En mars 2011, le cardinal, aujourd’hui à la retraite, publiait un livre programme. Dans cet ouvrage intitulé «Ma foi : un Cameroun à remettre à neuf », l’ancien archevêque de Douala livre sa compréhension du problème anglophone. Un jour je me suis retrouvez seul avec Monsieur Peter Manfany Musonge, alors Premier ministre.
Pendant la causerie, je lui ai demandé s’il croyait qu’un Camerounais anglophone pouvait un jour devenir le président du Cameroun. Un silence de mort a suivi. Ce que la France qui a encore la mainmise sur notre pays veut, c’est l’assimilation de l’anglophone et non l’intégration de nos deux cultures héritées de la colonisation. Je n’oublierai jamais ce jour dont j’ignore à regret la date. Nous étions invités, d’autres évêques d’Afrique francophone et moi, à l’Ambassade de France auprès du Saint-Siège. Nous étions à Rome pour un des Synodes ordinaires des évêques. Un fonctionnaire de l’Ambassade de France m’approcha et voulu savoir de quelle nationalité j’étais.
Ma réponse fût claire: je suis Camerounais de souche. Sans le moindre soupçon de sa part que je pouvais être un camerounais anglophone, il me dit: Nous (la France bien sûr) sommes contents que vous soyez en train de réussir l’assimilation culturelle des anglophones. Le diplomate essaya en vain de cacher son embarras quand je lui fis savoir que j’étais du Cameroun anglophone. A partir de cette rencontre fortuite, j’ai su quelle était et quelle est encore la politique culturelle française au Cameroun: faire disparaitre du Cameroun la culture anglo-saxonne de la minorité anglophone.
On comprend pourquoi depuis la Réunification, plusieurs pratiques et institutions sont venues du Cameroun francophone au Cameroun anglophone où,comme le faisait remarquer Bernard Fonlon: «on conduit sa voiture maintenant à droite, le franc a remplacé la livre comme monnaie courante, l’année scolaire a été aligné sur celle du Cameroun francophone et le système métrique scientifique a remplacé les mesures britanniques. Mais en vain ai-je recherché une seule institution ramenée du Cameroun anglophone vers le Cameroun francophone. L’influence du Cameroun anglophone est pratiquement
nulle15 sur l’ensemble du territoire national.
Sauf ce qui vient de se faire 46 ans après la réunification des deux Cameroun: l’harmonisation du Code de Procédure pénale est venue mettre un terme à la dichotomie entre le système de la Common Law applicable dans la partie anglophone et celui en vigueur dans la partie francophone du pays, une pratique longtemps décriée par toute la communauté judiciaire du Cameroun16 .
La politique française d’assimilation du Cameroun anglophone pour faire disparaitre la culture anglo-saxonne, grâce aux «vastes intérêts français, et grâce à la présence physique » des Français au Cameroun, « est
très forte et s’accroît encore 17 ».On a l’impression que l’autorité politique du pays, encore sous une grande domination de la France, fait tout pour rendre inefficace l’unité culturelle et même géographique qui existe entre les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. La route qui relie les deux régions est la plus négligée de la Ré- publique ; peut-être veut-on empêcher le brassage des populations de ces deux provinces. Il faut construire la route Buea-Kumba-Mamfé-Bamenda.
Afin de me faire comprendre, je donne un exemple simple : pour aller de Buea à Bamenda, on est obligé de traverser toutes les régions du Littoral et de l’Ouest pour des raisons évidentes (…).
3-2- La minorité anglo-saxonne au Cameroun doit être protégée
L’accord de Foumban de 1961 n’a jamais prévu une assimilation, une dilution, une disparition pure et simple de la personnalité de la partie Anglophone du pays. Il est clair qu’Ahmadou Ahidjo, jouant sur la force et usant des pouvoirs absolus et exceptionnels de l’époque, a fait disparaître ses partenaires de Foumban, en leur imposant une évolution contraire à leurs aspirations.
