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2018: A vraincre sans péril, on triomphe sans gloire – Icicemac

2018: A vraincre sans péril, on triomphe sans gloire

Nous voici donc en 2018, cette année électorale déjà redoutée et considérée par beaucoup comme une année « de tous les dangers ». Et la preuve s’avère, non pas que le calendrier électoral n’existe pas, mais qu’il est, dans une certaine mesure, géré à sa guise par un seul homme qui est le chef de l’Etat, l’organisateur des élections, et le chef du parti au pouvoir, c’est-à-dire juge et partie, arbitre et candidat (participant) auxdites élections. Cette posture devrait suffire pour rendre inutile ou invalider toute élection présidentielle, dont l’administration est assurée par ELECAM, organe en réalité inféodé à un Etat-parti.

Imaginez le président de la Fécafoot, habillé en blanc pour arbitrer une finale de coupe qu’il a organisée – et qu’il préside – à une date, sur un stade et selon un règlement de son choix, entre sa propre équipe de blanc flambant vêtue, et une équipe adverse hétéroclite vêtue de noir bigarré, qui prétendrait lui reprendre le trophée. De quoi mourir de rire, non ?!

Cinq scrutins, y compris l’élection des Conseils régionaux, étaient attendus par ceux qui ont la naïveté de croire que nous sommes dans un Etat de droit. Quatre scrutins semblent, en principe, être envisagés par le pouvoir. Et il devient de plus en plus probable, pour ne pas dire certain, que deux seulement sont programmés, même si certaines sources annoncent les municipales et les législatives pour juin ou juillet prochain : les scrutins sénatorial dont la convocation du collège électoral vient d’être faite et présidentiel. M. Biya ne se contentera donc pas du seul scrutin qui vaille à ses yeux : l’élection présidentielle, même si la Constitution lui donne la latitude de la différer, en cas de « circonstances exceptionnelles ».

Laissez-moi d’ailleurs m’étonner qu’au lieu de se concentrer sur la préparation stratégique de l’après-Biya, qui arrivera sûrement plutôt qu’on ne le craint, l’élite sociopolitique du pays se focalise sur la démission de Paul Biya (ou sa non candidature à la prochaine élection présidentielle !), comme si cela changerait la donne chaotique programmée pour le pays.

Quelqu’un peut-il remplacer Biya, en faisant l’économie de quelques dangereuses turbulences si l’administration publique n’est pas décolonisée et reprise en main par les citoyens ? Et comment cela est-il possible si la fragile opposition partisane n’organise pas la prise d’assaut des municipalités du pays, entraînant à la base une érosion du système oligarchique jacobin ? Stratégie dont Paul Biya, anticipe d’ailleurs la parade en faisant élire le prochain Sénat par les seuls Conseillers municipaux en fin de mandat, sans protestation de qui que ce soit.

A cet égard, l’égo « pouvoiriste » de nos leaders de l’opposition est probablement le principal vecteur de leur échec à répétition, et de la victoire permanente du pouvoir Biya qui ne consacre ses mandats et les moyens de l’Etat, qu’aux stratégies de sa longévité au pouvoir. D’ailleurs, n’entend-on pas nombre d’entre ces leaders proclamer que « le rôle d’un parti politique est de conquérir le pouvoir et de s’y maintenir » ? Prôner cela et dire que « Biya doit partir » ne correspond-il pas à « ôte-toi de là que je m’y mette » ?

Et pourquoi croyez-vous qu’à quatre-vingt cinq ans, un homme qui a payé de sa dignité pour parvenir au pouvoir, comme objectif ultime de sa vie, accepterait de perdre son intouchabilité en faveur d’un peuple qu’il a toujours défié comme un adversaire, ou à des opposants qu’il considère comme des « apprentis sorciers » ? « Qui sont-ils » pour qu’il leur cède son pouvoir ?

Le système électoral est le mécanisme utilisé dans les pays démocratiques pour permettre au peuple de désigner ses dirigeants. C’est-à-dire de leur donner le pouvoir, comme mandat de service public. Sous les tropiques, le pouvoir n’est pas un mandat de service public. Il s’appelle « kélë di ». L’élection, pour y parvenir, n’est plus un marathon que gagne le plus rapide des plus endurants. C’est un sprint donc le départ est donné par l’organisateur seulement lorsqu’il a déjà posé tous les pièges imprévisibles pour faire tomber ses concurrents. Il a ainsi la garantie quasi constitutionnelle, de toujours gagner la course au pouvoir. Son crédo, c’est qu’ « on n’organise pas une élection pour la perdre »

Et c’est justement ce qui différencie notre jungle autocratique de ce qu’on appelle un Etat de droit, où l’organisation d’une élection par l’Etat n’en confère pas mécaniquement la victoire au parti du gouvernement, parce que l’élection est organisée pour donner au peuple la possibilité et/ou l’opportunité de choisir ses représentants et/ou d’avoir une alternance de gouvernance. En démocratie réelle, il est normal d’organiser et d’accepter de perdre.

Une élection présidentielle qu’un gouvernement partisan organise pour gagner, est un hold-up sur la souveraineté du peuple, crime dont il est pour le moins problématique pour une opposition démocratique de se faire complice à n’importe quel prix. Comme s’il fallait parvenir au pouvoir-mangeoire, ou mourir.

