Le Gicam menace d’exclusion les entreprises corrompues. Jusqu’ou croire a sa bonne foi ?
« Nous envisageons de mettre en place des dispositifs devant exclure de nos rangs des entreprises qui seront convaincues de s’être livrées à des actes de corruption manifeste », ainsi s’exprime Célestin Tawamba président du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), dans le « Bulletin du patronat » n° 77 de décembre 2019.
Dans sa sortie, M. Tawamba relève que « des acteurs économiques se singularisent par des réflexes les poussant à chercher à corrompre, parfois, alors même qu’ils ont le droit avec eux». Or, précise-t-il, au plan économique, la corruption fausse le jeu de la concurrence entre enterprises ; elle détourne des fonds importants au détriment de l’investissement productif dans l’économie.
Au plan judiciaire, ajoute le président du Gicam, la corruption fausse la compétence, l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire et de l’administration. De ce fait, ce fléau nourrit la méfiance envers les institutions publiques et compromet l’État de droit. Au plan général, poursuit le patron des patrons camerounais, la corruption entrave l’instauration des changements nécessaires pour résoudre nos problèmes.
« Ce sont là autant de manquements qui nuisent à l’image de l’entreprise et fragilisent la marche annoncée vers l’émergence économique de notre pays. Ce sont des actes graves qui sont contraires à l’éthique », dénonce le responsable.
Célestin Tawamba signale que le Gicam dispose d’une Commission d’éthique et de gouvernance qui intervient sur les sujets d’éthique, de conformité, de gouvernance, de transparence et de lutte contre la corruption. Elle a, en décembre 2018, publié une Déclaration sur la gouvernance de l’entreprise. Elle publiera avant la fin de l’année 2020, un code de gouvernance de l’entreprise. Le Gicam regroupe de nos jours environ 200 membres, entreprises et syndicats professionnels confondus pour près de 80% de contributions aux recettes budgétaires du pays.
Avec cette sortie du patron des patrons qui est pourtant passée inaperçue et celle plus récente sur les effets pervers d’une fiscalité répressive qui a fait plus de bruits, l’organisation patronale une fois n’est pas coutume, met les pieds dans le plat de certains grands débats de société qui agitent notre landernau politique et social depuis des années. On a envie de dire bravo à Célestin Tawamba tout en espérant que les operateurs économiques dont il porte la voix, sont prêts a assumer jusqu’au bout cet acquis à la moralité des affaires pas courant dans le milieu.
On sait que dans un acte de corruption, il y a un couple inséparable formé du corrompu et du corrupteur. Sans l’un il n’y a pas l’autre. Or le système gouvernant ayant fait de la corruption un de ses principaux instruments de conquête et de maintien au pouvoir, a chaque fois qu’il s’attaque à l’infraction (lois, règlements, décisions de justice), fait comme si dans l’acte de corruption le rôle du corrupteur était négligeable. Si nous prenons par exemple le cas de la grande corruption qu’on retrouve dans les grandes transactions internationales et les marchés publics, on s’aperçoit que les maitres du jeu sont incontestablement les corrupteurs. Dans le secteur pétrolier par exemple, l’ancien directeur de l’entreprise française ELF, Loïk Le Floch-Prigent, affirme dans un livre d’entretiens « Affaire Elf, affaire d’État » publié aux éditions Le cherche midi en 2001, affirme (page . 56) que le montant des commissions « correspondait à 2,5 % de l’opération pétrolière. […] Je faisais néanmoins prendre en charge la moitié du coût des commissions en les faisant déduire de nos impôts dans les pays où nous étions implantés » Et il ajoute que, quant aux fameux abonnements au bénéfice des chefs d’État africains évoqués par Tarallo – de 1,40 à 4,20 francs par baril –, ce sont « des opérations qui existent depuis trente ans et qui sont dans les dossiers de l’État »
Si demain la justice nationale ou internationale veut se pencher sur cette grande corruption qui représente de milliers de milliards de francs CFA, peut-elle punir les anciens chefs d’Etat africains et leurs hauts fonctionnaires qui y sont impliqués en épargnant les multinationales (ELF hier et Total aujourd’hui) qui en sont les maitres d’œuvre ?
Pour revenir à l’administration, il est de notoriété publique que les plus grands actes de détournements de deniers publics se rencontrent dans les marchés publics ou les entreprises publiques. Et en la matière, pour récupérer leurs fonds versés dans les commissions et autres retro commissions, les entreprises contractantes surfacturent systématiquement leurs prestations. Si demain, contrairement à ce qui se passe jusqu’ici, les inspecteurs d’Etat qui épluchent les comptes des ministères et des entreprises publiques, se décident a sérieusement se pencher sur ces surfacturations qui délestent le budget de l’Etat plus que les détournement effectués directement par les fonctionnaires et autres gestionnaires véreux, combien d’entreprises membres du Gicam et leurs gérants échapperont au couperet de la justice ? Si demain l’Etat se décide à se pencher sur l’enrichissement illicite des inspecteurs des impôts, inspecteurs des douanes ou autres magistrats, surtout en fouillant dans des dossiers qu’ils ont eu à traiter, combien d’entreprises membres du Gicam échapperaient a la rigueur de la justice ?
L’Etat de droit pour lequel nous nous battons tous est un Etat dans lequel tous les citoyens sont égaux autant en droit qu’en devoir.
E. FOPOUSSI FOTSO