Le mouvement social qui s’est construit dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, les deux régions dites anglophones depuis octobre-novembre 2016 jusqu’à septembre-octobre 2017, est une mobilisation collective qui a atteint une certaine acuité critique. Il s’agit bel et bien d’une dynamique de déstabilisation correspondant à une conjoncture critique aigue. Ce mouvement censé exprimer ce que ses défenseurs et acteurs dénomment sur le registre de la complaisance ou de la connivence politiques et/ou idéologiques, le « problème anglophone », est bel et bien un mouvement social de type identitaire, qui met en scène un conflit politique fondé sur la mobilisation du primordialisme et du particularisme.
Si une part des origines de ce conflit socio-politique est liée au ressentiment suscité par une gouvernance de facture centralisatrice et l’effet mécanique et structurel de la domination politico-statistique des Camerounais liés aux segments dits francophones par rapport à ceux dits anglophones, l’on ne saurait perdre de vue les menées de nombrilisme identitaire qui alimentent cette mobilisation.
Dès le départ, avec ses expressions sectorielles dans les sphères corporatives du monde des juristes-avocats et du monde de l’éducation, ce mouvement a été configuré de manière dominante par l’expression claire d’un anglo-centrisme et d’un anglo-nombrilisme porteurs d’une stigmatisation nette d’une domination francophone assimilée à un mouvement accentué d’assimilation colonisatrice.
Avec une telle configuration fortement basée sur la mobilisation clivante des anthroponymes « Anglophones » et « Francophones », le mouvement a construit la cause anglophone comme une mobilisation collective anti-système orientée vers la défense primordialiste de la spécificité et de l’identité culturelles « anglo-saxonnes » des Camerounais issus des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest autrefois constitutives du territoire sous mandat et sous tutelle de la Grande Bretagne du Southern Cameroons puis de l’Etat Fédéral du West Cameroon dans le cadre de la République Fédérale du Cameroun.
Ce faisant, dès sa phase corporatiste, le mouvement s’est clairement structuré comme une mobilisation sociale et politique de type identitaire et segmentaire.Contrairement à ce que pense une certaine opinion peu imprégnée de (la) sociologie des conflits politiques et des mobilisations collectives, ce mouvement portant la cause anglophone s’est organisé dès le départ comme une dynamique insurrectionnelle. Ceci s’est fait bien avant la phase de désobéissance civile basée sur le recours aux opérations « villes mortes ». C’est précisément pour cela que les représentants des groupes corporatifs (avocats et enseignants) ont recouru à l’art du dilatoire face à un groupe gouvernant surpris par la capacité de la contestation, en multipliant les demandes pour bloquer les négociations. Une telle tactique politique était mûrement calculée consistant à pousser le pouvoir à céder sur le terrain d’une négociation proprement politico-institutionnelle relative à la forme de l’Etat.
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Parce que le mouvement social anglophone s’est construit nettement sur des bases politico-identitaires, il a été défini dès le départ pour être essentiellement porté par des forces sociales et culturelles provenant de la communauté anglophone.
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de Camerounais ressortissant des segments de la communauté francophone qui aient exprimé leur soutien à ce mouvement. Seulement cela a essentiellement relevé de l’opportunisme politique et d’un conformisme ressortissant du politiquement correct, ce potentiel formel de soutien ne se convertissant pas en une puissance de mobilisation pouvant contribuer à la diffusion de cette mobilisation dans les régions dites francophones.
Parce que ce mouvement social a été structuré de manière dominante par un discours sans nuance stigmatisant tous les Francophones posés comme essentiellement hostiles aux Anglophones, il n’a pas pu capitaliser les sympathies éprouvées à son égard dans de nombreux milieux politiques et sociaux francophones. Une telle orientation y a facilité l’emprise hégémonique des radicaux-partisans de l’option sécessionniste sur les modérés-défenseurs de l’option fédéraliste, isolant les tempérés-soutiens de l’option de la décentralisation. Cela a eu aussi pour effet de neutraliser toute possibilité d’élargissement dudit mouvement affecté par son attachement fétichiste à une identité coloniale et à son utilisation conflictuelle contre une autre identité coloniale.
Ce mouvement social défendant l’autonomisme anglophone a clairement choisi la voie d’un nationalisme anglo-camerounais vivant la domination mécanique de la majorité francophone comme l’expression d’un colonialisme interne.
On a ainsi vu comment une figure éminente du SDF, combinant fondamentalisme culturel et opportunisme politique, a surfé sur cette vague identitaire, évoquant de manière impudique l’apartheid dont les Anglophones seraient victimes. De telles outrances simultanément nombrilistes et populistes condamnent ce mouvement à rester segmentaire et à demeurer idéologiquement dépendant des éléments les plus intégristes et radicaux de l’autonomisme anglophone portées vers l’option sécessionniste.
Confiné malgré les sympathies réelles ou affectées qu’il suscite, le mouvement social de l’anglophonie identitaire ne peut que gêner le pouvoir central et le groupe gouvernant, sans être en mesure d’en subvertir l’ancrage souverain dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cela veut dire que ce mouvement, même en recourant à des formes ouvertes de coercition et de violence (mise à sac et incendie d’écoles, de collèges ou de bâtiments universitaires, molestage des personnes violant les mots d’ordre de villes mortes, attaques de commissariats de police, de brigades de gendarmerie ou de casernes, bombes artisanales) ne peut pas démanteler le dispositif administratif et militaire qui assure la présence de la République du Cameroun dans ces régions.
