D’où vient-il que dans toutes les sphères de la société et surtout dans les services dits publics, les “serviteurs” de l’Etat (donc, nos serviteurs puisque l’Etat c’est nous) font preuve au nom du même Etat, d’un manque de “charité chrétienne” quand bien même ils sont de “bons chrétiens”?
Le nombre de fois qu’un agent va vous demander de repasser dans son bureau pour un service qui aurait pris cinq minutes, quand on connait le calvaire que représente un simple déplacement dans nos villes et la pénibilité en général de la vie des gens sur notre continent, représente un acte méchant qui est de l’ordre de la torture.
La question que je me pose est la suivante, pourquoi nous nous infligeons à nous mêmes un tel supplice? Est-ce que l’agent en question qui n’est pas lui-méme à l’abri de cette pénibilité quotidienne que chacun doit infliger à l’autre là où il se trouve et qui rend la vie quotidienne très dure pour nous tous, ne se rend-il pas compte qu’il fait partie de cette chaine qui fait que la vie dans nos villes est de l’ordre d’un véritable chemin de croix?
Très souvent cet agent est un chrétien, un musulman ou un animiste très pratiquant partageant les valeurs de générosité, d’hospitalité et de solidarité… Alors comment se fait-il que ce soit la méchanceté qui gère nos rapports administratifs au quotidien? Est-ce parce que nos administrations sont nées avec le colonialisme où l’agent n’était pas au service?
J’ai plutôt envie de penser que le politico-administratif a supplanté Dieu chez les chrétiens, les musulmans et les animistes. C’est le fameux décret présidentiel, son interprétation du moins, qui donne à cet agent ses prérogatives, est dans son inconscient un décret quasi divin qui par procuration confère à ce dernier qui aurait du être un serviteur, tous les pouvoirs sur ses semblables qu’il ne voit plus sur un prisme humaniste…
Pire encore il amène cet agent omnibulé par la machine politico-administrative à mettre les valeurs de ce système au dessus de ses valeurs chrétiennes sans toutefois sortir de la chrétienté. Il peut donc être méchant parce que c’est la politique, parce que c’est l’administration, parce que c’est le système… et rester un bon chrétien ! Car le Dieu politico-administraitf est passé au dessus du Dieu chrétien grâce à une forme de matérialisme sans le marxisme bien sûr… les petits privilèges! Le fameux Article 2 du décret présidentiel qui dit que “l’intéressé aura droit aux avantages…” Il faudrait que les spécialistes nous aident à démêler ce qui se passe dans la tête de tous ces gens …
Car si le décret présidentiel nous donne sur terre les biens matériels (par l’article 2) que nous demandons à Jésus dans nos prières, comment le Président de la République n’aurait-il pas de rôle au dessus Jesus-Christ dans nos imaginaires? Et comme chez-nous l’Etat et donc l’administration et la politique sont nés méchants (au vu de l’histoire coloniale et des régimes peu démocratiques ) et n’ont depuis les indépendances jamais pris d’autres formes; une méchanceté qui aurait pu être atténuée au niveau individuel par la foi qu’elle soit chrétienne, musulmane ou africaine, a été, sans toutefois disparaitre, assujettie à un dieu matérialiste plus effectif, le dieu du décret présidentiel. En somme le sentiment qu’un dieu bon et juste s’est substitué à un dieu méchant et injuste mais un dieu capable de nous donner sur cette terre, le temps d’un décret ce que nous demandons à un dieu qui est aux cieux. Ceux qui disent que l’Afrique est un paradis dirigé par le diable assimilent ce dieu au diable! Voilà comment dans la hiérarchie des valeurs le Président de la République arrive avant Jesus-Christ.
Entre celui qui chante les louanges de Jesus-Christ et celui qui chante les louanges de Paul Biya, qui des deux a plus de chances de voir ses voeux exaucés? Et comme chanter les louanges de Paul Biya ne vous excommunie pas, au contraire dans lors des messes et autres événements religieux, la place offerte à celui qui a le décret se trouve toujours plus près du seigneur. Comment ne donc pas penser que ici, c’est finalement la méchanceté qui conduit à Dieu?
Jean Pierre Bekolo, Cinéaste