Enoh Meyomesse: Laissez se produire les artistes
Manu Dibango, Francis Bebey, Uta Bella, Talla André-Marie, Tchana Pierre,Eboa Lottin, Anne-Marie Nzié, Kamdem Iréné, Ekambi Brillant, et bien d’autres, se sont toujours produits au Cameroun et dans d’autres pays africains, pour le compte du gouvernement en place, et cela n’a jamais dérangé personne, tout comme les footballeurs livrent des matches devant des gouvernements détestés par une frange de la population, ou des athlètes remportent des médailles olympiques, pour le compte de pays qui sont dictatoriaux. Il n’y a jamais eu de problème à cela.
Le sport comme l’art sont par essence libres. Un peintre est un homme libre, un poète est un homme libre, un romancier est un homme libre, un chanteur est un homme libre, un guitariste est un homme libre, un pianiste est un homme libre.
Leur imposer des contraintes, c’est étouffer l’art, car l’inspiration est
libre, elle ne se commande pas, elle ne s’ordonne pas. L’art est libre.
Un authentique démocrate ne combat pas l’art…
En se proclamant démocrate, on ne saurait dans le même temps s’attaquer à quiconque ne pense pas comme soi. Cela se situe totalement aux antipodes de l’esprit démocratique.
Paradoxalement, les Camerounais d’auparavant, étaient bien plus démocrates que ceux d’aujourd’hui, bien que vivant sous un régime autoritaire. Ils n’ont jamais songé à agresser un artiste parce
que celui-ci a produit son art devant un gouvernement qu’ils n’aimaient
pas. Eboa Lottin était constamment l’invité d’honneur de Mobutu au Zaïre.
Houphouët-Boigny invitait constamment Manu Dibango à Abidjan, au point où il en a même fait le chef de l’orchestre de la télévision ivoirienne.
Au congrès de l’UNC en 1975 à Douala, baptisé « congrès de la maturité », la plupart des artistes camerounais de renom de l’époque, avaient animé la soirée de gala organisée à la maison du parti à Bonanjo. Nul n’y a trouvé à redire. Bien avant cela, Manu Digango avait composé, à la demande du Président Ahidjo, une chanson à la gloire de l’UC, son parti, pour les législatives fédérales du 26 avril 1964, et nul n’y avait également trouvé à redire.
Le refrain en était « UC, UC, c’est la paix dans le pays, UC, UC, c’est la prospérité au Cameroun… » Talla André-Marie avait fait de même en composant une chanson à la gloire du Président Ahidjo, qui avait
même été retenue comme générique de début du journal parlé de Radio Cameroun : « 20 ans de progrès, bravo au promoteur, Ahmadou Ahidjo… »
Ainsi a toujours fonctionné le Cameroun. Et pourtant, à l’époque,
d’innombrables personnes croupissaient en prison pour des motifs
politiques ; le maquis battait son plein à l’ouest contre Ahmadou Ahidjo ;
d’innombrables exilés politiques étaient réfugiés en France, pourchassés par Ahidjo et Fochivé ; l’UNEK, Union Nationale des Etudiants du Cameroun, farouchement opposée à Ahmadou Ahidjo sévissait dans l’hexagone.
L’UPC se manifestait dans la clandestinité, tout comme le PDC d’André-Marie Mbida.
Mais, personne n’a jamais songé à agresser quelque artiste que ce soit au cours d’un spectacle nulle part, à Paris, à Lyon, à Marseille, etc.
Francis Bebey était le frère cadet du Dr Eyidi Bebey, jeté en prison par
Ahidjo, où il est tombé malade et est mort peu de temps après sa relaxe en 1965. Mais, personne n’a jamais songé à agresser Francis Bebey, ni même à l’accuser simplement de profaner la mémoire de son frère. De même, lorsque Manu Dibango, après son chant pour la campagne de l’UC, avait de nouveau, à la demande d’Ahmadou Ahidjo, composé l’hymne de la 8ème Coupe d’Afrique des Nations, personne n’avait également songé simplement à l’insulter, alors que Ouandié Ernest venait tout juste d’être fusillé sur la place publique à Bafoussam, le 15 janvier 1971.
