Jean François Denwo CHANNON: “Patrice Nganang apprend aux autres citoyens comment il faut déconstruire les autoritarismes ambiants”

Gardé à vue depuis 6 jours à la direction de la police judiciaire à Yaoundé, contrairement aux dispositions du code de procédure pénal, l’écrivain Patrice Nganang est au centre d’une information judiciaire une proportion redoutable et qui l’a conduit à la pression centrale de Kondengui. D’abord accusé « d’outrage au président de la république et de menace de mort », l’écrivain est désormais poursuivi pour « faux et usage de faux et immigration clandestine ». En réalité, de pouvoir cherche à embastiller une forte tête et une grosse gueule qui chaque jour, non seulement dans ses ouvrages mais aussi sur les réseaux sociaux n’a cessé d’étaler ses tares et ses autoritarismes.

1)- De aéroport de Douala à Kondengui
Le mardi 12 décembre 2017, ce qui est convenu d’être appelé « l’affaire Nganang » a viré au pathétique. En milieu d’après-midi, un officier de police judiciaire qui garde l’écrivain sous les liens de la détention est venu l’extraire de son cachot pour une audition. La dite audition qui s’était déroulé en présence de son avocat avait duré à peine un quart d’heure. En réalité, les enquêteurs qui avaient l’édition du Messager de la veille entre les mains, édition dans laquelle était publié un texte de Patrice Nganang, voulaient savoir comment il a pu envoyer son sujet à votre journal, alors qu’il était en garde à vue strict. Les policiers de la direction de la police judiciaire, très souvent spécialisés dans des opérations de menaces des hommes des médias voulaient que l’auteur de l’ouvrage « La saison des prunes » puisse indiquer un nom d’un journaliste venu prendre la copie du texte de Patrice Nganang. Evidemment, l’avocat de l’écrivain a plaidé la protection des sources, et très vite les enquêteurs ont arrêté l’audition. Patrice en était ainsi à sa deuxième audition depuis son arrivée à la direction de la police judiciaire à Yaoundé.

On se souvient que lors de la première audition, ses contradicteurs lui avaient signifié qu’il était poursuivi pour « Outrage au Chef de l’Etat, et menace de mort au président de la République ». Auparavant, Patrice Nganang a été le 6 décembre 2017 à l’aéroport international de Douala. L’écrivain, poète, et romancier était en partance pour Harare au Zimbabwe où il devait retrouver son épouse. Embarqué nuitamment pour Yaoundé, c’est à la direction de la police judiciaire qu’on a retrouvé ses traces. Il y aura passé presque une semaine avant d’être présenté au procureur de la République auprès du tribunal de grande instance du Mfoundi le 13 décembre 2017. Après plusieurs heures d’attentes et alors que le procureur de la République était introuvable on apprendra en début de soirée des sources proches de sa défense, que Patrice Nganang devait retourner au commissariat central N°1 où il devait y passer la nuit, avant d’être présenté au procureur de la République auprès du tribunal de première instance de Yaoundé Centre administratif.

Et que les faits à lui reproché étaient requalifiés. En réalité il s’agissait d’un poker menteur. Puisque l’écrivain a été écroué en pleine nuit à la prison centrale de Kondengui, sans que son avocat ne soit mis au courant. Et ce n’est que le lendemain, jeudi 14 décembre 2017, qu’on retrouvera sa trace, pendant qu’il était ramené vers le procureur de la République. Ramené à la prison centrale de Kondengui, son procès c’est ouvert le vendredi 15 décembre dernier au palais de justice de Yaoundé Centre administratif. La première audience a duré juste 15 minutes. Et l’affaire a été renvoyée pour le 19 janvier 2018, pour comparution des témoins de l’accusation. Voilà pour les derniers développements.

