DECENTRALISATION, FEDERATION, REGIONALISATION : DE QUOI S’AGIT-IL ?
Un certain nombre de Camerounais portant l’ignorance, l’irrationalité et la mauvaise foi comme les cornes continuent à donner une image terrifiante de la fédération qu’ils assimilent à la partition du Cameroun en Etats indépendants, alors qu’il aurait été plus simple de consulter les myriades de documents qui en donnent la signification canonique et décrivent leur application réelle.
Tout se passe comme si la Fédération était une invention qu’on tentait d’expérimenter au Cameroun, alors que c’est un système qui a existé dans tous les Etats précoloniaux (empires et royaumes,) tels qu’on en voit les réminiscences dans nos chefferies traditionnelles et dans nos communautés.
C’est aussi un système qui regroupent 26 Etats parmi les plus grands et les plus puissants comptant 40% de la population mondiale et plus de 60% des revenus mondiaux ! Il s’agit notamment des pays suivants : les USA, l’Allemagne, l’Inde, la Russie, le Brésil, la Suisse, le Mexique, etc.
Si à cela, on ajoute les Fédérations de Facto, autrement dit des pays régionalisés qui fonctionnent avec des régions autonomes disposant d’un pouvoir proche des Etats fédérés (Chine, Grande Bretagne, Canada, Italie, Japon, Pays-Bas, etc.), on se retrouve avec tous les pays développés, à l’exception d’un seul : la France qui tente à son tour de rejoindre les autres!
On voit donc que le développement, par nature, est le fait des pays fédéraux, qu’ils soient de jure ou de facto.
Mais il nous paraît important, pour mettre fin à la confusion, d’expliquer la différence entre les 3 concepts d’Etat décentralisé, d’Etat fédéral et d’Etat régionalisé.
Du point de vue formel, il n’existe aucune différence entre ces 3 modèles, et, à moins de vous reporter sur les textes constitutionnels, vous ne pouvez pas les distinguer l’un de l’autre, car tous se caractérisent par deux échelles de pouvoir : un pouvoir laissé aux régions et géré de manière autonome, et un autre qui chapeaute tout l’ensemble. La différence n’est même pas dans l’étendue des droits des Régions, ni dans les mécanismes opérationnels du fonctionnement des ces 3 formes d’Etat.
La seule différence se situe dans LA NATURE DES DROITS DES REGIONS :
1. Dans LA DECENTRALISATION administrative, les droits des Régions sont dits « dévolus » autrement dit c’est l‘Etat Central qui les octroie à sa guise et peut les retirer comme il veut. Ces droits qui font l‘objet des lois et des décrets peuvent être très importants, plus importants même que dans certains Etats fédérés. Mais l’Etat Central peut y revenir à tout moment.
2. Dans la FEDERATION, les droits des Régions sont dits « propres et irréfragables », autrement dit, ces droits sont inscrits dans la Constitution et l‘Etat Fédéral ne peut plus les retirer ni les modifier, au risque de faire un coup d’Etat. L’étendue de ces droits qui peut être très grande comme aux USA et en Suisse, ou très réduite comme en Russie et au Nigeria dépend de la naissance de la Fédération, de son niveau de développement, du nombre d’Etats et de sa structuration sociologique.
La Fédération peut se créer de deux manières : par AGREGATION, lorsque des Etats initialement indépendants se regroupent, comme le cas des USA et de la Suisse. Les raisons tiennent au désir d’être plus forts et de mutualiser certaines dépenses comme la défense ou les affaires étrangères.
Elle peut aussi se faire par SEGREGATION, quand un pays initialement unitaire éclate en plusieurs Etats fédérés. Les raisons sont de deux ordres : soit on veut réduire le pouvoir central comme le cas de l’Allemagne, soit on veut régler les problèmes de cohabitation communautaire, comme le cas de la Belgique.
Quoiqu’il en soit, le pouvoir fédéral est d’autant plus fort que les Etats fédérés sont petits et vice-versa. C’est pour cette raison qu’au Nigeria et au Soudan du Sud par exemple, les dirigeants fédéraux poussent subrepticement les communautés à réclamer un Etat. C’est un peu comme si, dans un Cameroun fédéral, les dirigeants fédéraux malveillants encourageraient en sous-main les Bamoun à réclamer un Etat au lieu de s’associer aux Bamileke …
C’est pour cette raison qu’il est important d’ajuster la Fédération par ségrégation et d’éviter un émiettement contreproductif en tenant compte des contraintes économiques, sociologiques,
ce qui serait pire que le mal.
3. Dans la REGIONALISATION, il faut dire que c’est un système totalement différent de l’idée qu’on en a au Cameroun. En fait, la Régionalisation est un système dans lequel chaque Région négocie ses rapports institutionnels avec l’Etat central. Certaines régions ont des liens fédéraux voire confédéraux avec l‘Etat central alors que d’autres bénéficient d’une simple décentralisation administrative.
Dans un tel système, certains Etats Régionaux sont pratiquement indépendants comme l’Ecosse en Grande Bretagne qui a une équipe nationale et sa monnaie, ou le Québec qui a des représentations diplomatiques, ce qui est inimaginable dans une simple Fédération. En Italie, certaines régions ont le droit à la Sécession alors que d’autres ne l‘ont pas.
Le régionalisme est donc plus complexe que la décentralisation administrative et la fédération, chaque région ayant son statut.
Certains camerounais demandent de passer la forme de l’Etat à un vote : si cela se faisait, on obtiendrait un Etat régionalisé. Car, les Anglophones voteraient certainement pour un Etat Fédéral, d’autres voteraient pour une décentralisation poussée, alors que d’autres pencheraient pour un Etat centralisé. Comme on ne peut pas imposer la forme choisie par une Région à une autre Région qui a choisi autre chose, nous aurons alors des Etats régionaux, chacun d’eux avec le statut qu’il aura choisi.
Quand on a compris ces trois formes différentes, on voit pourquoi la meilleure forme pour le Cameroun est la Fédération. La régionalisation apparaît très complexe. D’un autre côté, une décentralisation administrative qui serait sous le contrôle de l’élite centrale post coloniale n’est pas viable. L’autorité centrale chercherait à tout contrôler, à assujettir les Régions à sa loi, et le système serait très instable à la conjoncture politique, telle que le changement des majorités, le désir des dirigeants de s’éterniser au pouvoir, ou même l’instabilité politique.
On l’a d’ailleurs vu avec le récent remaniement ministériel : non seulement on prétend créer des régions autonomes, autrement dit, des institutions spécialisées pour le développement régional, mais le Gouvernement central s’empresse de se donner lui-même pour mission de s’occuper du même développement régional, créant ainsi une occurrence intolérable d’immixtion dans des droits des Régions.
Et on voit là l’incapacité radicale de la bureaucratie camerounaise à délester leur Etat de ses pouvoirs au profit des entités autonomes.
En outre, dans, un pays aussi divers où les Communautés sont prêtes à se battre pour le pouvoir d’Etat, la Fédération a l’avantage d’étouffer l’apparition des chefs de guerre. Et c’est la plus grande menace qui pèse sur le Cameroun après Biya.
Il faut donc aller à la Fédération.
Dieudonné Essomba