A l’aube de ce septième « mandat », toutes les dénégations passées sont plus que jamais « oubliées ». Les fléaux dénoncés depuis des années sont plus que jamais une réalité de moins en moins contestée et contestable. Le pays continue de s’enfoncer de plus en plus dans le chaos.
1 – Au commencement était la culture du déni…
Dans les années 1990, lorsqu’on commençait à s’apercevoir que la corruption et le détournement des deniers publics était le sport favori de la classe dirigeante au pouvoir, quelqu’un a demandé : où sont les preuves ?
Quand plus tard, on dira que le pays était l’otage des loges et de certaines pratiques sexuelles peu orthodoxes, pratiques qui polluaient de plus en plus l’espace public et privé au Cameroun, quelqu’un a dit : c’est leur vie privée.
Quand on a observé que le pays se divisait de jour en jour, que la modification de la Constitution combinée à une vie de plus en plus chère n’étaient plus acceptables, quelqu’un déclara : ce sont des apprentis – sorciers.
Quand des vigilants postulaient que la question anglophone, un jour, finira par devenir une crise majeure, si elle n’était pas profondément prise en charge à temps, certains n’ont pas manqué d’affirmer : c’est là un faux problème. Nous sommes désormais et plus que jamais « un et indivisible ».
Quand quelques uns ont dit que les élections au Cameroun étaient… tout… sauf justes, certains ont répondu : il n’y a pas de modèle parfait de démocratie. Le Cameroun, en la matière, n’a de leçons à recevoir de personne. La démocratie camerounaise est apaisée. La démocratie camerounaise avance.
Ainsi est allé le Cameroun pendant ces 30 dernières années. Un pays où le déni s’est constitué en une seconde nature pour cette classe du pouvoir trop imbue de ces privilèges, croyant de manière illusoire être toute puissante. Plongée jusqu’au cou dans une culture de la rapine et du mensonge.
2 – Aujourd’hui, le pays continue de s’enfoncer chaque jour, un peu plus, dans le chaos…
A l’aube de ce septième « mandat », toutes les dénégations passées sont plus que jamais « oubliées ». Les fléaux dénoncés depuis des années sont plus que jamais une réalité de moins en moins contestée et contestable. Le pays continue de s’enfoncer de plus en plus dans le chaos.
i – Avons – nous encore besoin des « preuves » de la corruption et des détournements ?
La corruption et les vols de la richesse commune ne peuvent plus être niés. Deux titres de champions du monde en la matière sont passés par là. Les manifestations à tous les niveaux de ces fléaux se voient, se touchent, s’entendent et se subissent à tous les niveaux. Le seul moyen de ne pas s’en plaindre, c’est d’en être l’un des agents et/ou l’un des bénéficiaires.
Le « ma – partisme » fait de plus en plus son lit dans toutes les administrations. C’est une forme de « droit de l’œil » qui amène les agents de la fonction publique et les autorités à prélever en amont de toute création de richesse, des sommes importantes aux usagers. Pour chacune de ces personnes, ces sommes importantes constituent simplement un… « ma part », c’est – à – dire, le revenu qu’ils perçoivent du fait d‘être simplement dans le circuit du Service, excusez du peu mais entendez plutôt, « Sévice » public. Position disputée qui donne naturellement droit à une rente puisque, depuis longtemps, grâce à une tropicalisation féroce des concepts « libéraux » des institutions de Bretton Wood (FMI et Banque Mondiale), nous sommes de pleins pieds dans le régime de la privatisation des services et biens publics par des personnes, chacun en son rang et son titre respectifs.
ii – Les sectes et les pratiques sexuelles peu orthodoxes relèvent – elles encore de la seule sphère privée ?
A ce jour, le « magico – anal », les crimes rituels et le déploiement des loges et autres sectes pernicieuses ne sont plus contestables. Le pays, plus que jamais, est otage de ces entités et de ces pratiques.
Les ambassadeurs de ces dernières sont aux commandes à tous les niveaux dans le système. Là aussi, la sphère privée est de moins en moins séparée de la sphère publique, un couloir franc avec ses plurielles conditionnalités occultes les lie.
Ici aussi, peut – on dire que ce ne sont que des fantasmes de puritains mal fagotés ?
iii – Le Cameroun est – il toujours « un et indivisible » ?
Pour ce qui est de la question anglophone, elle est passée ces deux dernières années de soubresaut à crise puis guerre. Les morts civils et militaires, les blessés, les otages et les prisonniers, la paralysie de l’économie et la détresse sociale, les réfugiés et les déplacés internes, la volonté de faire sécession et la haine qui s’enracinent solidement dans les cœurs, sans scandaliser nos conforts, sont les diverses preuves que nous avons franchi depuis longtemps le rubicon.
Tous ces éléments démontrent à suffisance que le fait de nier ou de sous – estimer des frustrations est le meilleur moyen de les faire prospérer. Cette guerre contre une partie de nous-mêmes est une énième preuve de la pertinence de l’adage selon lequel : gouverner c’est prévoir. Qui manque de prévoir, assurément, fait le lit du chaos. La négation puis la sous – estimation des frustrations des Camerounais / es anglophones, je dis bien des “camerounais anglophones”, aboutit au désastre actuel. Avec un peu d’humilité, de considération et de compétences, combien de vies seraient sauvées?
