A l’heure où je m’apprête à faire une interview sur l’afrofuturisme ici à Amsterdam où je suis invité à un événement qu’on a appelé OTHER FUTURES, Les Autres Futurs ou Les Futurs des Autres, des non-occidentaux ou des non-blancs, je ne peux m’empêcher de penser au Cameroun et à son futur. Je ne peux m’empêcher de penser aux futurs qui nous hantent nous africain, comme je l’ai fait dans mon film Les Saignantes désormais premier film de science-fiction africain… un futur qu’aucun humain ne peut ignorer, celui qui nous attends tous, la mort. La mort comme futur je pensais était une perspective pessimiste, un futur que certaines ONG catastrophistes pensais-je promettaient à l’Afrique. Ne disait-on pas qu’en 2020 le continent serait décimé par le VIH SIDA? Ou quelque chose de ce genre? Mais quand je pense à ce qui se passe actuellement au Cameroun, et au cinema de science-fiction dont le but est de proposer un avenir malgré et contre tous… Le moment n’est-il pas venu de commencer cette guerre de la vie contre la mort? Si comme le dit Henri Laborit vivre c’est mettre en branle pour se défendre contre tout ce qui essaye de nous faire mourir, sommes-nous encore en vie?
La science-fiction nous fait penser au futur, si on prends un peu de recul et on se demande il y a 100 ans , il y a 50 ans, il y a même 20 ans comment nos pères voyaient-ils notre futur? Avec ce qu’ils ont vécu, l’esclavage et le colonialisme… partis comme étant des animaux il y a pas si longtemps encore, leur rêve, leurs utopies étaient qu’un jour ils puissent avoir le statut d’être humain à part entière. Aujourd’hui quand on voit ce qui se passe dans le monde, nous ne pouvons pas dire que leur rêve est réalisé. Le rêve de tous les leaders noirs de Mandela à Malcom X en passant par les Nkrumah et Um Nyobe étaient que leurs frères, leurs enfants puissent avoir un pays à eux où ils vivraient enfin en sécurité. Je définis la sécurité ici comme Thomas Hobbes: tout ce qui menace la vie.
La vie des africains est menacée partout dans le monde. Nous ne sommes pas en sécurité dans ce monde où qu’on aille. Ce qui voudrait dire que n’avons pas encore de pays et que nous devons lutter comme ces leaders pour en avoir un tant que nos vies d’Africains sont menacées par la prison, la pauvreté, l’exploitation, la guerre, la maladie, l’ignorance, l’oppression, l’abus de pouvoir…
Si les vies des camerounais sont menacées au Cameroun, nous n’avons pas de pays appelé Cameroun. Si les vies de camerounais sont menacées au Nigeria, nous n’avons non plus de chez-nous appelé Afrique. En 2018, l’utopie d’une nation noire nous semble encore très loin. Le seul futur qui se présente devant nous aujourd’hui est celui d’éliminer un jour le spectre de la mort qui nous hante et semble devenir aujourd’hui le seul projet futuriste d’un pays comme le Cameroun .
Et le pire est que nous semblons nous en accommoder, nous acceptons l’idée d’un Etat-Machine-à-tuer au nom d’on ne sait plus quelle nécessité empruntée au colonialisme… Nous participons avec ceux qui nous mis dans cet état d’insécurité permanent sur notre propre sol depuis des siècles à ajourner le jour où nous pourrons enfin imaginer un futur allant au delà de la mort. Ce dont le Cameroun a besoin aujourd’hui, c’est d’Etat léviathan – toujours au sens de Thomas Hobbes -. Un Etat où un camerounais peut donner un mandat à un représentant pour le représenter dans le sens où il s’engage à protéger les vies de tous, pas que la sienne et surtout ne menacera jamais la vie de celui qui lui a donné ce mandat quelque soit le prétexte. Le camerounais qui lui a donné ce mandat doit aussi être en mesure de le reprendre immédiatement dès qu’il sent que sa vie est en danger, ou que les termes du mandat ont été violés par son représentant qui a échoué à protéger sa vie.
Parce que ce contrat doit rester personnel entre le représentant et chaque vie individuelle, il définit donc la relation que nous devons avoir avec le President de la République . Les camerounais doivent forcer ce régime ou tout autre qui prendrait sa place à créer un État démocratique inspiré par ce principe. Les camerounais et les africains en général ne doivent plus vivre en ayant peur pour leurs vies partout ou ils se trouvent et encore moins chez eux. Il n’y a pas de crime qui dépassent celui qu’inflige un frère noir à un autre. Et Hobbes demande à celui qui subit au nom du droit à la vie de résister voire de se défendre… pour protéger la vie qui doit être au-dessus de tout. Il faut que dans ce système, les victimes aient le droit et les moyens de clamer fort ce qu’elles ont enduré et qu’elles ne veulent plus supporter.
Quand bien même nous semblons aujourd’hui loin cet Etat où l’homme noir serait en sécurité, il n’en demeure pas moins que cet Etat existe dans nos têtes, et dans nos coeurs. Il a été nommé, chanté par tant d’artistes, écrit par de nombreux écrivains, énoncé par beaucoup de leaders… dans les livres, les chansons, les arts, les discours … et s’est concrétisé dans les arts , le cinéma, la littérature et paroles diverses qui sont une autre réalité, rivalisant de plus en plus avec la réalité nous vivons. Le Cameroun où le camerounais vivrait en sécurité existe… virtuellement certes, mais c’est à nous de passer à l’étape suivante et de créé ce pays pour nous-mêmes.
Jean-Pierre Bekolo, Cinéaste