De sa prison MARAFA HAMIDOU YAYA participe aux dernières élections de 9 février au cameroun

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Yaoundé le 20 février 2020
POUR UNE RÉPUBLIQUE SINCÈRE

Mesdames et Messieurs les représentants de la Nation nouvellement élus,

Vous serez étonnés que je choisisse d’interrompre un silence de 2ans pour m’adresser à vous, et non à l’ensemble de nos compatriotes,comme je l’ai toujours fait jusqu’ici. Les élections législatives et municipales du 9 février 2020 dont vous tenez vos mandats ont été marquées par un taux de participation historiquement bas, sans doute de l’ordre de 30%.


Abstention ne veut pas dire apathie. Paradoxalement, la démarche de nombre des abstentionnistes a été active. Je pense notamment aux boycotts et aux tentatives de perturbation. Mais même la lassitude des
électeurs, relevée par la mission d’observation de l’Union Africaine, doit être comprise non comme un signe de passivité mais comme un élan de protestation. Comme un déni actif de la légitimité des élections.

Et donc de votre propre légitimité à représenter la Nation. Rien d’étonnant à ce déni. Dans mon dernier message aux Camerounaises et aux Camerounais, je faisais le vœux que 2018 soit une «année utile ». Que leurs choix lors des élections présidentielles, législatives et municipales permettent de sélectionner les candidats et les partis les plus capables de nous extraire enfin de l’immobilisme, de faire progresser le pays sur 4 priorités :

l’unité nationale, l’efficacité de l’action publique, la transformation de l’économie, la reconquête de notre leadership international.
Puis je me suis tu jusqu’à aujourd’hui. J’avais dit mon espoir, je devais attendre de voir s’il se réaliserait.
S’est-il réalisé ? L’abstention historique est la plus claire des réponses: non. Non, le vote de 2018 n’a pas été utile. Non, il n’y aucune raison de penser que celui de 2020 le sera. Et quand voter devient inutile, la nation oppose à ses représentants son dédain, son froid silence.
Ce silence veut dire : vous ne nous représentez plus, les élections ne permettent ni de renouveler nos dirigeants, ni de leur donner suffisamment de pouvoir pour infléchir la marche du pays.

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Alors, pourquoi m’adresser à vous, sur qui pèse ce silence ?Parce que, malgré tout, vous avez
un moyen de commencer à faire revivre cette confiance de la Nation dans sa représentation et ses institutions. Ce moyen est très simple. Il ne demande aucun effort d’organisation, aucune concertation, aucun financement. D’autres pays africains ont su le mettre en œuvre. Il est déjà entre vos mains. Vous
pouvez l’exercer demain. Quel est-il?

DIRE LA VÉRITÉ.

Dites-la sur les maux dont nous souffrons et sur les solutions qui s’imposent pour les résoudre. Dites-la sur les 4 priorités sur lesquelles j’insistais en 2018 et qui sont tout
aussi cruciales aujourd’hui. Dites la vérité sur le fait que l’unité est littéralement vitale pour le Cameroun mais que le pays est plus divisé que jamais. Division entre anglophones et francophones :
le Grand Dialogue National de septembre et d’octobre 2019 avait acté que les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest devaient bénéficier d’un statut administratif particulier.

Annonce suivie d’aucun effet, au point que l’Union Africaine vient de faire de la résolution de la crise anglophone une de ses 8 priorités de 2020 pour l’Afrique toute entière -crise dont le massacre de Ngarbuh souligne l’insupportable aggravation. Division qui se creuse entre communautés, comme lors des émeutes d’Obala et Sangmélima.

Dites que dans cette Afrique en miniature, la reconnaissance des particularismes, religieux, communautaires, tribaux, linguistiques est
une aspiration légitime. Que pour la réaliser il y a plusieurs voies nécessaires et inévitables, dont la dévolution des pouvoirs de l’Etat vers les 2régions anglophones suivant le modèle canadien ou britannique, l’établissement d’une règle d’équité entre les régions dans la dépense et l’investissement publics.

Dites la vérité sur le fait que c’est le principe d’irresponsabilité qui gouverne l’action publique. Depuis des années, le pays contracte des dettes abyssales pour des projets qui ne servent à rien, comme les 1 000milliards de FCFA dépensés dans le cadre de la CAN.

