Le journal britanique epingle le vieux Patriarche du Cameroun et accuse la république française de maintenir le potentat au pouvoir à Yaoundé. Le Financial Times demande ainsi un changement de regime qui sera d’abord l’oeuvre des camerounais qui devront continuer de faire pression pour que le vieux président arrivé au pouvoir en 1982, quitte ses fonctions pour donner une chance à la paix dans un Cameroun déjà en guerre. Le Financial Times propose une internationalisation de ce conflit et son isolement jusqu’a ce que le satrape s’en aille. Lire ci-dessous ce que pense Achille Mbembe de l’edito du Financial Time du 11 octobre 2018
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Hier, le journal des grands milieux d’affaires de Londres, “Financial Times”, a consacré son éditorial au Cameroun.
L’editorial dit en quelques mots sobres ce que beaucoup d’entre nous n’ont eu cesse de dénoncer depuis de très longues années déjà, à savoir qu’il n’y a plus rien à attendre de la satrapie de Yaoundé et le plus vite l’on s’en débarrasse, le mieux ce sera.
Le “Financial Times” évoque le bilan calamiteux de ce despote véreux et souligne le danger que représente son maintien au pouvoir, alors qu’il a été largement abandonné par sa force biologique, et que sa gestion erratique de ce pays pourtant doté d’importantes ressources humaines et matérielles est sur le point de conduire tout droit à l’escalade et au conflit.
Le journal souligne, non sans raison, que son maintien au pouvoir représente désormais un risque d’ordre régional.
Alors que le Président Macron se complaît dans une cécité calculée et prétend que la France n’a pas de politique africaine, le journal accuse par ailleurs la France d’avoir longtemps soutenu ce régime et de continuer de lui apporter son appui, avant d’en appeler à son isolement.
Ainsi qu’on l’a répété ici à plusieurs reprises, l’une des voies pour accroître la pression sur ce type de régime aux fins de l’asphyxier est d’accentuer d’une part la mobilisation interne (ce qui exige des convergences et des coalitions par-delà les affiliations tribales) et, d’autre part, d’”internationaliser” la lutte.
Par “internationalisation” de la lutte, il ne s’agit pas d’en appeler à d’autres afin qu’ils fassent à notre place le travail dont nous sommes les premiers responsables.
Il ne s’agit pas non plus d’en appeler à des interventions etrangeres par des puissances externes, lesquelles finissent toujours par aliéner le peu qui nous reste de souveraineté.
Il s’agit de mettre sur pied de vastes réseaux de solidarite par-delà les frontières; de sensibiliser l’opinion mondiale sur le catastrophique bilan de la caste au pouvoir et ses effets de violence et de destruction; bref d’organiser méthodiquement le soutien international à une lutte qui doit être menée par les Camerounais eux-memes.
Au-delà de la farce électorale qui vient d’avoir lieu et dont on connaissait d’avance le scénario, il s’agit donc de se mobiliser pour transformer ce régime en pariah sur la scène internationale.
Cela exige de s’attaquer frontalement à toutes les complicités dont il jouit encore, histoire de le mettre une fois pour toutes au ban.
Les forces nationales d’opposition – celles qui s’inscrivent dans le courant légal – n’ont pas d’autre choix.
Elles doivent parvenir à un programme commun minimum et mobiliser le peuple camerounais autour de ce programme.
(1) Un large consensus existe dans le pays autour de l’exigence de départ de M. Paul Biya. Ce consensus s’étend y compris au sein de franges importantes du parti au pouvoir, de la bureaucratie, voire de l’armee!
(2) Un large consensus existe autour de la nécessité de régler le problème anglophone par le dialogue.
(3) Un vaste consensus existe autour de la nécessité d’une réforme profonde de l’Etat. Le moment venu, les conséquences d’une telle réforme (aux fins de régionalisation ou de federation) feront l’objet d’un référendum.
(4) Un vaste consensus existe aux fins de réforme fondamentale du code electoral, dans le but d’assurer des élections véritablement libres et independantes.
(5) Un vaste consensus existe autour de la nécessité de limiter le nombre de mandats présidentiels et d’ecourter leur durée (la ramener de 7 à 5 ans).
(6) Un gouvernement de transition serré, forme d’une vingtaine de technocrates, est nécessaire pour conduire ces réformes fondamentales.
Il devrait jouir d’un mandat limité (de 2 a 3 ans) au terme duquel des élections libres seraient organisees et aucun de ses membres ne pourrait s’y présenter.
Les forces du changement doivent se coaliser autour de ces demandes minimum.
Elles sont parfaitement raisonnables et constituent le meilleur moyen d’eviter l’escalade.
Défendues avec intelligence et adresse, elles pourraient aisément recueillir le soutien de la communauté internationale et permettre à ce pays de fermer un chapitre passablement lugubre de son histoire tout en épargnant maintes vies humaines.
Si les forces politiques luttant pour le changement ne peuvent pas se mettre d’accord sur ces exigences minimum et raisonnables, alors la voie sera ouverte à l’escalade, et de nombreux Camerounais innocents paieront au prix le plus élevé les turpitudes de nos dirigeants.
Achille Mbembe