Les forces sociopolitiques de la nation (corporations professionnelles, partis politiques, société civile, même Elecam), se sont efforcées en 2017, d’adresser des suggestions et des propositions concrètes au président de la République et à son gouvernement, en vue d’une année électorale paisible. Dynamique citoyenne notamment, réseau national regroupant plus de 100 organisations de la société civile camerounaise, a présenté en fin 2017, une proposition de Code électoral alternatif, qui est une synthèse du Code en vigueur, et de toutes les propositions de réforme formulées par les différents partis politiques et les OSC ; proposition qui est sur la table du gouvernement, et devrait faire l’objet d’une concertation tripartite (pouvoir, opposition, société civile) pour consacrer un Code consensuel.

Les mêmes démarches ont été faites ou appuyées par les pays amis du Cameroun, pour solliciter de M. Biya, l’ouverture d’un dialogue national inclusif, en vue de résoudre, entre autres crises, celle qui met aujourd’hui à feu et à sang les régions du pays où vivent les Camerounais d’expression anglaise.

L’indifférence du chef de l’Etat à l’égard de toutes ces démarches fait désormais du Cameroun un espace d’incertitudes sur lequel plane une menace de désintégration dont on peut faire l’économie, mais dont par contre, des élections parcellaires et non universelles pourraient précipiter la survenance.

Une rumeur dit qu’une réforme unilatérale du Code électorale serait sur la table de M. Biya, et qu’elle serait envoyée au parlement en mars prochain. Si cette rumeur s’avérait vraie, ce serait l’indicateur de plus que « l’Homme lion » refuse toute concertation nationale qui offenserait son autocratie, et considère vraiment comme « sans objet » toute tentative des citoyens camerounais de participer à la gestion de ce qu’ils croient être leur pays.

Ce serait aussi l’indicateur que l’administration publique, acquise au RDPC, est plus préoccupée de servir les intérêts du président du parti, que de l’aider à assumer ses fonctions régaliennes, dont fait partie la concertation nationale autour d’intérêts communs. Car, à quel moment d’une part, M. Biya, s’est-il concerté, et avec qui, pour que sa réforme soit participative ? A quel moment, d’autre part, comprendra-t-il que des élections nationales dont les meilleures conditions ne seraient pas remplies pour la participation du Cameroun occidental dit anglophone, sont de nature à valider de fait la partition du pays ?.

Quels types d’élections M. Biya tient-il à organiser dans un pays dont plus de 2/3 de l’électorat potentiel n’iront pas voter, et où l’Etat, par la faute de son gouvernement, semble avoir perdu la main sur quatre de ses dix régions administratives (l’Extrême Nord avec le Boko Haram, l’Est avec les réfugiés centrafricains, les Nord et Sud-ouest avec la crise anglophone)?

Qu’est-ce qui pousse le gouvernement annoncé démocratique depuis 35 ans, à fonctionner comme jadis l’administration coloniale dont la mission impérative était de commander et réprimer les peuples coloniaux au service des intérêts du colonisateur ? En quoi est-il si humiliant, si illégitime, ou si injuste pour un gouvernement qui se dit « mendiant de la paix » dans « un Etat de droit » de négocier avec les « indépendantistes » qui détiennent en otage les populations d’expression anglaises trahies par une mauvaise gouvernance ?

N’est-ce pas une faute psychologique et stratégique au plan sécuritaire de ne rien faire ni localement, ni au niveau central, pour libérer ces millions d’otages, préférant comme jadis les Français dans l’Ouest du pays, créer des régions militaires pour bombarder et incendier indistinctement des villages pour en exiler les populations ? C’est tout de même étonnant qu’un gouvernement d’agrégés en tout… ne comprenne pas que, plus les populations indignées par les frustrations sont gratuitement réprimées en lieu et place des « rebelles » auxquels elles sont injustement identifiées, plus elles rejoignent les rangs de la rébellion. Même si cela paraît déraisonnable.

Le président de la République offre-t-il aux populations des régions dites anglophones quel type de « sécurisation » pour qu’elle provoque l’exil des dizaines de milliers de Camerounais dans les pays voisins et la fuite des dizaines de milliers d’autres, entièrement démunis, dans les forêts et les églises ? Et combien de jeunes soldats recrutés et formés à la hâte doit-on continuer à offrir comme chairs à canon dans ces opérations de représailles aveugles avant que le gouvernement en comprenne l’inutilité au regard de l’objectif de paix ?

Qui portera la responsabilité historique de cette situation qui s’achemine vers l’impasse, si ce n’est le gouvernement de M. Biya qui utilise la puissance publique, non pour protéger le peuple, mais pour le réprimer et l’humilier ? Derrière l’escalade des violences et des manipulations que vivent les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest, n’y a-t-il pas en réalité des ennemis de la démocratie camerounaise qui, à l’ombre du régime, souhaitent installer le pays dans l’ingouvernabilité à des fins inavouées ?

En tout état de cause, le contexte sociopolitique prévalant dans le pays, conjuguant avec le refus d’un Code électoral consensuel et l’indigence financière d’Elecam, n’est pas favorable à l’organisation des élections justes, transparentes, universelles et sécurisées. À moins que M. Biya veuille encore vaincre sans péril et triompher sans gloire. Mais alors, pour faire quoi qu’il n’aurait déjà dû faire ?

Par Jean Baptiste Sipa

 

 

 

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