Me Jean De Dieu Momo l’ancien chasseur de Lion maintenant au service du Lion
Ainsi donc, vous avez décidé, avec quelque vingt autres amis, d’entraîner le Paddec dans une coalition pour soutenir le candidat Biya, 86 ans, que vousaviez pourtant officiellement juré de combattre. Mais plus que la décision elle-même, c’est sa justification qui me pousse à vous servir ce message. Vous dites : 《Paul Biya est très vieux, 86 ans, c’est donc son dernier mandat, il faut luidonner sa dernière chance.》Sans revenir à l’argument largement répandu selon lequel le vieux doit prendresa retraite, comme tout vieux devrait le faire, j’ai plutôt une autre approche faceà ce raisonnement dangereux : Connaissez-vous des gens qui vivent 110 ans etplus? Moi, j’en connais. Et ce n’est pas difficile d’arriver à cet âge. Il suffit d’avoirune bonne hygiène de vie, une rigueur alimentaire et sportive, et être bien suivides médecins. C’est ce qui explique qu’en Occident par exemple – et Paul Biyaest un citoyen d’honneur des villes occidentales –, l’espérance de vie est de 85 à90 ans aujourd’hui. Dans la seule province de Québec au Canada, on adénombré sept mille (7.000) centenaires l’an dernier. Votre argument basé surl’âge ne tient donc pas, parce que Paul Biya fera partie des centenaires de sagénération : iI a une bonne hygiène de vie, est bien nourri et sa santé est biensurveillée. Ce ne sera donc pas son dernier septennat. À 92 ans, vous lui donnerez un autre mandat, avec le même argument que ce sera son dernier, etbernerez ainsi encore le peuple. À ses 99 ans, récidiverez, et le Cameroun seretrouvera totalement dans l’abîme.
Les messages ont fusé de partout pour dire non à sa candidature, aussi bien àl’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun, car très nombreux sont ceux qui voienten son départ à la retraite la solution à la majeure partie des problèmes de lanation :
1. La crise anglophone : Comment le Rdpc ne perdrait-il pas alors qu’il apréféré la brutalité militaire au dialogue dans la crise anglophone,poussant les compatriotes de deux provinces entières, le Nord-ouest et leSud-ouest, à le rejeter dans un mouvement de contestation sansprécédent dans l’histoire du Cameroun ? Sa défaite dans les régionsanglophones sera pire qu’en 1992 où il put tout de même gruger quelquesvoix avant de perdre l’élection présidentielle. D’ailleurs, et vous devriez lesavoir, même au sein de l’armée et de la police, des voix s’élèvent pourcritiquer la hiérarchie qui continue de privilégier la solution militaire face àun problème qui aurait dû être réglé de la plus simple des façons par le
dialogue. La raison en est qu’au fond, ce n’est pas, à proprement parler,une guerre contre les sécessionnistes ou les terroristes (un faux vocablepour se donner bonne conscience et s’enfoncer de plus en plus), maisc’est bel et bien une guerre que le régime a poussé les Camerounais à selivrer entre eux-mêmes, une guerre que ceux-ci ont vite fait de qualifier desale, parce que la menace ne vient pas d’un pays étranger, une guerrecivile, et donc fratricide. Dans ce contexte, l’argument de la protection del’intégrité du territoire devient un prétexte et ne peut justifier votreralliement, car comme vous lavez vous-même dit au début de la criseanglophone, c’est un problème de mal-être général, et la menace dedésintégration territoriale sera toujours présente tant qu’un État fera del’injustice et de l’arbitraire un mode de gouvernance.
