc.

Et pourtant, comme nous allons le démontrer, les Bamilekes ont prouvé, à travers l’histoire lointaine, récente, et souvent sanglante du Cameroun, qu’il est un peuple de patriotes qui a toujours rejeté les appels au repli identitaire, et ceci commence avec l’histoire de l’UPC et du Patriarche Bamileke Djoumessi Mathias.

Les Bamileke n’ont jamais cédé aux appels au repli identitaire, voici pourquoi !

Mathias Djoumessi est, beaucoup de Camerounais l’ignorent, le premier Président de l’UPC, élu à ce poste au Congrès du parti historique en 1950 à Dschang. A la suite de son élection, il est excommunié avec fracas par l’église Catholique qui déteste l’UPC et est pressé par la France de renoncer. Il passera donc un séjour éphémère de 6 mois à la tête de l’UPC avant de démissionner au début de l’année 1951.

 

Il crée par la suite, avec l’aide logistique de la France qui veut anéantir l’UPC en pays Bamileke, un parti politique qu’il va présenter comme le « Parti des Bamilekes », et lui donne le nom de Kumze. Il réussira à obtenir l’adhésion à ce parti d’un grand nombre de Rois Bamilekes, avec l’espoir que les Bamilekes vont suivre l’exemple de leurs Rois. Il va aller plus loin ; Il va créer la première coopérative autonome du Cameroun, la COPPLAC, qui a pour ambition d’aider les Bamileke dans la culture et la vente libre du café. Ensuite, Mathias Djoumessi va sillonner le pays Bamileke de fond en comble, pour rallier ces derniers au programme de son parti, essentiellement axé sur la protection de leurs intérêts. Entre temps, il est porté à la tête d’un autre Mouvement Politique, « Les Paysans Indépendants », qui regroupe les 9 députés Bamilekes présents à l’assemblée. Mais Mathias Djoumessi va se rendre compte par la suite, à ses dépends, à quel point il s’était trompé sur un peuple qu’il croyait connaitre.

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Le peuple Bamileke, rejetant tous les appels de leur frère Mathias Djoumessi, rejetant ses promesses de protéger leurs intérêts, refusant tous les avantages que son adhésion au Kumze lui aurait logiquement procuré, opte pour un choix dangereux et risquant, celui de suivre le discours indépendantiste de Ruben Um Nyobe, un jeune nationalise inconnu originaire du pays Bassa, mais dont le discours de libération sonnait jusque dans les tréfonds des campagnes Bamilekes.

C’est donc en masse et de manière systématique que les Bamilékés adhèrent à l’UPC au détriment de Kumze, et font de la région Bamileke le premier bastion de ce parti. Lorsque l’UPC est interdite, les Bamilekes, suivant l’appel d’Um Nyobe, un Bassa inconnus dans les camapgnes, entrent en résistance. La France va leur faire payer un prix lourd pour leur audace, et le dernier nationaliste Upeciste assassiné par l’armée s’appelle Ernest Ouandie, un Bamileke fusillé sur la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1970.

Les Bamilekes et le SDF

Au début des années 90, sous la contrainte de la rue, Paul Biya essaye timidement d’assouplir le jeu politique et accède à la demande du multipartisme. Tout s’est en réalité joué à Bamenda, le 26 mai 1990. Un libraire charismatique, défie la machine militaire déployée ce jour-là par le parti unique et lance un parti politique, le SDF. Ce libraire s’appelle Ni John Fru Ndi. Il a repris, presque mot pour mot, le discours de libération d’Um Nyobe. Il parle de « Power to the People » et fait preuve d’un courage et d’une audace suicidaires dans lesquels les Bamilekes vont se reconnaitre très vite.

Malgré la répression et les hésitations, Paul Biya est obligé d’annoncer l’avènement du multipartisme. Puis, une multitude de partis politiques voient le jour. Parmi les partis politiques créés par les Bamileke, l’UFDC émerge rapidement. Son fondateur est un Bamileke du Haut Nkam, spécialiste des questions de la sécurité militaire. Il s’appelle Hameni Mbieleu et vit à Yaoundé. Le discours du Président Hameni est vite éteint par le slogan du SDF, « Power to the People », qui résonne, tout comme le discours de libération de Ruben Um Nyobe 40 ans plus tôt, dans les campagnes Bamileke.

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Malgré la répression barbares qui va sévir sur le SDF, malgré les menaces et les risques qui pèsent sur eux et qui sont mis en relief par l’apparition de nouveaux lexiques génocidaires dans le champ politique, les Bamileke vont, comme ils l’ont fait pour l’UPC au tournant des années d’indépendance, faire un choix patriotique risqué, par une adhésion massivement au SDF, au détriment du parti de leur propre frère Hameni Mbieleu, qui va d’ailleurs s’allier au SDF lors des élections présidentielles de 1992, gagnées comme nous le savons tous, par John Fru Ndi.