Pourtant, à l’époque, à l’époque, d’innombrables Camerounais qualifiaient également Ahmadou Ahidjo de « dictateur sanguinaire », de « tyran des tropiques », de « despote devant Dieu le Père », de « laquais de la France », de « Birawandu », de « Président chéguié », de « you mamy pima président », etc., tout comme d’autres Camerounais le font aujourd’hui pour Paul Biya. Si comparaison était raison, il revient même en plus de reconnaître que la situation était cent fois pire qu’aujourd’hui, en matière de libertés individuelles, car, les prisons étaient remplies de contestataires, il n’y avait qu’un seul journal, Cameroon Tribune, qu’une seule radio, Radio Cameroun, qu’un
seul parti, l’UNC, qu’un seul candidat à l’élection présidentielle, il n’y
avait pas de télévision, ou plus précisément, Ahidjo en avait privé les
Camerounais, le Gabon, le Congo-Brazza, le Sénégal, la Côte d’Ivoire,
avaient les leurs depuis 1963, les derniers à en avoir créé une en Afrique noire étaient la Guinée Equatoriale et le Niger en 1970, mais rien au Cameroun !!!! Il aura fallu attendre 1985 !!!
Pour quitter le pays, il fallait demander une autorisation à la police, qui délivrait alors difficilement un « visa de sortie du territoire ». Malheur à quiconque débarquait à l’aéroport de Douala, le seul international à l’époque, sans ce précieux tampon dans son passeport !!! Mantoum direct !!!
Bref, le Cameroun était une vaste prison dont Ahmadou Ahidjo détenait la clé. Mais, malgré cela, nul n’a, en aucun moment, jamais songé à agresser quelque artiste que ce soit, au nom de la démocratie, parce qu’il aurait chanté dans une cérémonie à l’honneur d’Ahmadou Ahidjo. Les Camerounais de l’époque étaient infiniment plus démocrates que ne le sont à l’évidence
ceux d’aujourd’hui
Le retour de la terreur de 1960 ?
En fait, un groupe de Camerounais est en train de vouloir ramener
l’atmosphère qui régnait dans notre pays à la fin des années 1950 et au
début de celles 1960, jusqu’en 1970 : la terreur civile, les attentats
perpétrés par des marginaux constitués en bandes armées, et qui exerçaient de la violence sur la population, en guise de punition « méritée » pour « collaboration avec l’ennemi ». Selon ces brigands, il fallait être « impitoyable » avec les « agents du néo-colonialisme » et les « profiteurs illégitimes de l’indépendance », « les bénéficiaires de la lutte des Bamiléké et des Bassaa » pour la liberté du Cameroun.
Les fonctionnaires étaient assassinés, les hommes politiques, les religieux, etc.
Des meurtres au nom de la politique et pour opinion différente …
Dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 décembre 1956, une poignée
d’extrémistes tuaient à la machette le Dr Delangué et le forestier
Emmanuel Mpouma, qui avaient tous deux refusé de suivre le mot d’ordre de boycott du scrutin du 23 décembre 1956, et s’étaient portés candidats à cette élection décisive pour l’avenir du Cameroun, car de celle-ci devait naître le tout premier gouvernement camerounais. Ces assassinats avaient terriblement émus les Camerounais. Logmo Antoine de son côté, également candidat en Sanaga-Maritime à ce scrutin et opposé au boycott prôné par Um Nyobè, avait quant à lui échappé de justesse au commando venu l’assassiner. Le coup de feu qui lui avait été destiné l’avait raté, et il s’était sauvé dans la plantation de cacao derrière sa case en pleine nuit.
… Les mêmes groupuscules extrémistes avaient, le mercredi 17 août 1960, assassiné le Père Jean Courtecuisse à Ngambé, un prêtre français, puis, le vendredi 7 octobre 1960, le Préfet Kohn Albert près d’Eséka.
Dans l’ouest du pays, des groupuscules extrémistes bamiléké commettaient les mêmes abominations. Ils ont ainsi assassiné un des premiers ingénieurs camerounais, Samuel Wanko, au motif qu’il avait participé au scrutin « bidon » du 23 décembre 1956, avait été élu député, et siégeait de ce fait dans cette « assemblée fantoche à la solde de la France » !!!!
Ils l’ont tué à la machette. Les archives nationales à Yaoundé regorgent de récits d’incendies de bars, de boutiques, de cars de transport dans le Mungo, dès lors que les propriétaires de ceux-ci étaient taxés « d’agents d’Ahidjo ».
Le 16 janvier 1960, soit tout juste deux semaines après la proclamation de l’indépendance, des brigands-politiciens comme ceux d’aujourd’hui, ont mené une terrible attaque à l’hôpital de Bafang, tuant de nombreux
infirmiers « collaborateurs d’Ahidjo », saccageant tout le bloc
opératoire, détruisant toute la réserve de médicaments de la pharmacie.
Ils ont, dans la même nuit, incendié le car du Collège St Paul. Ils sont
passés à la Mission catholique, ont égorgé le Père Gilles Héberlé, un
Français, sont partis avec sa tête coupée … Quelques jours auparavant, Kémajou Daniel, chef Bazou, et député de l’ATCAM, a échappé de justesse à ces « politiciens-brigands » venus lui régler son compte pour « collaboration avec Ahidjo ». Néanmoins, toute la chefferie avait été saccagée, en guise de « punition et de message-avertissement aux autres chefs bamiléké collaborant avec Ahidjo ».