En se développant et en opérant comme un mouvement social segmentaire, la mobilisation collective de l’anglophonie identitaire, s’expose à l’usure du temps sur laquelle l’ordre gouvernant peut miser afin de la neutraliser par l’option tactique du pourrissement. Ce mouvement social de l’anglophone identitaire s’expose à faire face à une riposte sécuritaire conséquente de l’ordre gouvernant lorsque ses éléments les plus radicaux surestimant leur position dans le rapport de forces créé par la crise, recourent à l’option fort risqué de la violence semi-armée ou armée. Il apparaît clair que ce mouvement social ne dispose pas objectivement de moyens de force pour expulser la République du Cameroun de ces régions qui font bien partie du ressort de souveraineté de cet Etat.
Le mouvement social de l’anglophone identitaire souffre de manière récurrente de la faible capacité des acteurs sociaux et politiques modérés ou conservateurs des régions dites anglophones à se démarquer des tenants radicaux de l’option sécessionniste. Cela crée une ambivalence qui facilite et légitime même la contre-offensive idéologique et stratégique des partisans de l’unité dure du Cameroun hostiles aussi bien au fédéralisme qu’à la sécession et plus que prudent au sujet de la décentralisation. En effet, comme les fédéralistes de la partie anglophone craignent de se démarquer clairement des sécessionnistes partisans de la création de l’Etat indépendant du Southern Cameroon/Ambazonia, ils sont idéologiquement devancés par ces derniers et ne parviennent pas à souligner de manière convaincante l’intérêt de leur position fédéraliste.
Le dialogue politique et/ou institutionnel auquel beaucoup d’observateurs et/ou d’acteurs appelle, pour assurer l’apaisement qui rompt le cycle agitation/provocation/répression, sera difficile à mettre en place tant que les parties prenantes du conflit (le mouvement de la cause anglophone et le contre-mouvement du Cameroun un et indivisible) ne seront pas en mesure de structurer un compromis politique pacificateur. Pour que ce compromis s’organise, il est clair que la visée sécessionniste, le statu-quo de la décentralisation rationnée et même le fédéralisme bi-étatique et bi-culturel, sont à réduire car ils expriment le dissensus violent et virulent sur la gouvernance constitutionnelle de l’Etat.
Aussi critiquable que puisse paraître le centralisme endurant du groupe gouvernant, il est évident qu’aucune solution politico-institutionnelle ne peut lui être imposée par la pression, la tension ou la confrontation, surtout par un mouvement social identitaire et segmentaire qui ne dispose pas du potentiel souverainant d’un mouvement social multisectoriel . L’antipathie politique ou idéologique à l’encontre du groupe gouvernant du Renouveau et de son traitement de la crise anglophone ne peut suffire, tant que ce groupe et son chef central continuent à contrôler le monopole de pilotage des commandes de l’Etat camerounais. Le réalisme politique et stratégique montre que l’espace pertinent du dialogue compte tenu des rapports de force institutionnels et sécuritaires se situe entre la décentralisation approfondie et la régionalisation rationalisée. C’est sur ce terrain que l’apaisement peut se construire.
Il est clair même pour les souverainistes sourcilleux à condition qu’ils soient aussi des républicains pointilleux et des nationalistes sagaces, qu’il y a un clair besoin d’autonomie territoriale ou locale. Seulement, ce besoin d’autonomie ne se résume pas aux régions anglophones mais concerne tout le Cameroun. Le dire n’est pas nécessairement récuser la singularité politico-culturelle des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, c’est l’aménager compte tenu de la nécessité de la mettre en adéquation avec des institutions politiques et constitutionnelles capables de conserver ou de renforcer la cohésion nationale de la République du Cameroun.
C’est pour cela que la cause anglophone, lorsqu’on l’examine en dehors d’une perspective intellectuelle ou politique fondée sur le nombrilisme et le fétichisme identitaires ne peut qu’être abordée sous l’angle du problème national camerounais. Celui-ci envisagé à partir de la perspective du nationalisme éclairé formulé par Ruben Um Nyobe pose le problème de la mise en cohérence et en cohésion politiques des différents segments communautaires du Cameroun.
Une décentralisation modulée dûment programmée et chronogrammée peut ouvrir le chantier d’un développement et d’un gouvernement politiques basé sur l’autonomie politico-territoriale et politico-locale qui permettrait de canaliser la contestation anglophone en définissant un périmètre précis concernant les compétences d’autonomie spécifiquement reconnues aux régions anglophones.
Envisager un vrai dialogue national à partir de la crise anglophone au Cameroun peut se faire par des voies institutionnelles maîtrisées (i.e. sans ouverture d’un cadre de transition politico-institutionnelle et politico-constitutionnelle) ou conventionnelles (i.e. au moyen d’un accord stabilisateur et consensuel sur les règles d’une autonomie politique locale conforme à la stabilité républicaine avec prise en compte maîtrisée de la singularité anglophone). Pour ce faire, pour y parvenir, il est un préalable nécessaire : la reconnaissance initiale claire et résolue de la souveraineté nationale camerounaise comme cadre fondamental de référence républicaine au-dessus de tous les nombrilismes venus du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. Le consensus national sur l’autonomie politique locale et territotriale est l’essentiel, pas les visions fétichistes sur la forme de l’Etat, qu’elles soient unitaires-centralistes,unitaires-décentralisées,autonomiques-régionalistes ou fédéralistes.
Mathias Eric Owona Nguini, Coordonnateur de La Grande Palabre
Source: http://germinalnewspaper.com/index.php?option=com_content&view=article&id=512%3A2018-03-06-11-12-16&catid=51%3Aflash-infos&Itemid=79&limitstart=1