Les chefs traditionnels sont au devant de la scène tant ils appellent Paul Biya à se porter, à nouveau, candidat à l’élection présidentielle prochaine. Les élites traditionnelles du peuple Sawa, des communautés du Sud, de la Lekié, du Lom-et-Djerem, de l’Ouest et du Mfoundi ont souscrit à ce rituel lié au soutien de la candidature du président national du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc).
Dans un contexte marqué du sceau de la crise sociopolitique contemporaine, d’aucuns s’interrogent, d’ores et déjà, sur le procédé de la fabrication de cet hymne à l’accréditation du chantre du régime en place. Toute chose ayant fait naître, ces dernières semaines, la pathologie des transes collectives des thuriféraires du sérail.
C’est l’assemblée traditionnelle du peuple Sawa qui, la première, a sonné le tocsin des appels le 10 avril 2018, en appelant au soutien à la candidature de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle, dont la date est, jusqu’à présent, inconnue de tous. Cinq jours plus tard, soit le 15 avril 2018, le président de l’assemblée traditionnelle du Ngondo, Sa Majesté Madiba Songue, a été coopté et nommé parmi les 30 sénateurs qui ont complété la litanie des 70 autres élus aux sénatoriales du 25 mars 2018.
Cette gratification symbolique du Chef de l’État en guise de récompense attribuée à cette figure traditionnelle témoigne d’un fait lié à la captation de l’institution traditionnelle par le politique. La nomination de près d’une dizaine de chefs traditionnels dans la haute chambre du parlement camerounais par le prince du Renouveau traduit, dans la même veine, la corrélation entre le politique et l’autorité traditionnelle qui, depuis des années, s’affranchit, de plus en plus, de son capital honorifique de gardien des traditions, de boussole de la communauté et de véritable fűhrer (guide) de la société.
Ces appels et motions de soutien de l’élite traditionnelle d’au moins six communautés culturelles s’inscrivent dans la reproduction d’un fait social à l’approche de la présidentielle. Il s’agit de la matérialisation des courants de pensée pompeux, creux et vaseux visant au maintien du lion politique au pouvoir.
En 2004, c’était l’appel de la Lekié initié par Henri Eyebe Ayissi, aujourd’hui ministre de l’Agriculture et du Développement rural(Minader). En 2011, c’était, cette fois-là, l’appel de l’intelligentsia camerounaise, dont la figure de proue signataire des motions de soutien au chef de l’État était Narcisse Mouelle Kombi, actuellement ministre des Arts et de la Culture(Minac). En 2018, la symphonie des appels et motions de déférence à l’égard du président de la République a été agencée, au premier abord et c’est un rappel, par l’assemblée traditionnelle du Ngondo, dont la tête de proue est Madiba Songue mué en posture de sénateur Rdpc du Littoral.
Plomber le jeu démocratique
En s’inspirant de ce triptyque de cas contextuels, il apparaît manifestement que la marche, la motion, l’appel, le pacte et le serment sont des courants idéologiques au départ individuels. Mais par la suite et par effet de contrainte mimétique, ces dithyrambes scandées en faveur de P. Biya deviennent des courants de pensée scénarisés en collectif. D’où la publication, sur ces entrefaites, des listes de signataires des appels et des motions de soutien issus des girons culturels déterminés. Puisqu’il s’agit tantôt d’un effet groupal enclenché par un leader politique reconnu officiellement, tantôt d’un effet de masse suivi et théâtralisé par la foule de cadres et militants du parti au pouvoir, ces actes sont visiblement régulés par la flagornerie, la fumisterie, l’escroquerie et la courtisanerie politiques des «créatures» à l’endroit du «créateur».
Ce type de phénomène participe, sans coup férir, à plomber le jeu démocratique tant certaines catégories sociales de l’agora ne se reconnaissent pas, très souvent, en ces appels et motions de soutien étrennés en amont. Aussi le socle de fabrication de ces serments de gratitude et de déférence à l’égard du président de la République est-il sous-tendu par l’instrumentalisation, l’ethnicisation et la régionalisation puisque ces initiatives sont toujours confinées non pas dans le global, mais plutôt dans le local. Toute chose qui sédimente, incognito, le basculement dans la rémanence des replis identitaires.
Le Don King
Mot à wou à wou!
Source:
Serge Aimé Bikoi