Un analyste politique décrivant cette situation avec perspicacité a écrit: «Ce que nous disons n’est pas une révélation
originale, et ne devrait donc susciter ni passions ni consternations. Nous le savons tous, et l’avons supporté, dans le context d’un pays dirigé d’une main de fer. En 1972, les citoyens n’avaient pas la liberté de parole, le droit de vote, la liberté d’être citoyens au sens effectif du terme. On ne peut donc pas donner à la date du 20 mai une autre signification que malheureuse. Tôt ou tard, il faudra bien réparer le tort fait aux Anglophones comme préalable à toute tranquillité politique et à toute cohérence institutionnelle. Ces compatriotes
anglophones, qu’ils soient en haut ou en bas dans la hiérarchie politique et sociale, expriment, en privé, des sentiments profonds de dégoût, de dépit et de répulsion.
Tous estiment être comprimés, marginalisés, et trompés au change. Nous n’avons pas le droit de coller à un peuple les résultats d’un référendum organisé par une dictature sanguinaire20 ». Les ennuis quotidiens du Premier minister (anglophone) sur certains dossiers, le manque de respect répété, chronique et ouvert dont il est l’objet de la part de certains membres du gouvernement aggravent une situation déjà fort embarrassante. Il en est par exemple ainsi du dossier du point d’achèvement, notamment en ce qui concerne les retombées. On peut citer bien d’autres, à l’instar de celui du barrage en cours de montage. Le Premier Ministre est absent de tout le processus et de toutes les discussions, écarté au profit d’un Ministre des Finances omnipotent et omniscient. Achidi Achu, tout comme son successeur Musonge, en savent long sur ce que vaut effectivement un Premier Ministre anglophone.
«Dans ces conditions, le bilinguisme tant vanté est un leurre au sens complet. La quasi-totalité des documents officiels sont libellés uniquement d’information dans les services publics21».
Pour protéger la minorité Anglophone au Cameroun, nous devons avoir ce que j’appellerais le courage politique, lequel nous aiderait à «admettre soigneusement leurs éléments constitutifs dans le but de les synthétiser en un système nouveau, riche, harmonisé et dynamique22».
Il faut donc que nous évitions toute elimination ou toute assimilation du faible par le plus fort. Il faut opter courageusement pour une integration scientifique. Notre but serait de créer une culture nouvelle à partir des meilleurs éléments de toutes celles don’t nous avons hérité de la francophonie et de l’anglophonie. Comment y parvenir ?
«Trois opérations seront nécessaires: d’abord, un examen perspicace, objectif et scientifique, des principes constitutifs des cultures en question ; ensuite un choix logique, décisif énergique des modalités de ce choix23 ».
Pour créer une culture nouvelle au Cameroun, le problème qui se poserait est celui de savoir quel doit être le critère de choix des meilleurs éléments de toutes les cultures dont nous avons héritées.
Le Docteur Bernard Fonlon, dont je me suis inspiré jusqu’à présent, enseignant très admiré par la jeunesse universitaire de son temps, nous donne une réponse à cette question: «D’abord, on choisit en général les éléments authentiques, bons et beaux en eux-mêmes ; parmi ces derniers, on préfèrera celui qui satisfait aux besoins spécifiques par nous-mêmes éprouvés et qui comble certaine(s) lacune (s) de notre vie culturelle24 ».
En homme bien averti, l’enseignant souligne que la nouvelle culture à créer pour les deux Cameroun, s’ils veulent continuer à exister comme une nation, doit être camerounaise: «Le premier principe que nous ne devons jamais perdre de vue sur cette culture à créer à partir d’éléments si différents quant à leur origine, doit être camerounaise en son essence; le sol d’où elle jaillit, d’où elle tire sa nourriture doit être camerounais ; le Camerounais doit être le tronc sur lequel seront greffés les emprunts franco-britanniques, si bien que la sève qui parcourt son organisme des racines aux fleurs et qui donne la vie à l’unité de l’ensemble soit camerounaise25 ».