La mort dans l’âme et sans aucune espèce de fierté, nous sommes au regret de constater, nous sommes tout sauf « un et indivisible ». Les incantations en la matière ne suffisent plus à combler le fossé territorial, éthique, identitaire et/ou moral qui se creuse chaque jour entre nous. Chaque jour qui passe, chaque mort qui tombe, chaque édifice qui est détruit sont autant d’années que prendra, si un jour nous pensons vraiment la réconciliation comme devoir, le long processus de réinvention d’une relation saine et chaleureuse entre nous.
iv – La démocratie camerounaise est – elle encore apaisée et sur le chemin du progrès ?
L’élection présidentielle du 07 Octobre 2018 a été qualifiée de partielle, de forfaiture et de hold – up électoral du fait des irrégularités qui ont amené certains candidats à demander, à l’occasion du contentieux auprès du Conseil Constitutionnel, soit l’annulation partielle, soit l’annulation totale.
Aujourd’hui, c’est peu de dire qu’elle est contestée par des Camerounais qui sont carrément entrés en résistance.
Si l’on observe le nombre d’arrestations arbitraires, les interdictions systématiques de manifestations publiques et les actes de répression qui s’abattent sur les militants et les journalistes, pouvons – nous affirmer être en démocratie, même imparfaite ?
Si l’on observe la montée notable d’une aspiration à un changement soit par la voie des armes soit par celle de l’insurrection populaire (aujourd’hui essayé par ceux même qui hier la conspuaient), des voies autres que les processus électoraux, sommes – nous dans une démocratie apaisée ?
Avons – nous progressé dans le consensus sur les règles du jeu électoral, dans l’indépendance des organes en charge du processus électoral, dans l’impartialité constitutionnelle de l’armée, de l’administration, des médias publics,… ?
Sommes – nous à égale distance des arbitres du jeu électoral ? Tous, sommes – nous à égalité devant la loi ?
Questions pertinentes, mais questions rhétoriques sans doute…
En effet, au regard de ces signes objectifs et irréfutables de malaise et de contestation, une chose est claire, on ne peut que répondre par la négative.
Le malaise est profond et le sentiment de recul incontestable ! Nous sommes sans aucun doute en « monocratie ». Que des élections qui se tiennent tous les sept ans ne trompent aucun d’entre vous !
3 – Demain sera à l’image de ce que nous aurons accepté de réaliser comme œuvre collective
Pour que le futur immédiat et / ou lointain soit différent du présent et / ou du passé cauchemardesque, il faudra penser, parler et agir différemment.
Nous ne sommes pas dans l’impasse actuelle par hasard. Il n’y a pas d’effets sans causes. Aux mêmes causes, les mêmes effets.
Si nous voulons que ça change, nous devons au préalable changer nos manières de penser, de concevoir, de parler, d’unir et d’agir.
Ce régime triomphe et se perpétue parce que nous le voulons. Oui parce que nous l’acceptons !
Souhaiter le changement, ce n’est pas vouloir le changement.
Plus encore, souhaiter le changement ce n’est pas travailler pour le changement.
Souhaiter le changement, c’est émettre des vœux que les choses changent. Mais émettre des vœux ce n’est encore rien.
Poser des actes de résistance à l’incurie et des actes de conquête du changement, c’est vouloir le changement.
Ce régime triomphe du fait de nos peurs, de notre ignorance et de nos renoncements ! Il triomphe également parce que nous avons délégué aux seuls leaders politiques, aux soit – disant « élites » le soin de penser pour nous, de parler pour nous et de trouver des solutions à nos problèmes.
En bref, ce régime triomphe soit parce que nous sommes ignorants de notre pouvoir soit parce que nous n’exerçons pas effectivement notre pouvoir de citoyens.
Notre pays ne sera pas plus avancé que nous – mêmes. Nous ne pouvons pas être des citoyens informés et actifs d’une part, avoir une dictature, des services publics corrompus, des élites incompétentes ou un pays otage des sectes, d’autre part.
Retenons au moins une chose des 36 années qui viennent de s’écouler :
• Il n’y a guère de messie en politique.
• La qualité des pouvoirs dépend de la qualité des contre – pouvoirs.
• Ce que nous refusons de faire dans le calme, la vie nous oblige à le faire dans les larmes.
Si nous voulons autre chose que ce que nous avons actuellement, nous devrons faire autre chose que ce que nous faisons depuis toujours. Tôt ou tard, nous prendrons conscience que le changement ne s’obtient pas par hasard ou sans sacrifices. Tôt ou tard, nous devrons payer le prix.
Les sept prochaines années peuvent être pires ou meilleures : Ca ne dépend que de chacun d’entre nous ! Tôt ou tard, pour faire nos omelettes, il faudra casser les oeufs !
PS : Ce texte n’est ni un programme ni un plan d’action. C’est surtout le sentiment d’un citoyen engagé qui tient à dire à certains de ces compatriotes, l’immense majorité inactive, que nous ne pouvons plus nous plaindre. Certes nous n’avons pas commis les actes qui enfoncent ce pays dans le chaos. Mais en laissant faire, en démissionnant chaque jour, nous sommes au moins complices de ceux qui nous mettent dans le malheur. Et si nous aspirons réellement à autre chose, commençons dès aujourd’hui à emprunter des chemins inexplorés et à écouter la voix à l’intérieur qui nous commande urgemment d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Franck Essi