La Cour suprême kényane a annulé le scrutin du 8 août, qui avait vu l’emporter le président sortant Uhuru Kenyatta. Cette décision d’invalider une élection présidentielle, inédite dans l’histoire du continent, n’a pas manqué de faire réagir les opposants politiques de plusieurs pays africains. Pour la plupart d’entre eux, le Kenya est devenu un exemple à suivre.
« Il nous faut des institutions fortes et non des hommes forts ». Paraphrasant l’ancien président des Etats-Unis Barack Obama, la présidente de l’opposition au Congo-Brazzaville, Claudine Munari, se félicite de la décision de la Cour suprême kényane. « En tant qu’Africaine, je me réjouis de voir que la démocratie est en train de s’ancrer dans nos pays. Je me réjouis qu’il y ait des pays africains où les institutions sont solides et fortes. » Claudine Munari est convaincue que des institutions fortes sont une condition nécessaire de la démocratie africaine.
De l’autre côté du fleuve Congo, en RDC, la Cour constitutionnelle est très critiquée pour avoir permis à la commission électorale de reporter l’élection présidentielle et au président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat constitutionnel. Pour cette raison, le président de l’Association congolaise d’accès à la justice (ACAJ), Maître George Kapiamba, s’enthousiasme de la décision de la Cour suprême kényane. « Certains Africains, juristes principalement, prennent de plus en plus conscience de leur rôle dans la société, et surtout de la contribution qu’ils doivent apporter à la consolidation des sociétés démocratiques », explique l’avocat. Pour lui, la Cour constitutionnelle de République démocratique du Congo s’est montrée trop souvent proche du pouvoir : « Le cas que nous vivons aujourd’hui au Kenya doit interpeler tout le monde ! »
Un « exemple » et une source d’« inspiration »
Et si l’Afrique anglophone était en train de donner un exemple à l’Afrique francophone ? C’est ce que pense l’opposant gabonais Jean Ping. « Nous venons de voir ce qui se passe au Kenya, nous avons vu ce qui se passe en Gambie. Nous observons ce qui s’est passé au Nigéria », énumère le candidat malheureux à la présidentielle d’août 2016, qui parle pour ces pays d’une « évolution appréciable ». Et de poursuivre : « Dans la partie francophone, il y a des retards considérables. Il faut que les pays francophones aussi s’adaptent à l’air du temps. »
Jean Ping voit une raison à ce retard démocratique des pays d’Afrique francophone : « Nous avons tous des systèmes qui sont liés à notre histoire commune avec la France. » Prenant l’exemple du Gabon, où il avait tenté, avant d’être débouté, de déposer des recours à l’élection présidentielle de 2016, il affirme qu’« on ne peut pas nier non plus que ce qu’il s’est passé ces derniers temps, dans certains pays comme le nôtre, est une influence directe de la France qui a pratiquement nommé un président. »
Le président du Cnared, une plate-forme qui regroupe l’opposition en exil et une partie de l’opposition interne au Burundi, Charles Nditije, salue une décision historique et un exemple à suivre sur tout le continent africain. Il regrette en revanche que la Cour constitutionnelle burundaise n’ait pas eu, selon lui, le même courage en 2015, lorsque le président Nkurunziza a décidé de brigué un troisième mandat, jugé inconstitutionnel par l’opposition, la société civile et une partie de son camp. « Nous saluons le courage exceptionnel de ces magistrats. » Un courage qui, souligne-t-il, « tranche avec ce qui s’était passé au Burundi », où, affirme-t-il, certains membres de la Cour constitutionnelle avaient reçu des menaces ou de l’argent.
« Nous savons que généralement, les Cours constitutionnelles comme la Cour suprême, en Afrique, sont taillées sur mesure, et servent généralement le parti au pouvoir en mettant des hommes de paille. Aujourd’hui, c’est un cas d’école. Les juges kényans viennent de donner une leçon extraordinaire et un modèle à suivre d’indépendance de la magistrature », se réjouit-il.
Une pression pour « organiser des élections plus équitables »
Autre candidat malheureux à une élection présidentielle, le Guinéen Celou Dalein Diallo. En 2015, le président de l’UFDG avait revendiqué la victoire, mais renoncé à saisir la Cour constitutionnelle de son pays, qu’il estimait inféodée au pouvoir sortant. « Dans le contexte de la Guinée, dans le contexte d’alors, je ne crois pas que la Cour constitutionnelle aurait pu proclamer d’autres résultats que ceux qu’elle avait validés, affirme-t-il. Mais je pense que l’exemple kényan est à suivre, et j’ai de l’espoir désormais que les autres Cour constitutionnelles ne manqueront pas de s’en inspirer. »
Qualifiant la plupart des élections africaines de « mascarade », Celou Dalein Diallo veut croire que le cas kényan marquera un tournant dans les pratiques politiques et institutionnelles de l’Afrique. « Je souhaite vivement qu’après la Gambie et maintenant le Kenya, les institutions prennent leur indépendance par rapport aux gouvernants. » Ce serait selon lui le meilleur moyen de pousser les Etats à « organiser des élections plus crédibles et plus équitables ».
Pour Me Guy-Hervé Kam, porte-parole du Balai Citoyen, mouvement pro-démocratie du Burkina Faso, c’est également bien sûr « une très bonne nouvelle ».
Rfi