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En parallèle, des projets d’une importance absolue sont l’objet de promesses répétées mais jamais tenues, comme les forages d’eau potable dans l’Extrême-Nord promis depuis 2011, le démarrage des activités du port de Kribi annoncé pour 2014, la réalisation des barrages de Lom-Pangar, Memvele et Mekin.

La liaison ferroviaire de Camrail entre Douala et Yaoundé n’est toujours pas rétablie, des années après la catastrophe d’Eséka en octobre 2016. Rien n’est fait pour prévenir les catastrophes naturelles meurtrières qui se multiplient, comme avec l’éboulement de terrain à Bafoussam, avec la crise de l’eau
potable et l’épidémie de choléra dans
l’Extrême-Nord. La compagnie aérienne nationale, dont l’Etat est le seul actionnaire, est si mal gérée qu’à notre honte à tous elle doit suspendre ses liaisons internationales.

L’autoroute Douala-Yaoundé est promise depuis 10 ans mais la phase 1 n’est toujours pas achevée. Le Nord reste coupé du reste du pays, et dans le Nord même, pour aller de Ngaoundéré à Maroua, il faut 10heures de route. Avec pour seule réponse, une action gouvernementale qui hésite entre privatisations et nationalisations des ports, des services de l’électricité et de l’eau.

Dites que les erreurs sont acceptables mais que l’échec par incompétence obstinée, inertie, malhonnêteté doit être sanctionné.

Dites la vérité sur le fait que le taux de croissance de 3 ou 4% de notre PIB que vante notre gouvernement ne veut rien dire si, comme le souligne la Banque Africaine de
Développement, notre croissance n’est pas inclusive et échoue à créer de l’emploi et à développer notre capital humain. Que le taux de chômage chez les jeunes est de plus de 50%. Que 8 millions de nos compatriotes, près de 40% de la population, vivent sous le seuil de pauvreté.
Que nos forêts et nos ressources naturelles sont pillées de manière anarchique.


Qu’il est urgent de mettre en place un plan d’actions pour développer l’agriculture, l’industrie et les services. Que la lutte contre la sécheresse doit devenir une affaire d’Etat.
Dites la vérité sur le fait que le Cameroun, dont la stabilité et la prospérité sont cruciales pour
l’Afrique Centrale et le Continent,pèse de moins en moins sur la scène internationale.
Que quand le pays apprend par la presse le remplacement du FCFA par l’ECO dans 8 pays d’Afrique, il l’apprendra de la même manière pour ce qui le concerne demain si rien n’est
fait pour reconstruire un leadership
régional, continental, international.
Dites la vérité, partout, sur tout.

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Et puis ?
Et puis je pourrais vous inviter à aller plus loin. A accorder vos actes publics à vos convictions profondes. A vous battre pour faire adopter les bonnes mesures, les bonnes lois. A vous assurer par votre contrôle de l’action de l’Etat que ces mesures et ces lois soient suivies d’effet.

À œuvrer pour une politique de décentralisation effective, ancrée dans les réalités locales, assise sur la commune comme niveau d’exécution et de responsabilité. A combattre l’instrumentalisation de notre justice, qui prononce des condamnations politiques.

Mais je ne veux pas vous en demander plus que ce que peut un simple prisonnier depuis sa cellule.

Mais, alors que je vous demande de dire la vérité, ce serait mentir de prétendre que l’Etat vous laisse un pouvoir réel d’agir sur la destinée du pays.


Mais dire la vérité sera déjà un acte d’extrême courage, d’extrême intégrité et d’extrême valeur. L’acte qui va refonder le lien de confiance entre la Nation et sa représentation, entre la Nation et les institutions,
entre la Nation et le politique.

Mais dire la vérité sera déjà un
pas décisif vers l’émergence de la
république que nous appelons tous de
nos vœux :

LA RÉPUBLIQUE SINCÈRE.
Le “froid silence” de 7 Camerounais sur 10 lors de ces élections ne vous décharge pas de votre
responsabilité envers eux ; il l’alourdit immensément.

Source: MARAFA HAMIDOU YAYA

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