2. Les coalitions sans contenu et l’occupation du terrain par la véritableopposition : Le Rdpc perdra en octobre 2018, parce que, tout comme lePaddec qui avait une certaine assise à Dschang, l’Undp de Bello Boubaqui, traditionnellement, a une large assise au grand nord, a refusé deprésenter un candidat et a participé à la même coalition artificielle quevous. Et c’est là l’erreur fatale du régime de Yaoundé : en n’organisant pasune présidentielle à deux tours pour permettre à chaque parti politique de montrer, au premier tour, ce qu’il vaut réellement sur le terrain, il a créépour lui-même une situation floue dans laquelle aucune donnée ne luipermet de lire, sur le terrain, la véritable représentativité des partis aveclesquels il veut coaliser. Le deuxième tour de la présidentielle étant celuiqui permet de faire pareille lecture objective, les coalitions actuelles duRdpc sont artificielles et sans contenu. Elles n’ont aucun poids face à laréalité du terrain, et ceci se confirme par la rapidité et l’éclat avec lesquelsle MRC de Maurice Kamto comble le vide laissé en drainant des foulesimmenses dans ces trois provinces septentrionales. Ainsi, amputé des provinces septentrionales par le vide laissé par l’Undp etcomblé à ce jour par le MRC, amputé des deux régions anglophones où il estrejeté en raison de la sale guerre, fragilisé dans les provinces du Centre et duSud par les forces progressistes dont on a longtemps étouffé la libertéd’expression et l’émergence d’idées contraires, et à l’Est où la vie dans le noirdes très nombreux délestables pousse les populations régulièrement dans la rue,repoussé à l’Ouest et au Littoral où le chômage endémique a transformé demillions de jeunes en vendeurs à la sauvette et en bendskineurs, le Rdpc parttotalement perdant à l’élection présidentielle d’octobre 2018.
3. Les fausses statistiques: La percée sur le terrain du MRC contredit lesstatistiques erronées que vous avez dressées pour justifier votreralliement que vous avez qualifié vous-même de spectaculaire. Vousbasant sur les données de 2011 élaborées par le régime (!), vous avezattribué par anticipation, tel un maître des arts divinatoires, des millions de voix à tel parti et des milliers à tel autre, comme si les Camerounaisavaient la mémoire courte et n’allaient jamais changer, comme si vouslisiez dans leur esprit et serez dans les urnes avec chacun d’eux grâce àun quelconque don d’ubiquité, et comme si vous-même avez oublié quedepuis 1992, le Rdpc n’a jamais gagné, mais a toujours été vaincu. Lesvraies statistiques, Me Momo, sont ceux qui portent à 0,5% des 25millions de Camerounais le nombre de ceux qui s’agitent autour du Rdpcaujourd’hui, soit 125.000 personnes au grand maximum. Ce sont lesgouverneurs, préfets, sous-préfets, les délégués du gouvernement, leshommes d’affaires corrompus, les douaniers, les directeurs corrompus, leschefs d’entreprises parapubliques, les transfuges de micros-partis qui nereprésentent qu’eux-mêmes, et tous ceux qui sont liés à eux et quiconsidèrent le maintien du statu quo comme la garantie des avantagespersonnels de toutes sortes – ce qu’ils appellent le meilleur risque,comme c’est à voir dans l’affiche de campagne de Paul Biya. Si lecandidat du Rdpc est donc pour eux le meilleur risque, il ne l’est pas pourl’immense majorité des Camerounais (99,5% de la population) qui, à côtéd’eux, aspire au changement et veut enfin goûter aux délices del’alternance. Aussi, les inscriptions sur les listes électorales reflètent-ellescette proportionnalité. Les profiteurs du régime sont donc bien moinsnombreux pour constituer une masse critique capable de permettre auRdpc de se retrouver au-devant des autres partis d’opposition.
4. Structures et infrastructures délabrées : Le Rdpc ne peut pas gagnercomme vous le prétendez, Me Momo, parce que l’injustice et le fauxrègnent, et les Camerounais en ont marre de voir leur pays sombrer dansla déchéance morale. Le Rdpc ne peut pas gagner l’élection présidentielled’octobre prochain dans ce pays où 85% de la population vit sous le seuilde pauvreté et où la jeunesse, désorientée, lutte quotidiennement pour lasurvie grâce à la débrouillardise, dans ce pays où les malades se fontopérer par leurs proches à l’entrée des hôpitaux, où les enseignantsabandonnent leurs classes, où les milliers de morts à répétition sur lesroutes ne suscitent la prise d’aucune mesure rigoureuse de la part dugouvernement, où les catastrophes ferroviaires aux enquêtes quin’aboutissement jamais sont traités comme des faits divers, où lespopulations des villes n’ont pas accès à la simple eau potable, et àl’électricité – pour ne pas parler de celles des campagnes –, et où ladiscrimination à large échelle dans l’administration est devenue la règle.
Dans ces conditions, Me Momo, l’opposition n’a plus besoin nécessairement decoalition. Le peuple se coalise avec elle automatiquement, puisqu’après tout,dans cette course où on ne cherche que le premier, plusieurs partis d’oppositionviendront en tête, bien avant avant le Rdpc. L’achat des consciences dedernière minute et la distribution spontanée des sacs de riz par le régime n’yferont rien.
Maurice NGUEPÉ, Le 21 juillet 2018