La veille de cette sinistrement célèbre attaque de Bafang, à savoir le 15
janvier 1960, M. Ngayewang, un notable bamiléké, outré par la violence que faisaient régner les intolérants de sa communauté dans leur propre région et en premier sur eux-mêmes, a invité les gens à une « Table ronde bamiléké ».
« Chers compatriotes,
Alors que notre pays jouit de sa souveraineté nationale (l’indépendance
proclamée le 1er janvier, soit quinze jours auparavant), nous nous
entre-déchirons par le terrorisme. Nous menaçons nos frères, nous les
égorgeons comme des moutons, nous pillons leurs cases et après quoi, nous les incendions. Chez nous, plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus d’églises, plus de marchés, plus de cultures, plus de transports : en un mot, plus de vie, tout le monde vit dans la terreur et la désolation. (…) Cette conjoncture pose de nombreux problèmes qui ne peuvent être résolus avec clarté et efficacité qu’autour d’une table ronde. (La Presse du Cameroun, 18.1.1960).
Cet esprit qu’on avait cru abandonné avec la fin du maquis en 1971, je
découvre avec beaucoup de désolation qu’il est en train petit à petit de
refaire surface à travers la création de ces nouveaux groupuscules
politiques barbares destinés à agresser des artistes camerounais en
Europe. C’est l’esprit des meurtres de l’époque de l’indépendance qui se produisaient dans l’ouest-Cameroun, à Bafang, à Banganté, à Dschang, à Mbouda, à Bafoussam, dans les régions « troublées » comme on disait à l’époque, et dans le Mungo qui revient. La terreur contre ceux qui ne partagent pas la même opinion que soi.
Aujourd’hui les chanteurs, demain tout le peuple …
Pour rappel, c’est ainsi qu’avait débuté le régime nazi en Allemagne.
Celui-ci avait commencé par indexer les Juifs comme la cause de tous les malheurs du pays. Ce que font actuellement en toute désinvolture, les agresseurs d’artistes en France, des intellectuels tribalistes décomplexés opposés au régime, et leurs soutiens au Cameroun, vis-à-vis de la communauté à laquelle appartient le président Biya. Les gens étaient demeurés indifférents, voire approuvaient. Puis, le régime nazi est passé à la destruction des commerces des juifs. Les gens étaient toujours demeurés indifférents, voire approuvaient. Tout comme aujourd’hui des gens approuvent qu’on agresse les artistes proches politiquement de Paul Biya.
Le régime nazi a brûlé tous les livres écrits par des juifs dans de
gigantesques flammes en pleine nuit, à travers tout le territoire. Les
gens étaient toujours demeurés indifférents, voire approuvaient. Tout
comme aujourd’hui, les « vrais » intellectuels au Cameroun seraient ceux qui se sont spécialisés dans l’injure du pouvoir en place, les autres n’étant que de vulgaires individus en quête de nourriture.
Finalement, le régime nazi a créé des chambres à gaz pour les juifs. Les Allemands continuaient à regarder, la majorité haussant les épaules, exactement comme sont chaudement applaudis actuellement les décès de soldats camerounais appartenant à la même aire géographique que Paul Biya qui se retrouvent au front au NO et au SO.
Le décès d’une jeune gendarme enceinte dans l’une de ces régions a été suivi d’interminables « hourras » de joie
! Au bout du compte, les nazis ont embrigadé tout le peuple, y compris les « indifférents », les « applaudisseurs », et il était beaucoup trop tard
pour alors faire quoi que ce soit. L’Allemagne a sombré dans la terrible
nuit du nazisme …
Aujourd’hui, des voyous s’en prennent à des chanteurs, pour des motifs
politiques, sous les applaudissements frénétiques de très nombreux
Camerounais, parce qu’ils auraient préféré qu’ils chantent pour leur
champion. Les mêmes voyous assiègent littéralement facebook, et tentent d’y faire régner un climat de terreur à l’endroit de quiconque ne partage pas leur opinion. Ils y déversent à longueur de journée leur haineuse bave. Les choses sont telles que, si jamais cette racaille parvenait un jour à prendre le pouvoir au Cameroun demain, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’elle se comportera exactement comme les nazis hier en Allemagne.
N’en montre-t-elle pas déjà, notamment avec cette fatwa qu’elle a lancée contre les artistes, d’inquiétants signes avant-coureurs ?
Enoh Meyomesse.