PRÉSIDENTIELLE DE 1992 : MA PART DE VÉRITÉ
Selon Akere Muna, Ni John Fru Ndi serait le vainqueur de l’élection présidentielle pluraliste de 1992 ; quel scoop !
Le weekend dernier, Sam Mbaka, fidèle parmi les fidèles de l’UDC d’ Adamou Ndam Njoya, déclarait que la presse avait faussée cette élection en prenant fait et cause pour un candidat: Ni John Fru Ndi.
Nous n’avons pas attendu Akere Muna pour affirmer que Paul Biya avait volé la présidentielle de 1992 : j’illustre mes propos avec la une ci jointe du premier quotidien privé camerounais fondé par moi-même ; la une du 12 octobre 1992.
1- POURQUOI LA PRESSE SOUTENAIT NI JOHN FRU NDI.
Les affirmations de Sam Mbaka sont justes. Mais il faut revenir au conteste : à l’exception de la Crtv et de « Cameroon Tribune », les Camerounais n’avaient pour seules sources d’information que des tracts (De cap liberté de Djeukam Tchameni ou du Manidem d’Ekane Anicet…) ; des journaux privés dont « Le Messager » de Pius Njawe était le « navire amiral ».
Face à la désinformation systématique des médias d’Etat incarnés par les Charles Ndongo, Alain Belibi…, la presse privée qui était essentiellement militante, a pris fait et cause pour les forces du changement.
Au départ, les intellectuels (qui n’ont rien à voir avec les caricatures actuelles) et la presse jettent leur dévolu sur Adamou Ndam Njoya, un homme réputé pour avoir redressé le système éducatif camerounais dans les années 78: l’entrée en campagne désastreuse de ce dernier, à l’image de nos « candidats intellectuels » actuels, poussera tous ceux qui voulaient le changement à s’interroger sur ses capacités de leadership.
Entretemps, le dernier Secrétaire Général de la présidence de la République d’Ahidjo, Samuel Eboua, fait sensation à chacune de ses sorties. Malgré la réputation d’anti-bamiléké qui lui colle à la peau, il devient très vite le candidat idéal.
Malheureusement, il est victime d’un « coup d’Etat » au sommet de l’Undp au profit de Bello Bouba Maïgari, ce parti devenant une espèce d’organisation régionale.
Comme je l’ai souvent dit et sans prétention, Le Messager de Pius Njawe (100 000 ex) ; mes journaux Challenge Hebdo (70 000 ex) et le quotidien (25 000 ex) sont, sans contexte, les leaders de la profession à l’époque.
Je me souviens avoir eu le moral cassé après ce départ de Samuel Eboua. Partout, notamment à travers des courriers, les lecteurs nous demandaient ce qu’il fallait faire.
Célestin Monga, grand inspirateur des médias à l’époque, a demandé à Njawe et à moi ce que nous comptions faire ; « pourquoi ne pas soutenir Ni John Fru Ndi ? C’est un type courageux » a-t-il suggéré. Et moi de lui répondre: « quoi ? Un anglophone ? ». Et lui de répliquer : « ce n’est pas un Camerounais » ?
Des années plus tard, je n’ai pas fini d’avoir honte pour ma stupide réaction. C’est ainsi que nous avons pris fait et cause pour Ni John Fru Ndi et pas d’autres candidats ; nous avions conscience du fait qu’on n’avait aucune chance de gagner, avec les règles existantes, s’il y avait une multitude de candidats.
2- COMMENT BIYA A FINALEMENT GAGNE
Très honnêtement, je pense que jamais plus la jeunesse camerounaise ne se mobilisera autant derrière un homme. Des intellectuels avec le couple Kom, Isaac Tcheyo, Celestin Monga…tous les membres fondateurs du G3 à la base de la création de l’université des montagnes ; les « no name » avec à leur tête Lapiro de Mbanga au sommet de sa popularité ; les réseaux « souterrains » de Djeukam Tchameni ; toute la presse privée au service d’un objectif : changer la gouvernance de ce pays au sommet duquel Paul Biya montrait clairement qu’il nous conduisait en enfer.
LA JOURNÉE FOLLE DU DIMANCHE 11 OCTOBRE 1992
De ma modeste place de Directeur de publication du journal « Le quotidien », voici comment j’ai vécu cette journée folle où une centaine de jeunes et de moins jeunes avaient pris d’assaut mes bureaux à Deido pour « fêter le départ de Paul Biya ». Celestin Monga, Nouni Poundé, James Dontsop, Abanda Mkpama, le Professeur Tcheho… et bien d’autres avaient conscience de vivre une nuit historique.
Il a été alors décidé que nous allions tout faire, avec l’expertise qu’il y avait sur place, pour publier les résultats provisoires des élections dès le lendemain. De l’inédit.
Une équipe d’informaticiens de la société IBM est venue installer ce qu’ils ont appelé « un tableur » nommé Lotus. De la vraie magie pour moi à l’époque.
Au fur et à mesure que les résultats définitifs nous parvenaient de nos correspondants en mission dans chaque capitale provinciale, des hommes politiques et associatifs sur le terrain, les informaticiens « nourrissaient » l’ordinateur en tenant compte des inscrits, du taux de participation…et d’autres paramètres.
Je me souviens d’avoir joint vers 2 heures du matin à son domicile, Samuel Eboua, pour savoir ce qui c’était passé à Nkongsamba, son fief ; c’est en riant encore que je me rappelle sa réponse avec sa voix caractéristique : « Che bon ! nous chavons gagné partout ; che fini pour Bihâ ».
Sans entrer dans tous les détails techniques, je vous prie de bien regarder la une du journal paru le lendemain de l’élection.
A partir de nos chiffres :
– Fru Ndi est en tête avec 38,02%. Résultat officiel : 35,9 %
– Bello Bouba suit avec 31,52 % Résultat officiel : 19,2 %
– Paul Biya 24,78% Résultat officiel : 39,9%
– Adamou Ndam Njoya 3.64% Résultat officiel : 3,6%
En regardant nos prévisions, dès le lendemain je précise, vous constaterez qu’ils sont quasiment conformes aux résultats publiés pour Fru Ndi (qui est dans la marge d’erreur) et Ndam Njoya.
Tout le problème vient du fait que les résultats de l’Extrême-Nord ont été tripatouillés et sont arrivés en dernière minute gonfler le score de Biya au détriment d’un Bello Bouba Maïgari consentant.
Pour éviter d’être trop long, voici ce que je sais de cette élection volée à Fru Ndi. Cela dit, l’ancien Bâtonnier Akere Muna devrait se poser plutôt la question de savoir pourquoi Fru Ndi a réussi là où il va échouer. Il comprendra alors qu’il n’y a aucun destin national pour un candidat s’il n’a pas derrière lui toutes les couches de la société.
Un nom ne peut remplacer l’empathie, le programme, les actions courageuses sur le terrain, l’adhésion de toutes les couches sociales à un discours : autant d’atouts dont disposait le chairman du Social Democratic Front en 1992.
Benjamin Zebaze