Ce qu’il y a lieu de dire est que l’accusation ainsi montée se referait à un ensemble de publications de l’écrivain sur les réseaux sociaux. Notamment ou il affirmerait entres autres sa volonté ou alors la possibilité à pouvoir tirer à bout portant sur le chef de l’Etat, si jamais il se retrouverait face à lui avec un fusil. Et pour ce qui est d’outrage, les accusateurs auraient évoqué des propos qualifiés d’injurieux qui auraient été publiés sur mur Facebook de l’écrivain. Très vite, selon des sources proches de l’enquête, Patrice Nganang aurait calmement répondu aux questions des policiers et en évoquant notamment la construction d’un scénario imaginaire, qu’il aurait bâti avec sa sensibilité d’écrivain et de dissident politique au régime de Yaoundé. Même réponse en tout cas pour ce qui a été qualifié d’outrage et injures au président de la République et à son épouse. Ce qu’on sait est par la suite est que, les faits de outrages et de menace de mort aurait été retirés de l’accusation, et désormais, Patrice Nganang serait poursuivi pour « faux et usage de faux, immigration clandestine », du fait qu’il aurait trouvés en possession deux passeports étrangers sur lui, et qu’il n’aurait pas pu justifier de sa présence sur le territoire camerounais.

Jean François Denwo Channon

Des passions redoutables
De toute évidence l’affaire Nganang soulève des passions redoutables. Au point où pour peu qu’on fait retour à la simple lucidité intellectuelle on est en droit de s’inquiéter pour le devenir de notre jeune démocratie. C’est vrai moulé sous le joug du régime néocolonial qui nous gouverne depuis 1960, avec toute la violence d’Etat qu’il fédère et distille, les citoyens du Cameroun ont peu d’espace de liberté. Lorsqu’on parle d’espace de liberté, on pense à l’espace public où intellectuels et autres peuvent s’affirmer, se contredire et même s’affronter sur le plan des idées. Mais il n’y a pas que le monde intellectuel pour débattre, dénoncer et s’esclaffer face aux tenants du pouvoir. Il y a aussi les bouffons, ces fous du village qui doivent le droit de dire pire qu’on ne puisse l’imaginer. C’est arriver dans les sociétés qui nous inspirent. Dans les nôtres, plus traditionnelles, cultuelles et culturelles cela existe que l’on dise des choses parfois abominables sur ceux tiennent le pouvoir, dans l’espace public, et dans un cadre bien encadré ou pas. Qui ignore que chez les bamouns, peuple du Cameroun vivant dans la région de l’Ouest, le roi à l’occasion de la fête traditionnelle du royaume, le fameux Ngouon, peut se faire insulter, maltraiter ou même outrager, dès lors que dans la communauté, un élément estime que sa gouvernance est tatillonne ou répressive ?

Qui ne sait pas que chez les vuté, peuple dont le vaste territoire est situé au Centre du Cameroun, un chef lors de son intronisation peut être insulté par ses frères et même certains membres de la communauté qui le mettent en garde contre le pouvoir absolu ? Plus loin, chez les Luba du Kasaï en République démocratique du Congo, on retrouve aussi de telles pratiques où le roi est mis en difficulté dans son pouvoir généralement de manière humoristique, mais très souvent aussi de manière réel parce que dans nos sociétés africaines traditionnels, on est roi pour être au service de son peuple, et non de soit même. Et dans les sociétés occidentales, l’humour politique est satirique, à la limite de l’injure. Et un homme comme Patrice Nganang dont l’intelligence est tel qu’il aime le débat et ne supporte pas le mensonge quand on parle de l’avenir du Cameroun l’a très bien compris. Et ce qui arrive aujourd’hui est véritablement une épreuve pour les puissants du Cameroun qui ont confisqué le Cameroun et en ont fait leur propriété.

