Azah Levis Gob Azah
Trois de nos enfants ne répondront pas à l’appel, comme tel a été déjà le cas depuis l’an passé. Pas parce qu’ils sont de mauvais élèves qui s’adonnent à l’école buissonnière, non ! Pas parce qu’ils sont retenus par leurs parents obéissant à un quelconque mot d’ordre de grève ou de villes mortes, mais parce qu’ils ont été condamnés à 10 ans de prison ferme par le tribunal militaire de Yaoundé. Oui ! LEVIS GOB AZAH, IVO FEH FOMUSOH ET NIVELE NFOR AFUH ne répondront pas à l’appel le 04 septembre 2017 quand des millions de leurs congénères et camarades retrouveront les salles de classe pour prendre rendez-vous avec leur avenir.
Pourtant, ils ne sont pas des assassins ! Ils ne sont pas des bandits de grand chemin, non ! Ils ne sont pas des voleurs de coffres-forts. En décembre 2014, LEVIS GOB AZAH reçoit un SMS en anglais libellé comme suit : « Boko Haram recrute des jeunes de 14 ans et plus. Conditions de recrutement : avoir validé un GCE A level en quatre (04) matières plus religion». Il transfère le SMS à son ami IVO FEH FOMUSOH qui à son tour le fait suivre à NIVELLE NFOR AFUH, élève de Première au Lycée Bilingue de Déido à Douala. Par malheur, le SMS est découvert par un enseignant qui avait confisqué son téléphone lors de son cours.
Il ne se pose pas de questions et alerte aussitôt la police qui remonte jusqu’aux deux autres jeunes gens. Les trois sont alors traduits devant le Tribunal militaire de Yaoundé, « jugés » et condamnés à 10 ans de prison ferme pour « non-dénonciation d’actes terroristes » ! On ne sait pas pourquoi on n’est pas remonté jusqu’à celui qui avait envoyé le SMS à LEVIS GOB AZAH. Leurs avocats ont fait appel, mais depuis, les choses piétinent et risquent de s’enliser si des hommes de bonne volonté ne viennent à leur secours pour prendre leur cas en main.
Rappelons que le rôle d’un enseignant est d’éduquer les enfants qui lui sont confiés et non de les livrer à la police quand se présente le premier vrai problème d’éducation. Ce faisant, il est comme ce médecin qui ne soigne que les bien-portants et lorsqu’il reçoit son premier malade, il court le mettre à la morgue. Se serait-il comporté de la même façon s’il s’était agi de son propre enfant ? Les enfants que nous enseignons ne devraient-ils pas être considérés et traités comme nos propres enfants ? J’espère qu’en voyant la suite des événements, cet enseignant d’un autre genre a sa conscience tranquille.
Sait-il d’une part que le secret de la correspondance est protégé par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Constitution du Cameroun et d’autre part qu’il n’avait pas le droit de farfouiller dans le téléphone de l’enfant pour entrer par effraction dans sa vie privée? Les juges du Tribunal Militaire savaient-ils qu’une information obtenue en violation d’une disposition constitutionnelle est irrecevable devant la justice ? Ont-ils vérifié les antécédents des enfants pour savoir s’ils s’étaient radicalisés ou s’ils avaient déjà posé des actes qui auraient pu les présenter comme des récidivistes ou des individus dangereux prêts à basculer ou à poser des actes criminels ? Qu’est-ce qui a donc fondé leur intime conviction pour qu’ils aient la main aussi lourde contre des enfants tellement candides qu’ils ont joué avec le feu sans savoir qu’ils couraient un quelconque danger ?
Les enfants ne sont pas des adultes de petite taille. Ce sont des enfants avec un univers propre. Pour les enfants de la partie sud du Cameroun, Boko Haram ne signifie pas la même chose que pour les enfants de la partie septentrionale qui font quotidiennement face aux exactions et atrocités de ce monstre et qui assistent aux exécutions des parents, des connaissances et des amis et des enfants de leur âge. Pour les enfants du sud, les coupeurs de route et Boko Haram sont des réalités trop abstraites et trop lointaines pour susciter en eux le même effroi et le même dégoût.