Pour que ce projet devienne une réalité, «deux choses sont absolument nécessaires : d’abord, les valeurs (camerounaises) devraient être étudiées à nouveau, purifiées, réhabilitées et chargées d’un nouveau dynamism ; deuxièmement, il est d’une importance primordiale que ce renouveau camerounais, autant que possible, que l’examen et le choix des éléments étrangers à y greffer soient faits par des Camerounais26 ».
Pratiquement, qu’est-ce qu’on doit faire ? Je me permets encore de citer longuement
Bernard Fonlon pour la pertinence de ses arguments: «En règle générale, partout où on crée, adopte et adapte une institution culturelle d’importance nationale, aucune intervention étrangère ne devrait s’ingérer avant que les cerveaux camerounais n’aient eux-mêmes épuisé le problème». «Du stade de la conception à celui de la réalisation, une politique normale suit les étapes suivantes : d’abord, quelqu’un conçoit, ensuite on examine, délibère et élabore, puis on adopte et finalement on applique».
«Au stade de conception, de deliberation et de choix, les Camerounais ne doivent jamais chercher du secours avant qu’ils ne soient certains, d’une façon indubitable, que le problème est au-dessus de leurs capacités.
Bien sûr, le manque de cadres qualifies et d’honnêteté intellectuelle rend absolument nécessaire l’obligation de s’appuyer sur le technocrate étranger». «Pourtant à moins qu’il ne puisse en être autrement, il ne faudrait inviter l’étranger qu’au stade de l’application et de l’exécution, et même là, son travail devrait être l’objet d’une soigneuse surveillance».«En règle générale, à n’importe quel stade, avant d’employer l’aide d’un étranger, il faudrait être certain que ce dernier est vraiment spécialiste dans le domaine en question.
Bien plus, et ceci est d’une importance capitale, il faudrait être certain que c’est bien un homme qui ne viole ni sa parole ni ses engagements, un homme dont la sincérité est indiscutable 27 ».
Dans ce dialogue culturel entre le francophone et l’anglophone au Cameroun, «le principe de l’égale participation» doit être scrupuleusement respecté. L’inégalité «en superficie, population et puissance» entre les deux parties du pays est manifeste. «C’est pourquoi la faiblesse de l’influence anglo-saxonne dans cette ré- publique, conséquence de cette infériorité multiforme, en est le résultat parfaitement naturel. Il serait donc naïf pour un Anglophone de s’en plaindre. Pourtant, un homme digne de ce nom ne perd pas ses droits à cause de la petitesse de sa taille. 28 »
Autrement dit, je crois que nos deux cultures officielles «doivent être places pied d’égalité». Et il est à noter que «sans adjectif qualificatif», notre constitution stipule «que l’anglais et le français sont
[nos] langues officielles29». C’est pourquoi je suis d’accord avec le Docteur Fonlon qu’à chacune de ces deux cultures, on devrait donner une chance égale de participation effective au développement culturel de ce pays. Aucune culture au monde n’est supérieure à une autre, de même qu’aucun être humain n’est supérieur à un autre.
Le Cameroun nouveau dont je rêve, c’est un Cameroun qui doit se convertir, se perfectionner, se transformer en profondeur. Un pays prêt à acquérir de nouvelles façons de vivre et d’agir. Bref, un pays qui doit être le contraire de ce qu’il était hier. Se convertir, c’est éliminer de sa manière de faire tout ce qui est négatif.
Pages 32-39
15-Bernard Fonlon, op. cit., p.37
16- Cette opinion est largement partagée
par les Camerounais.
17-Bernard Fonlon, op. cit., p.37
20- ShandaTomne, «Unité de quoi, par
comment, et sur quelle base ? Il est temps
de crever l’abcès», Le Messager n°2133
du 24-05-2006, p.2.
21-Bernard Fonlon, op. cit., p.37.
22-Ibid., p.41
23-Ibid.
24-Ibid.
25- Ibid.
26- Ibid.
27-Bernard Fonlon, op. cit., p.42.
28- Ibid.
29- Bernard Fonlon, op. cit.,p.43.
Source:Hebdomadaire N°300 du Lundi 06 Novembre 2017 / www.journalintegration.com