3)- Certainement voltairien dans l’âme
Il est certain que Patrice Nganang est aujourd’hui la personne la plus détestée au sein du landerneau politique camerounais. Notamment pour ceux qui vouent à Paul Biya et à son épouse Chantal un culte quasi divin. Ces gens, très souvent des profiteurs du régime sont capables déchirer Patrice Nganang et manger cru sa chair si jamais on la leur donnait. Mais le dire, ne signifie nullement que ces inconditionnels du régime Biya sont capables de ces actes odieux. C’est justement dans cette situation que se situe l’affaire Patrice Nganang. L’écrivain comme de nombreux camerounais est un dissident du régime Biya. Il fait partie des jeunes étudiants camerounais leaders estudiantins poussés à l’exil au début des années 90.

Devenu un intellectuel, il nous souvient qu’il s’est toujours posé la question de savoir que ne préoccupe pas grand monde au Cameroun à savoir « pourquoi rien ne bouge au Cameroun ? » Ou alors « comment un pays peut-il garder plus de 30 ans un homme au pouvoir alors que l’émancipation collective n’avance point ». Du coup il a choisi son champ d’action : l’écrire. Et là il faut dire que Patrice Nganang que ses ennemis d’aujourd’hui le veuillent ou non, fait partie des plumes les talentueuses de l’espace francophone. Du moins que l’on soit d’accord avec lui ou pas. Voltairien dans l’âme, il adore la provocation à la limite d’harcèlement intellectuel.

C’est homme qui aime bien faire reculer les méchants et installer les justes. Attaquer les puissants et protéger de ses mains faibles les opprimés. Les rues de Yaoundé sont jonchés de poubelles jusqu’à l’entrée des domiciles privés ? Patrice Nganang enseignant en occident qui passe au Cameroun rappelle au Camerounais d’en bas que ce n’est pas acceptable. Il faut se retrousser les manches, dégager les poubelles qui polluent les rivières urbaines. Les ponts qui relient des quartiers se sont effondrés, ou encore des écoles urbaines de son Yaoundé d’enfance s’écroulent. Patrice Nganang organise l’action en mettant autour de la jeunesse pour ensemble construire des ponts et des salles de classe. Avant de dire à ceux qui gouvernent en détournant l’argent public qu’ils sont « des pourris, des voleurs, et des tueurs ».

Il faut bien qu’un tel personnage existe dans une société camerounaise où beaucoup de citoyens ont démissionnés de leurs responsabilités de citoyens avec le sacro-saint principe de « on va faire comment ? » Patrice Nganang est donc ce révolté qui apprend aux autres citoyens comment il faut déconstruire les autoritarismes ambiants. Au Cameroun, les citoyens sont des sujets et parfois des objets pour les administrateurs civils qui gèrent notre société pour garantir la sauvegarde de l’ordre établi, et défendre de manière musclé le pouvoir de l’homme qui est là depuis 35 ans.

De manière générale les politiques du sérail dominant se mettent d’accord pour liguer contre toute alternance pour Biya reste à Etoudi pendant 100 ans encore. Pourvu que leurs intérêts soient préservés. Patrice Nganang fait partie des gens qui pensent autrement. Mieux qui décidé d’utiliser les moyens intellectuels, et parfois bouffons comme c’est le cas en ce moment sur les réseaux sociaux pour s’élever contre non seulement la gouvernance biyaïste, mais aussi contre cette éternisation au pouvoir de « L’Homme du 6 novembre 1982 ». Il insulte Biya ? Il a insulté Chantal ? Remettons les choses en leur contexte.

Peut-être a-t-il dis à haute voix, comme ce fou du village, (un peu comme le font nos amis de Charlie Hebdo en France, ou encore beaucoup de caricaturistes à travers le monde) ce que beaucoup se disent dans le secret des cœurs à chaque fois que l’image de Biya et son épouse apparaissent à la télévision ? S’il n’y a personne pour déconstruire l’hyperpuissance des hommes de pouvoir dans une République, il faut peut-être faire attention, car cette République est certainement entrain de devenir despotique. Il n’est ’videment pas question de contrefaire quoi que ce soit. Dans l’une ou l’autre position dans laquelle on se trouve.

 

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