La directrice générale du Fond monétaire international, Christine Lagarde, était en visite officielle au Bénin où elle s’est félicitée de l’action du président Patrice Talon. Elle répond aux questions de Jean-Jacques Louarn.
RFI : Le Bénin, dites-vous, est un partenaire qui tient ses promesses. Nous pouvons citer la bonne gouvernance, des finances assainies, avec cependant un bémol, le filet social – la santé, l’éducation -, qui doit être fortement consolidé. C’est bien cela ?
Christine Lagarde : Tout à fait. Le seul point sur lequel on a des réserves, c’est effectivement le filet de soutien social et les dépenses consacrées à la santé et à l’éducation. On a reçu des assurances des autorités béninoises qu’il serait remédier rapidement à cette défaillance et que les bons investissements seraient réalisés dans ce secteur.
Globalement, avec 6% de croissance en prévision, l’Afrique de l’Ouest est pleine d’espoir. C’est ce que vous diriez. La Côte d’Ivoire a-t-elle retrouvé son rôle de locomotive ?
C’est vrai que si l’on regarde les huit pays de la zone, la Côte d’Ivoire est une locomotive actuellement et sa croissance économique a été forte. Et nous pensons que cela continuera à bien fonctionner si les réformes se poursuivent. On a vraiment une résilience de la demande intérieure. On a une amélioration des rendements agricoles, une hausse de la production d’électricité. Donc tout cela, ce sont des facteurs qui vont continuer à soutenir la croissance de la Côte d’Ivoire. C’est certain.
Par contre, la stabilité politique et la renaissance économique ne sont pas au rendez-vous en Afrique centrale. Le mauvais élève, pourrait-on dire, même le très mauvais élève, qui a même tenté de cacher ses finances catastrophiques au FMI, c’est le Congo-Brazzaville. Une dette sur le papier d’au moins 8 milliards d’euros, des rentes pétrolières gagées, des arriérés de salaire, des grèves dans tous les secteurs. C’est un triste constat ?
Il est clair que pour ce qui est de la République du Congo, s’il y a des déséquilibres macros qui sont très importants, c’est un pays avec lequel nous avons maintenant engagé des discussions sur la base de ce qui est toujours l’exigence du FMI, c’est-à-dire livre ouvert, chiffres clairs et parfaite détermination de l’ensemble de la dette publique parce qu’on ne peut pas entrer en relation avec un pays si on n’a pas une idée claire de la dette du pays. En l’espèce, il a fallu effectivement faire le point précis sur les engagements bilan et hors bilan, si j’ose dire.
Donc de la transparence ?
Absolument. Moi, j’y suis particulièrement attachée parce qu’on prête l’argent de la communauté internationale, on joue un rôle de catalyseur parce que les investisseurs autres, y compris institutionnels de type Banque mondiale ou Banque africaine de développement, se fient à notre appréciation. Donc, on est redevable de cette transparence et on l’exige de nos partenaires.
Le FMI en 2018 fera donc bien une mission à Brazzaville ?
On sera engagé avec la République du Congo, sans aucun doute, et je me félicite de l’engagement des autorités à faire un audit sur toutes les questions de gouvernance et de corruption avec l’aide du Fonds. C’est une exigence dans le cadre de nos relations. On s’est trouvé dans des situations, je pense au Mozambique par exemple, où dans le cadre d’un programme qui avait été conclu, on a découvert une dette qui n’avait pas été révélée, des contrats qui n’avaient pas été pris en compte dans la comptabilité publique, on a suspendu le programme. Et on pratiquera exactement dans les mêmes conditions pour tout pays. C’était Warren Buffett [homme d’affaires et investisseur américain], qui disait : quand la mer est haute, on ne voit rien de particulier. Quand elle est basse, on s’aperçoit de ceux qui ont un maillot et ceux qui n’en ont pas. Les situations de crise financière ou de difficulté économique révèlent toujours les fragilités et les vulnérabilités des systèmes de gouvernance. On se trouve vis-à-vis de certains pays dans cette situation-là. C’est le moment aussi, surtout quand la détermination des politiques, c’est d’inviter le FMI à bord pour pouvoir assainir la situation, c’est le moment de prendre non seulement des bonnes résolutions, mais de les mettre en œuvre. On approche de la fin de l’année et j’espère que c’est ça ne sera pas un vœu pieux.
Et c’est le temps des promesses ?
Oui, il faut que les promesses soient tenues, c’est vrai.
Alors le francs CFA, faut-il, faudra-t-il y toucher tôt ou tard, créer deux zones de convertibilité différentes ?
Ça, ce n’est pas au FMI de statuer.
Vous avez un avis ?
Le seul avis qui est le nôtre correspond à la mission qui est celle du FMI. La seule condition qui, pour nous, est impérative, c’est celle de la stabilité financière. Si les pays concernés, appartenant à chacune des zones monétaires, souhaitent mettre en place un autre système, nous, notre recommandation très forte, c’est que quoi qu’il arrive, il faut qu’impérativement que cela soit très organisé, très planifié, structuré de telle sorte que la stabilité financière des pays ne soit pas mise en cause.
La Banque mondiale a annoncé mardi qu’elle arrêtera de financer après 2019 l’exploration et l’exploitation de pétrole et de gaz. C’était à l’occasion du sommet du climat de Paris, « One Planet Summit » qui s’est tenu mardi 12 décembre à Paris. Est-ce possible ?
Si la Banque mondiale prend ce genre d’engagement, je suppose qu’ils en ont mesuré les suites des conséquences. Je suppose aussi que cet engagement vaut pour le charbon parce qu’on est là dans un domaine qui est beaucoup plus redoutable pour le changement climatique.
Emmanuel Macron et l’Afrique. Le renouvellement du partenariat UE-Afrique, les jeunes, la sécurité, l’écologie. Des thèmes classiques, mais diriez-vous que le président français fait preuve de volontarisme face aux urgences, qu’il est en quelque sorte dos au mur notamment sur le plan sécuritaire, sur le plan écologique ?
Je crois qu’il a, en un temps très bref de l’exercice de sa présidence, démontré son engagement et sa détermination et son ambition à marquer le cours des évènements et de l’histoire en matière à la fois sécuritaire, environnementale, rôle géopolitique de la France et c’est une bonne chose.
Source: Par Jean-Jacques Louarn- RFI
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