Personne ne peut prétendre que les Bamilekes ont adhéré au SDF par calculs politiciens, ou par intérêts claniques, d’autant plus que dans l’appareil dirigeant de ce parti, aucun Bamileke n’a jamais tenu une position de pouvoir, et ceci est d’ailleurs encore valable aujourd’hui. Bien entendu, comme ce fut le cas pour l’UPC, leur adhésion au SDF leur a couté très chère. Apres les élections de 1992, une chasse aux sorcières a eu lieu dans les régions du Sud du pays ou des maisons, boutiques et autres biens appartenant aux Bamilekes ont été brulés, et dans certains cas, avec leurs occupants.

La candidature du Patriarche Albert Dzongang.

L’Honorable Albert Dzongang est un ancien Député Bamileke de la ville de Douala, et un transfuge du RDPC, un parti qu’il a servi avec abnégation avant de démissionner avec fracas. Il crée ensuite son parti politique, la Dynamique, et en 1997 il décide, indigné par toutes les frustrations accumulées par les Bamilekes, de se présenter aux élections présidentielles, comme « Le Candidat de Bamileke », qui va rétablir leur dignité bafouée et défendre leurs intérêts menacés. Sa campagne, qui sera concentrée à l’Ouest et sur les associations et autres milieux Bamileke ne fait aucun doute, ni aucune équivoque sur son programme et ses intentions. Il rassemble à son domicile de Bassa des intellectuels, entrepreneurs et leaders d’associations Bamileke pour les convaincre de le suivre. Mais, comme Mathias Djoumessi avant lui, l’Honorable Albert Dzongang s’est rendu compte à quel point il s’était trompé. Les Bamilekes ne l’ont pas suivi.

Ces trois exemples indiscutables font des Bamiléké le seul peuple au Cameroun, et peut-être même en Afrique, dont les choix politiques n’ont jamais été motivés par des intérêts claniques. Et chaque fois qu’ils ont fait un tel choix, ils ont accepté dignement d’en payer le prix et les tourments qui vont avec, y compris un génocide perpétré par la France entre 1962 et 1964, qui reste la seule période sur laquelle ce pays refuse d’ouvrir ses archives, en raison sans doute de la gravité des crimes commis qui pourrait compromettre dangereusement sa posture internationale.

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Quel autre peuple au Cameroun a adhéré aussi massivement à un parti dont le leader n’était pas de la même famille ethnique et a payé un prix aussi lourd pour son choix ? Les Nordistes étaient massivement derrière Ahidjo, puis Bello Bouba Maigari.

 

Les Bassa étaient massivement derrière Um Nyobe. Les Béti et les Bulu sont massivement derrière Paul Biya. Les Bamouns sont massivement derrière Adamou Ndam Njoya. Les Anglophones ont été massivement derrière John Fru Ndi. Les Douala sont massivement derrière Jean-Jacques Ekindi. Et ce sont certains de ces compatriotes animés par une haine gratuite et qui n’ont jamais adhéré à un autre parti que celui de leurs propres frères qui écument les plateaux de télévision pour attaquer les Bamilekes et les accuser d’avoir des ambitions hégémoniques.

Les Bamiléké ont le droit légitime à aspirer au pouvoir

Nous le disons et prenez comme vous voulez ! Les Bamilekes, tout comme tous les autres peuples du Cameroun, ont une aspiration légitime à accéder au pouvoir, qui n’est pas réservé à une catégorie exclusive de la communauté nationale qui prétendrait en détenir la paternité. Cela n’est plus possible ! Sur l’échelle des valeurs, du courage et du mérite pour services rendus à cette nation toujours ingrate à leur égard, les Bamileke arriveraient en tête des peuples qui aspirent à diriger le Cameroun, même si, en raison des réserves qui les caractérisent, ils n’en n’ont jamais fait une exigence particuliere. Mais il faut bien se rendre à l’évidence et abandonner tout projet qui consisterait à empêcher un Bamileke de prendre pacifiquement et démocratiquement le pouvoir au Cameroun sous prétexte qu’un Bamileke serait disqualifié pour diriger notre pays. C’est fini !

Les Bamileke sont libres, comme toutes les autres communautés nationales, de faire le choix politique qui leur semble approprié et juste, et personne ne pourra s’y opposer, ni les convaincre de faire autrement, ni les corrompre. Nous venons de prouver par l’histoire que ceux qui ont essayé ont échoué, y compris leurs propres frères. Et si les Bamileke décident que Maurice Kamto est celui qui est mesure de sortir le Cameroun de l’abime actuel, personne ne s’y opposera non plus. Que ceux qui en doutent se réveillent maintenant !

 

Source: Brice Nitcheu

 

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