Ce sont des enfants qui hier ont fièrement arboré des T-shirts aux effigies de Mollah Omar ou de Ben Laden même aux cours d’EPS sans que personne ne prenne la peine de leur expliquer que ces deux personnages qui semblaient être pour eux des héros étaient en fait des hydres à plusieurs têtes, des terroristes. On ne leur a pas expliqué depuis ce temps-là que c’étaient des monstres dont il fallait se méfier comme de la peste ! En faisant suivre ce SMS entre eux, ces enfants jouaient sans aucune arrière-pensée criminelle le jeu qui sied le plus aux enfants de leur âge : l’espièglerie, la farce, les mauvais tours ! Ceci est d’autant vrai que les conditions de recrutement évoquées n’étaient pas à leur portée : aucun d’eux n’avait le GCE et bien plus, dans le système anglophone un GCE en quatre (04) matières plus religion revient pratiquement à décrocher la lune et peut être possible qu’à quelques surdoués ! Dans un pays où trouver de l’emploi pour des jeunes est une gageure, se passer le message de Boko Haram entre eux ne pouvait être que de l’espièglerie, de la farce, le jeu de mauvais tours entre enfants candides ! Les condamner à dix (10) ans d’emprisonnement ferme, c’est avoir la main trop lourde contre des bambins, c’est vraiment disproportionné. On aurait pu, comme nous l’avons vu ailleurs, les ficher « S » et les faire suivre discrètement.
Appliquées trop strictement les lois deviendraient inflexibles, les juges des robots dépourvus de conscience et le portrait de la justice ne serait plus qu’une caricature grotesque et répugnante. Une bonne justice doit être à la fois juste et équitable !Mais au fait, que signifie d’ailleurs pour des jeunes adolescents des lycées d’aujourd’hui et même d’hier une expression aussi barbare et cabalistique que « non-dénonciation » ? En ont-ils jamais entendu parler de leur courte vie ? Combien d’étudiants du supérieur en ont-ils déjà entendue parler ? Enseigne-t-on dans nos écoles que celui qui reçoit un tel message devrait alerter rapidement la police ?Rappelons que ce n’est d’ailleurs pas pour la première fois que des Camerounais ont été interpellés pour « non-dénonciation ». Il existait déjà un premier cas qui faisait jurisprudence : les journalistes qui avaient été interpellés pour le même motif ont été libérés parce que leur passé, leurs écrits, leurs actions, leurs faits et gestes, ne présentaient rien qui eût pu amener quiconque à voir en eux des terroristes et des ennemis de la patrie. Même si les poursuites contre eux ne sont pas arrêtées, ils comparaissent libres, je souhaite que tout s’arrange le plus tôt possible. Pourquoi donc y a-t-il eu deux poids et deux mesures ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu la même compréhension pour ces enfants qui ne sont pas suffisamment mûrs pour voter leurs dirigeants et qui ne le sont que pour être condamnés à 10 ans de prison ?
S’ils n’étaient pas libérés, j’ai peur que dans le contexte que nous vivons, on n’amène les Camerounais à croire que c’est parce que les trois premiers étaient des francophones et que ces enfants sont tous anglophones que la justice a procédé différemment pour le traitement et la sanction des mêmes faits. Et ce ne sera pas pour arranger les choses ! Ils doivent être libérés, et suffisamment à temps pour reprendre les classes. Aujourd’hui, on fait des mains et des pieds pour que tous les enfants reprennent les cours dans les provinces du Nord-ouest et du Sud-ouest.
Parce que c’est l’affaire du nombre, mais nous ne pouvons pas protéger la forêt sans commencer par les arbres !Ne les oublions pas. Ce sont nos enfants, quoi qu’ils aient fait. Ce problème interpelle au premier chef les syndicats d’enseignants, les parents et les associations des parents d’élèves, les religieux de toutes obédiences, les partis politiques, les associations de la société civile, des droits de l’homme et tous les gens de bonne volonté à prendre en main ce cas qui me brise le cœur. S’ils ne le faisaient pas, personne ne le ferait pour eux et l’histoire ne nous pardonnera jamais. Ils ne sont ni des leaders d’opinions, ni des vedettes.
Ce sont des enfants anonymes mis au monde par des anonymes. Ne les oublions pas, sauvons-les, sinon personne d’autre ne le fera et ils pourriront en prison ! Yaoundé, le 1er Septembre 2017
Jean Takougang, Pr de Langues et de Traduction Shadow Cabinet Ministre de l’Education et de la Formation Professionnelle